Environnement, eau et déchet
le 06/06/2024
Eloïse GUILLERMICEloïse GUILLERMIC

Le Tribunal international du droit de la mer précise les obligations des États en matière de lutte contre la pollution et le changement climatique affectant le milieu marin

Tribunal international du droit de la mer, 21 mai 2024, n° 31

Le 21 mai 2024, sollicité par la commission des petits États insulaires, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a rendu un avis consultatif sur deux questions relatives aux obligations des États Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la CNUDM), en matière protection du milieu marin contre les incidences du changement climatique (notamment quant à la pollution liée à l’élévation du niveau de la mer et à l’acidification des océans)

Fondé par la CNDUM, ou Convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982, le Tribunal est compétent pour se prononcer sur l’interprétation et l’application de cette Convention, qui a notamment pour ambition d’établir un cadre juridique global régissant tous les espaces marins, leurs utilisations et leurs ressources. Il peut à cet égard rendre des avis consultatifs.

Afin de répondre aux questions posées par la commission, le Tribunal commence par rappeler que, dès 1988, l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît « l’évolution du climat comme une préoccupation commune de l’humanité » ; puis réaffirme régulièrement depuis que « le changement climatique constitue l’un des plus grands défis de notre temps ». Il mentionne en ce sens le travail du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et notamment ses rapports successifs, dont aucun des participants n’a mis en doute l’autorité. Le TIDM évoque également d’autres accords internationaux et instruments qui traitent de la question du changement climatique ; au nombre desquels la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992, la Conférence des parties (COP) dont la troisième a permis l’adoption du protocole de Kyoto en 1997 et la vingt-et-unième l’Accord de Paris en 2015 ou encore la Stratégie 2023 de l’organisation maritime internationale (OMI) concernant les gaz à effet de serre. Ainsi, pour rendre son avis consultatif, le Tribunal se fonde sur l’interprétation de la Convention et son articulation avec les « autres règles pertinentes du droit international » précédemment évoquées.

D’une part, le Tribunal considère que « les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous-paragraphe 4, de la Convention [des Nations unies sur le droit de la mer] ». Il rappelle que le droit souverain des États d’exploiter leurs ressources naturelles selon leur politique en matière d’environnement ne doit pas occulter leur obligation de protection et de préservation du milieu marin. Si cette dernière est d’une « portée plus large », l’obligation de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin – applicable à toutes les sources de pollution – en constitue l’élément principal. Le Tribunal, qui appelle à l’adoption de mesures conjointes « en raison de la nature mondiale et transfrontière de cette pollution », ajoute que « les États sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris le cas échéant à titre individuel ». Il précise que ces mesures devraient être déterminées selon des critères objectifs mais également que si la certitude scientifique peut faire défaut dans la détermination de celles-ci, l’approche de précaution doit être appliquée. En tout état de cause, le TIDM considère que l’obligation en question est une « obligation de comportement » et plus particulièrement de « diligence requise » au niveau élevé, et non une « obligation de résultat » ; ce qui implique la mise en place d’une législation nationale, de procédures administratives ou encore de mécanismes d’exécution permettant de règlementer les activités émettrices de GES. Il n’est donc pas exigé par la Convention de « parvenir à la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution marine, mais de prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin », la Convention imposant tout de même aux États de « faire tout [leur] possible, selon leurs capacités et leurs ressources pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES ». S’ajoute à cela, dans le cadre de pollutions transfrontières, une obligation de diligence requise élevée de prendre « toutes les mesures nécessaires pour que les émissions anthropiques de GES relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne causent pas de préjudice à d’autres États et à leur environnement, et pour que la pollution résultant de telles émissions relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne s’étende pas au-delà des zones où ils exercent des droits souverains ».

Par ailleurs, le TIDM se prononce également sur les obligations relatives à des formes de pollution marine plus spécifiques (pollution d’origine tellurique, atmosphérique ou transatmosphérique, par les navires, etc.) mais aussi sur d’autres obligations telles que la coopération mondiale et régionale (obligation continue, effective et de bonne foi), l’assistance technique en particulier aux États en développement vulnérables ou encore la surveillance continue des risques ou des effets de la pollution et l’évaluation d’impact environnemental.

D’autre part, le Tribunal avait à se prononcer sur l’obligation de protéger et préserver le milieu marin eu égard aux incidences du changement climatique et à l’acidification des océans. Pour cela, il précise d’abord qu’il s’agit d’une obligation étendue « englobant tout type de dommage au milieu marin et toute menace pesant sur ce dernier », s’appliquant à toutes les zones maritimes. Il s’agit d’une obligation de diligence requise dont le niveau est considéré comme élevé ; les États devant « prendre des mesures aussi ambitieuses et efficaces que possible pour prévenir ou réduire les effets nuisibles du changement climatique et de l’acidification des océans sur le milieu marin ». De surcroît, le Tribunal soutient que la dégradation du milieu marin peut imposer la restauration des habitats et des écosystèmes marins.

Des obligations particulières incombent également aux États parties en faveur des écosystèmes rares ou fragiles et des habitats d’espèces et organismes marins en régression, menacés ou en voie d’extinction. En outre, une attention particulière doit être portée à la surexploitation et au devoir de conservation des ressources biologiques au sein des zones économiques exclusives (ZEE).

Enfin, le Tribunal termine en relevant que « l’Accord BBNJ [traité international sur la haute mer et la biodiversité marine ou accord BBNJ pour Biological diversity of areas Beyond National Jurisdiction] récemment adopté exprime la nécessité d’un cadre mondial se rapportant à la Convention pour mieux réglementer la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ».