le 05/05/2015

Les difficultés de détermination de la répartition de la maîtrise d’ouvrage des travaux sur le réseau public de distribution d’électricité

Le système français d’organisation de la distribution publique d’électricité repose sur l’existence de concessions locales conclues avec un gestionnaire de réseau désigné par la loi. L’arrêt Société ERDF rendu par la 4ème chambre de la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 5 décembre 2014, Société ERDF, n° 13NT01455), vient néanmoins rappeler qu’en la matière, le concédant peut, comme le concessionnaire, faire exécuter des travaux sur le réseau concédé.
Un litige est né entre le Syndicat Intercommunal d’Energie d’Indre-et-Loire (SIEIL 37), autorité concédante de la distribution publique d’électricité, et son concessionnaire, la société ERDF, sur l’identité du maître d’ouvrage des travaux de raccordement nécessitant une puissance supérieure à 250 kVA, principalement dans les zones d’aménagement concertées et les lotissements. En conséquence, la société ERDF a saisi le Tribunal administratif d’Orléans d’un recours en interprétation du cahier des charges de la concession afin qu’il dise que la maîtrise d’ouvrage de ces travaux lui appartenait. En défense, le Syndicat demandait au Tribunal de dire que, dans les zones d’aménagements concertées et les lotissements, le seuil de 250 kVA devait s’évaluer au niveau de chaque client à titre individuel et non de l’ensemble. Par un jugement en date du 21 mars 2013 (TA Orléans, 21 mars 2013, Electricité Réseau Distribution France, n° 1203199), le Tribunal a reconnu que la maîtrise d’ouvrage revenait à la société ERDF au profit des clients sollicitant une puissance supérieure à 250 kVA mais en donnant du terme « client », une interprétation conforme à la demande du Syndicat. C’est ce jugement dont était saisi la Cour, qui devait ainsi statuer, par l’effet dévolutif de l’appel, sur le recours en interprétation du contrat déposé par la société ERDF.
Mentionné à l’article R. 312-4 du Code de justice administrative, le recours en interprétation est soumis à l’existence d’un litige né et actuel. S’agissant d’un acte contractuel, la jurisprudence reconnaît que le désaccord des parties quant à ce que seront leurs droits et obligations futurs formalise un litige né et actuel (CE, 26 juillet 1912, Compagnie d’Orléans et du Midi, Rec., p. 889). En outre, si le recours est soumis à la nécessité d’une obscurité, en matière contractuelle, celle-ci est souvent formalisée par l’existence d’un litige qui voit deux lectures des stipulations litigieuses s’opposer. De fait, nombre de litiges opposant l’administration à son cocontractant sont liés à la détermination des obligations découlant du contrat.
En l’espèce, les parties étaient d’accord sur la ligne de partage de leur maîtrise d’ouvrage respective, à savoir selon que la puissance à raccorder serait de plus ou moins 250 kVA. Le cœur du litige imposait néanmoins de déterminer qui faisait office de « clients » dans les zones à aménager et les lotissements, puisqu’il s’agissait du terme employé dans l’article 4 de l’annexe 1 du cahier des charges et sur lequel les parties étaient en désaccord. C’est donc cette notion, qui avait une signification équivoque, qui nécessitait l’interprétation du Juge.
En première instance, relevant que le cahier des charges ne comprenait aucune définition expresse du terme « client », le Tribunal avait néanmoins relevé qu’au regard des autres stipulations dans lesquelles le terme est employé, le client devait être regardé comme l’usager final du service public de distribution d’électricité, et non le lotisseur ou l’aménageur. Pour interpréter le contrat, il refusait de s’appuyer sur des dispositions réglementaires extérieures distinguant les notions de client et d’usager. Ce faisant il recourait à une interprétation systémique, tentant de comprendre la notion en litige par référence à d’autres stipulations contractuelles, le sens des unes devant s’éclairer par celui des autres, et en dehors de toute référence soit aux textes extérieurs, soit à la finalité des travaux en cause. Telle n’est pas la démarche suivie par la Cour administrative d’appel de Nantes dans l’arrêt commenté. Dans ses conclusions conformes sur cet arrêt, le Rapporteur public, E. Gauthier se référait, pour l’essentiel, à la finalité des travaux en cause telle qu’elle ressortait des dispositions du Code de l’urbanisme. Il estimait en effet qu’au regard du dispositif des zones d’aménagement, il paraissait « concrètement difficile, voire impossible, pour aménager une zone, y compris en électricité, d’attendre de connaître les besoins de chaque usager final ». La Cour a suivi cette approche en jugeant que « compte tenu de l’objet des travaux de raccordement au réseau de distribution électrique et du moment où ces travaux doivent nécessairement intervenir dans une zone d’aménagement concerté ou dans un lotissement, le titulaire de la maîtrise d’ouvrage doit, à raison de ces travaux, être déterminé par référence à l’aménageur ou au lotisseur qui en sollicite la réalisation et qui doit, par suite, être regardé comme le client au sens de l’article 4 de l’annexe 1 au cahier de charges et non par référence à l’usager final du service public de l’électricité ». Dès lors, selon la Cour, c’est le gestionnaire de réseau qui est maître d’ouvrage des travaux lorsque la demande de raccordement estimée par l’aménageur ou le lotisseur porte sur une puissance, pour l’ensemble de la zone ou du lotissement, supérieure à 250 kVA. La méthode d’interprétation retenue par la Cour est donc totalement différente de celle du Tribunal, puisqu’elle ne se base plus du tout sur les stipulations contractuelles en cause mais sur l’objet des travaux qui y sont mentionnés.