le 06/07/2018

Le premier bilan de la loi biodiversité : le constat des forces et des faiblesses du texte

Loi n° 2016-1087, 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

Un rapport d’information mis en ligne le 20 juin 2018 sur le site de l’Assemblée Nationale permet le suivi précis de la mise en œuvre de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Ce rapport expose une quarantaine de recommandations qui permettent de donner la ligne à suivre pour atteindre au plus près le but recherché par la loi pour la reconquête de la biodiversité. Il a été présenté et examiné le 20 juin 2018 par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale.

Ce rapport permet aussi de relancer les débats entourant les dispositifs de la loi dont il est question ici.
Parmi les thèmes évoqués, il est question de la biopiraterie, entrée dans le droit pénal français, de la mise en œuvre du dispositif APA, du volet cynégétique mais aussi de la consécration du préjudice écologique dans le Code civil, le triptyque « éviter réduire compenser », ainsi que la mise en place de la nouvelle catégorie de structure que constitue l’PECE.
A l’occasion de la rédaction de ce rapport, le contexte entourant l’adoption de cette loi de reconquête de la biodiversité ainsi que celui de la rédaction de ce rapport est rappelé par les deux députés, Mmes Nathalie Bassire et Frédérique Tuffnell, en charge de la rédaction de ce texte.
« Adoptée dans un contexte où le temps était davantage à la défense des fondamentaux de la protection de la biodiversité qu’à un changement de paradigme, la loi réussit le tour de force d’inscrire de grandes évolutions dans le droit ».

Lors de la présentation du projet de loi à l’Assemblée Nationale, le 26 mars 2014,
M. Philippe MARTIN, Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, avait exposé les différents axes de l’actions publiques mis en œuvre pour la protection de la nature et rappelé l’urgence à agir, ce qui justifiait l’adoption de cette loi.
« L’action publique s’est d’abord concentrée, en France, en Europe et dans le reste du monde, sur une politique de protection de la nature, marquée par la création d’espaces dédiés (création des parcs nationaux dans les années 60) ou la protection des espèces (loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages dite directive « Oiseaux »). […] L’action publique s’est ensuite diversifiée pour prendre en compte des aspects de plus en plus en complexes de la biodiversité tels que les continuités écologiques.
[…] En France la stratégie nationale pour la biodiversité, révisée en 2011, s’inscrit complètement dans cette logique de mobilisation des acteurs avec un système d’adhésion et d’engagements volontaires
Plus de trente ans après la loi de 1976 précitée, après de telles évolutions conceptuelles et sociales et compte-tenu de l’urgence à agir, l’action publique doit être renouvelée. C’est l’objet de cette loi entièrement consacrée à la biodiversité, prise dans son ensemble […]. »

Les rapporteures ont aussi précisé dans ce bilan qu’un travail a déjà été engagé mais qu’un certain nombre d’actions doivent encore être mises en œuvre.
« Le présent rapport de la mission d’application de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages conduit vos rapporteures à souligner l’urgence à agir. Beaucoup a été fait mais beaucoup reste encore à faire. La mobilisation de toutes les énergies s’impose. »

Par conséquent, ce rapport met en avant les éléments de la loi sur la biodiversité ayant été mis en œuvre mais aussi le chemin qui reste à parcourir pour un certain nombre de domaine évoqué par cette loi de 2016.
S’y ajoute l’actualité particulièrement récente : le gouvernement a présenté mercredi 4 juillet son plan biodiversité en vue d’enrayer le déclin de la biodiversité.

1) Les dispositifs opérationnels

– La mise en place d’établissements publics de coopération environnementale (EPCE)
La loi Biodiversité du 8 août 2016 à son article 56, prévoyait la création d’EPCE. Cette création a été officialisée par un décret en date du 29 mars 2017.
Le régime de ces EPCE est similaire à celui des établissements publics de coopération culturelle (EPCC) au regard de l’article R. 1431-1 du Code général des collectivités territoriales qui étend les dispositions des EPCC aux EPCE.
Selon l’objet de leur activité, les EPCE pourront être des établissements publics administratifs ou des établissements publics industriels et commerciaux et leur création intervient à la demande des collectivités ou groupements et peuvent également être constituées avec des établissements publics locaux.
De surcroit, ces EPCE peuvent se voir déléguer les missions de l’Agence Française pour la biodiversité, ce qui fait d’eux des antennes de l’agence sur le plan régional et leur confère la qualité d’agence régionale pour la biodiversité (ARB)
Toutefois, malgré le cadre juridique mis en place, le rapport explique « qu’à ce jour, seule une ARB prévoit d’être constituée sous forme d’EPCE (Occitanie). »

– Les modifications relatives au régime des parcs naturels régionaux
La loi sur la biodiversité est venue modifier les dispositions qui régissait les parcs naturels ses article 48 et suivant.
Un décret n° 2017-1156 du 10 juillet 2017 a été pris en application de cette loi pour permettre le renforcement des dispositifs d’évaluation de la mise en œuvre des chartes des parcs naturels , l’actualisation de la liste des documents soumis pour avis aux syndicats mixtes des parcs mais aussi pour préciser les modalités de classement et d’évaluation d’un territoire en PNR.
Les rapporteures précisent tout de même que l’association Région de France soulève le fait que les procédures de classement demeurent excessivement longues pour les territoires et sollicitent une simplification.

