le 07/10/2021

Le silence de l’administration vaut rejet en matière de porter à connaissance

CE, 23 septembre 2021, SCEA Côte de la Justice, n° 437748

Par une décision rendue le 23 septembre 2021, le Conseil d’Etat a apporté des précisions quant au champ des exceptions au principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative vaut décision d’acceptation.

Dans cette affaire, la société exploitante d’une ferme de vaches laitières, la « ferme des mille vaches », s’était vu délivrer une autorisation d’exploiter un élevage de 500 vaches laitières en 2013. Par la suite, la société a, en 2015, porté à la connaissance du Préfet son projet de regrouper plusieurs élevages pour atteindre un total de 880 vaches, en application de la procédure prévue par l’article R. 515-53 du Code de l’environnement en vigueur au moment des faits et aujourd’hui abrogé.

Cet article prévoyait que tout projet de regroupement d’installation d’élevages relevant de certaines rubriques de la nomenclature ICPE devait être porté, avant sa réalisation, à la connaissance du Préfet. Si le Préfet estimait que le projet de regroupement était de nature à entraîner une modification substantielle de l’installation, il devait alors inviter l’exploitant à déposer une nouvelle demande d’autorisation.

Si cet article n’est aujourd’hui plus en vigueur, son mécanisme a toutefois été conservé avec l’autorisation environnementale unique. En effet, l’article L. 181-14 du Code de l’environnement prévoit désormais que, lorsque des activités, installations, ouvrages ou travaux bénéficiant d’une autorisation environnementale doivent faire l’objet d’une modification, celle-ci doit faire l’objet d’une nouvelle autorisation si elle est qualifiée de « substantielle », ou être portée à la connaissance du Préfet lorsqu’elle est qualifiée de « notable ». Le Préfet, saisi d’un porter à connaissance, peut alors, comme précédemment, estimer que la modification doit être qualifiée de substantielle et demander à l’exploitant de déposer une nouvelle demande d’autorisation environnementale.

En l’espèce, si l’exploitante avait bien porté à la connaissance du Préfet son projet de regroupement, celui-ci n’y a cependant pas répondu. La société, estimant que cette absence de réponse valait accord du Préfet en application du principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative vaut décision d’acceptation (art. L. 231-1 du Code des relations entre le public et l’administration – CRPA), a mis en œuvre son projet et a procédé à l’agrandissement de son cheptel.

Toutefois, après inspection du site, et constatant que le cheptel avait été porté à 796 vaches, le Préfet a d’abord mis en demeure la société exploitante de mettre son exploitation en conformité avec l’arrêté d’autorisation initial de 2013, puis, au vu de l’inaction de la société, a prononcé plusieurs amendes et astreintes à son égard, que la société conteste.

Le Tribunal administratif d’Amiens, par un jugement du 29 juin 2017, a en premier ressort annulé les différentes amendes et astreintes. La Cour administrative d’appel de Douai, par un arrêt du 19 novembre 2019, a cependant annulé de jugement. La société exploitante s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Il s’agissait donc ici pour le Conseil d’Etat de se prononcer sur la question de savoir si le silence gardé par le Préfet à la suite du dépôt du porter à connaissance devait être regardé comme une acceptation au titre du principe de l’article L. 231-1 du CRPA précité, ou bien comme une décision de refus au titre des exceptions à ce principe.

A cet égard, le Conseil d’Etat retient en premier lieu que, en vertu du 4° de l’article L. 231-4 du CRPA relatif aux autorisations implicites, « dans les cas, précisés par décret en Conseil d’Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France », le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet.

Le décret prévu dans cet article est le décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation ». Ce dernier comporte un tableau, annexé à son article 1, en vertu duquel les demandes d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental ne sont pas soumises au principe du « silence vaut acceptation ».

Or, en matière de porter à connaissance, le Conseil d’Etat retient la circonstance selon laquelle le Préfet peut choisir de soumettre la modification de l’exploitation, s’il estime cette dernière substantielle, à l’obtention d’une nouvelle autorisation au titre de la législation ICPE, laquelle nécessitera la réalisation d’une étude d’impact en application de la nomenclature des projets soumis à évaluation environnementale (annexe à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement). 

Dès lors, le Conseil d’Etat retient que la demande formée par l’exploitant, « dès lors qu’elle est susceptible de rendre nécessaire le dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation devant faire l’objet d’une étude d’impact préalable […] relève des exceptions à l’application du principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative vaut décision d’acceptation ».

Ainsi, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt d’appel en jugeant que le silence du Préfet ne valait pas autorisation du projet de regroupement d’exploitations, lequel était donc contraire aux prescriptions de l’autorisation initiale de 2013.