Une victime d’infraction pénale ou l’un de ses proches peut, sous certaines conditions, saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions pénales (CIVI) afin d’obtenir la réparation des préjudices engendrés par le fait dommageable subi[1][2].
Ces préjudices peuvent être soit patrimoniaux, c’est-à-dire purement économiques (perte de revenus, frais engagés…), soit extra-patrimoniaux, c’est-à-dire moraux, physiques ou affectifs (souffrances endurées, préjudice d’affection, préjudice esthétique…).
Ils peuvent être également soit temporaires soit, s’ils persistent après la stabilisation de l’état de santé physique et psychique de la victime, permanents.
En 2005, un groupe de travail dirigé par Monsieur Jean-Pierre DINTILHAC, alors Président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, a élaboré une nomenclature des différents préjudices, constituant une base sur laquelle s’appuient les médecins-experts et les juges[3].
Toutefois, le principe de réparation intégrale du préjudice, fondement central de l’indemnisation rappelé par l’article 706-3 du Code de procédure pénale et selon lequel une victime doit être indemnisée de manière à retrouver la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s’était pas produit, implique une prise en compte de tous les préjudices afin de réparer le dommage dans toutes ses dimensions.
C’est pourquoi la nomenclature Dintilhac avait pu préciser :
« Il était nécessaire de ne pas retenir une nomenclature trop rigide de la liste des postes de préjudice corporel.
Ainsi, il existe des préjudices atypiques qui sont directement liés aux handicaps permanents, dont reste atteint la victime après sa consolidation et dont elle peut légitimement souhaiter obtenir une réparation.
À cette fin, dans un souci de pragmatisme (…), il semble important de prévoir un poste « préjudices permanents exceptionnels » qui permettra, le cas échéant, d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extra-patrimonial permanent particulier non indemnisable par un autre biais ».
C’est ainsi que la jurisprudence admet dans certains cas l’indemnisation de tels préjudices atypiques ou exceptionnels, toujours à condition qu’ils soient directement liés à l’infraction subie et suffisamment établis.
La spécificité de ces préjudices peut avoir trait à la nature de la victime, ou bien aux circonstances de l’infraction à l’origine du dommage.
On peut citer le cas des attentats de Charlie Hebdo (2015), du Bataclan (2015) et de Nice (2016), les victimes ont pu être indemnisées pour des préjudices atypiques et notamment le « préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme ».
De même, la jurisprudence a reconnu, pour les travailleurs exposés à des substances dangereuses telles que l’amiante, un préjudice spécifique d’anxiété lié à l’exposition à un risque futur de maladie[4].
Dans une autre affaire, un patient avait été victime d’une erreur médicale lors d’une intervention chirurgicale, entraînant des séquelles irréversibles aux genoux, ce qui l’empêchait définitivement de prier à genoux et ainsi de pratiquer pleinement sa religion. Les juges ont indemnisé ce préjudice personnel spécifique consistant en l’atteinte à son mode de vie et à ses convictions religieuses[5].
Il peut s’agir également du préjudice résidant dans l’impossibilité pour une victime de pouvoir communiquer en langue des signes avec son fils sourd et muet, étant donné les séquelles entraînées par le fait dommageable[6].
Ces situations ne sont que des illustrations de ce en quoi peuvent consister des préjudices exceptionnels. De manière générale, dès lors qu’une victime subit une atteinte atypique et spécifique à sa situation, il est nécessaire d’en solliciter la réparation, afin que la victime puisse être entièrement indemnisée des répercussions dont elle fait l’objet.
Sans cette demande, les juges risqueront en effet de se maintenir aux préjudices les plus classiques, empêchant alors le principe de réparation intégrale.
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[1] Articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale
[4] Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull. n° 106