– L’introduction du préjudice écologique dans le Code civil
L’article 4 de la loi de 2016 est venu introduire la réparation du préjudice écologique dans le code civil en précisant que cette réparation se faisait en priorité en nature.
Cette nouveauté est vue comme une grande avancée et fait suite à l’affaire « Erika ».
Les rapporteures énoncent à cet égard certaines recommandations principalement sur la question de la preuve et le choix d’experts judiciaires compétents par le juge.
De plus, il est aussi question de renforcer la formation des magistrats aux questions environnementales et à leurs enjeux.

2) Les dispositifs non opérationnels

– La mise en place du triptyque ERC, « Eviter, Réduire , Compenser «
Les rapporteures rappellent que le concept de compensation n’est pas nouveau au sein du droit interne et a été mis en place par l’article 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature:
« Les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l’environnement ».

Mais la loi Biodiversité permet, par la codification de l’article L.163-1 du Code de l’environnement, de passer de la possibilité de compensation, du « si possible » donc, à une obligation de cette compensation:
« Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes ».
Les rapporteures préconisent la spécialisation et l’agrément des bureaux d’études pour garantir la qualité des études d’impacts fournies, pour que le coût réel de ces mesures puisse être anticipé.
De plus, il est précisé qu’une bonne évaluation du coût de la compensation permettrait d’encourager à éviter et réduire en amont, ce qui garantirait une application correcte du triptyque.

– Le manque de texte d’application pour le dispositif APA
La loi sur la biodiversité est venue créer les articles L. 412-3 et suivants du Code de l’environnement, relatifs au dispositif dit « APA » pour « accès et recours aux avantages » : ces textes visent à déterminer les conditions d’accès aux ressources génétiques faisant partie du patrimoine commun de la Nation (à savoir « les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité »), en vue de leur utilisation, et à assurer un partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation et, le cas échéant, de l’utilisation des connaissances traditionnelles associées, conformément à la convention sur la diversité biologique.
Les communautés d’habitants mentionnées dans ce dispositif (et définies à l’article L. 412-4 comme « toute communauté d’habitants qui tire traditionnellement ses moyens de subsistance du milieu naturel et dont le mode de vie présente un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité) sont principalement situées en outre-mer, territoires qui, à eux seuls, regroupent 80% de la biodiversité nationale.
Les rapporteures relèvent que cette richesse n’est pas utilement protégée, en particulier, aucune personne morale de droit public compétente pour organiser le partage des avantages n’a été mise en place.

– Rapprochement ONCFS / AFB :
L’article 21 de la loi sur la biodiversité est venu créer l’article L. 131-8 du Code de l’environnement et visait à rapprocher l’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) sans pour autant intégrer totalement l’un dans l’autre, ce qui semble être cohérent au regard de l’expérimentation relative à la mise en place d’unité de travail communes entre l’AFB et l’ONCFS avec les expérimentations
Cette mutualisation est toujours d’actualité en dépit des oppositions du monde cynégétique.

3) Le plan biodiversité du gouvernement
Parallèlement à ce rapport d’information, un plan biodiversité a été présenté le 4 juillet 2018 intégrant 6 axes, dont, notamment un objectif de « zéro artificialisation nette » des sols. A cet égard, le Premier ministre Edouard Philippe dans un discours au Comité́ interministériel de la Biodiversité, met en avant l’importance de renforcer le contrôle de légalité des documents d’urbanisme pour éviter notamment l’étalement urbain.
Le grand public a été appelé à s’exprimer dans le cadre d’une consultation publique achevée le mois dernier. Le comité national pour la biodiversité a pour sa part examiné le projet de plan le 21 juin et formulé 37 propositions, dont certaines intéressent au premier chef les collectivités publiques. On relèvera notamment le renforcement de la prise en compte de la biodiversité dans les PLU et les SCOT, l’information des acteurs du territoire par la mise en place de guide-catalogue des outils, la protection des sols en milieu urbain par la mise en place dans le Code de l’urbanisme de mesures incitatives à la végétalisation des sols notamment ou encore le développement des indicateurs pertinents de l’artificialisation et des changements d’usage des sols.
Les observations formulées à cette occasion se sont en outre exprimées pour une identification et une suppression des subventions et des dispositifs fiscaux considérées comme les plus néfastes pour la biodiversité ainsi que pour une prise en compte des enjeux environnementaux dans les finances publiques. Il reste néanmoins à voir si celles-ci seront reprises dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019.

Claire Léjard, Elève avocate et Solenne Daucé, Avocate Associée