Droit du travail et de la sécurité sociale
le 16/03/2023

L’employeur pourrait produire en justice des moyens de preuve issus d’un dispositif de vidéosurveillance considéré comme illicite

Cass. Soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802

Par un arrêt en date du 8 mars 2023 (n° de pourvoi 21-17.802)[1], la chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser les conditions de la recevabilité d’une preuve recueillie par l’employeur au moyen d’un dispositif de « vidéosurveillance » déclaré illicite en l’absence des informations et autorisations préalables nécessaires (requises par l’article 32 (ancien) de la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés » dans sa version applicable à l’espèce et le code de la sécurité intérieure).

En l’espèce, un salarié a été licencié pour faute grave par lettre du 12 août 2013, notamment en raison d’un détournement de fonds et d’une soustraction frauduleuse. Ce dernier a, alors, saisi la juridiction prud’homale en vue de contester son licenciement.

A hauteur d’appel, le licenciement a été déclaré sans cause réelle et sérieuse, notamment au motif que les éléments de preuve issus d’un dispositif de « vidéosurveillance » illicite, produits par l’employeur pour démontrer la gravité des griefs reprochés au salarié, étaient irrecevables.

En l’occurrence et plus particulièrement, l’employeur entendait démontrer la gravité de la faute reprochée au salarié à l’appui de son licenciement au moyen :

  • d’un procès-verbal de constat de la « vidéosurveillance » ;
  • de CD de la « vidéosurveillance » ;
  • d’un détail des extraits de la « vidéosurveillance ».

La Cour d’appel, infirmant le jugement du conseil de prud’hommes, a considéré ces pièces irrecevables. Pour ce faire, elle a procédé à un raisonnement en deux temps :

En premier lieu, la Cour d’appel a constaté que le dispositif de « vidéosurveillance » était illicite, en relevant :

  • d’une part, que le salarié n’avait pas été informé des finalités du dispositif de « vidéosurveillance » ni de la base juridique qui le justifiait (comme l’exigeait l’article 32 (ancien) de loi n° 78-17, du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés ») ;
  • d’autre part, que l’employeur n’avait pas sollicité, pour la période considérée, l’autorisation préfectorale exigée par les dispositions, alors applicables, de la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978 et des articles L. 223-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure.

En deuxième lieu, la Cour d’appel a relevé que la production de ces éléments de preuve n’étaient pas indispensables pour l’employeur, car ce dernier déclarait que les faits reprochés au salarié avaient déjà été révélés par un audit et que la « vidéosurveillance » ne faisait que confirmer le contenu de ce dernier.

Compte tenu de cette illicéité (i) et de l’absence de caractère indispensable de la production des éléments issus de la « vidéosurveillance » (ii), la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir déclaré ces moyens de preuve irrecevables.

La Cour de cassation a, de plus, précisé le régime applicable à la recevabilité d’une preuve issu d’un dispositif de « vidéosurveillance » illicite.

Portée de l’arrêt

L’apport principal de l’arrêt de la Cour de cassation ci-commenté porte sur la précision des conditions selon lesquelles une preuve illicite peut être jugée recevable ou irrecevable par les juges du fond.

Par l’arrêt ci-commenté, la Cour de cassation rappelle que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats.

Elle énonce, plus largement, qu’il revient au juge du fond d’apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure, en mettant, d’une part, en balance le droit à la preuve de l’employeur et le respect à la vie privée du salarié (i), et, d’autre part, de vérifier si la production de cette preuve était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (ii).

Pour ce faire, la Haute juridiction précise, ainsi, qu’en présence d’une preuve illicite et lorsque cela lui est demandé, il convient, pour le juge :

  • de « s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci » ;
  • de « rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié »;
  • d’apprécier « le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi ».

Si l’utilisation d’éléments tirés d’un dispositif de vidéosurveillance illicite satisfait à ces critères, alors l’employeur pourra les produire devant les juridictions sans qu’ils soient écartés des débats.

Au cas particulier, le fait que l’audit, évoqué par l’employeur, révélait déjà les faits reprochés au salarié à l’appui de son licenciement ne rendait pas indispensable le recours à la vidéosurveillance pour établir la matérialité de ces faits.

Par ailleurs, si la jurisprudence évoque, dans l’arrêt ci-commenté, que la production du moyen de preuve droit être « indispensable » au regard du droit à la preuve, il est à rappeler qu’elle a, dans d’autres situations, simplement évoqué que les juges du fond devaient rechercher si la production de la preuve était seulement « nécessaire » à l’exercice du droit à la preuve. [2]

Ainsi, il semble, à notre sens, que la Haute juridiction emploie ces termes en fonction de l’intensité du caractère intrusif et de la nature du moyen utilisé pour récolter la preuve (i.e. procédé automatisé, stratagème, etc., ou simple consultation d’éléments collectés sans procédé ou technologie particulière).

En tout état de cause, la preuve tirée de la vidéosurveillance aurait, éventuellement, pu être recevable si, en l’espèce, l’employeur n’avait pas mentionné l’existence du rapport d’audit révélant les faits reprochait au salarié.

Au reste, si le dispositif de vidéosurveillance avait été licite, l’employeur aurait pleinement pu en exploiter les images devant les juges du fond.

Pour mémoire, il est rappelé, que les conditions de la licéité de dispositifs de vidéosurveillance ou de vidéoprotection diffèrent en fonction la nature des lieux filmés.

 

[1] Cass. Soc., 8 mars 2023 n°21-17.802 Décision – Pourvoi n°21-17.802 | Cour de cassation

[2] Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203