Environnement, eau et déchet
le 12/10/2022
Pauline DELETOILLEPauline DELETOILLE

Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé peut être invoqué sous conditions dans le cadre d’un référé-liberté

CE, 20 septembre 2022, M. et Mme C., n° 451129, publié au recueil Lebon

Après le Conseil Constitutionnel qui avait reconnu que la protection de l’environnement constituait un objectif de valeur constitutionnelle (décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020), le juge des référés du Conseil d’Etat considère que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CJA).

En l’espèce, par une délibération en date du 27 octobre 2016, le conseil départemental du Var a décidé du recalibrage d’une route départementale avec création d’une voie cyclable. Les requérants, qui possèdent un laboratoire limitrophe de l’endroit où se déroulent les travaux contestés et où ils mènent depuis plusieurs années un travail de recensement et d’études des espèces protégées, ont alors saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Toulon d’une demande en référé-liberté tendant à la suspension des travaux entrepris. Selon eux, la poursuite de ces travaux porterait atteinte de manière irréversible aux espèces protégées étudiées et entraînerait la destruction de leur habitat.

Par une ordonnance en date du 25 mars 2021 rendue sur le fondement de l’article L. 522-3 CJA, le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande des requérants. Le Conseil d’Etat était donc saisi en cassation de cette ordonnance.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat revient sur les différents leviers juridiques déjà existants « pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement dont il n’est pas sérieusement contestable qu’elle trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique ».

Ainsi, le juge administratif peut être saisi :

  • D’une part, en cas d’urgence, d’un référé-suspension (article L. 521-1 CJA) afin d’obtenir la suspension de l’exécution de la décision administrative, positive ou négative, à l’origine de cette atteinte à l’environnement ;
  • D’autre part, sans condition d’urgence, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-16 du Code de l’environnement, afin d’obtenir les mêmes effets que le référé-suspension ;
  • Enfin, de façon plus large et sans condition d’urgence, d’un référé-mesures-utiles ou conservatoire (article L. 521-3 CJA), « afin qu’il enjoigne à l’autorité publique, sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte ».

Dans un second temps, le Conseil d’Etat introduit la possibilité de recourir également au référé-liberté de l’article L. 521-2 CJA, pourtant limité aux libertés fondamentales reconnues comme telles par le juge administratif.

En effet, le Conseil d’Etat ajoute que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ».

Ainsi, le Conseil d’Etat indique que le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit en estimant que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale.

Toutefois, si cette nouvelle liberté fondamentale est consacrée dans le principe, elle s’entoure également de certaines conditions tenant au requérant.

En effet, si l’article L. 521-2 CJA permet au juge des référés, en cas d’urgence, de prendre « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » à laquelle on aurait porté une « atteinte grave et manifestement illégale », le Conseil d’Etat semble ajouter des conditions plus subjectives quant à son utilisation :

  • D’une part, la personne doit justifier, « au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre », qu’il y ait porté une atteinte grave ou manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique.
  • D’autre part, « il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai […] d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article ».

Il résulte de ce qui précède que ces conditions apparaissent plutôt restrictives, dans la mesure où la personne doit justifier à la fois d’un « intérêt à agir » au regard de sa situation personnelle et de « circonstances particulières » pour obtenir à « très bref délai » les mesures relevant de l’office du juge des référés saisi d’un référé-liberté.

Ce dernier point semble poser moins de difficultés, dans la mesure où il est de jurisprudence constante que « l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. ». A cet effet, le juge des référés doit tenir compte « des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises » (Pour un exemple : CE, 30 juillet 2015, Section française de l’observatoire international des prisons (OIP-SF) et Ordre des avocats au barreau de Nîmes, n°s 392043 392044, p. 305).

En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’Etat estime que la condition d’urgence particulière requise par l’article L. 521-2 CJA ne peut être regardée comme remplie. En effet, les requérants ont eu la possibilité de contester en amont le projet arrêté par la délibération du 27 octobre 2016, notamment lors de l’édiction en décembre 2020 d’un arrêté préfectoral autorisant le défrichement. Il est donc impossible pour les requérants de se prévaloir de cette condition d’urgence.

« Au demeurant », et afin de pousser l’analyse, le Conseil d’Etat énonce que la sensibilité du milieu naturel au projet était « modérée » et que ce dernier, eu égard à « la nature et l’ampleur limitée des travaux » était dispensé d’étude d’impact par le préfet de région compétent. Enfin, dès lors que les requérants se bornent « à faire valoir, de façon générale, le risque d’atteinte irréversible aux espèces qu’ils étudient, il ne résulte pas de l’instruction que la poursuite des travaux contestés porterait une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Par conséquent, la demande de suspension des travaux présentée par les requérants doit être rejetée.