le 03/12/2020

Le Conseil d’Etat demande au Gouvernement de justifier sa politique de réduction des gaz à effet de serre

CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande Synthe et autre, n° 427301

Par une décision rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la requête de la commune de Grande-Synthe et de son Maire, qui sollicitaient l’annulation des décisions implicites de rejet du Président de la République, du Premier ministre et de la Ministre de la transition écologique des demandes formulés auprès de ces derniers de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter les engagements de la France, de mettre en œuvre des mesures immédiates d’adaptation au changement climatique de la France et, enfin, de prendre toute disposition d’initiative législative et réglementaire afin de « rendre obligatoire la priorité climatique » et interdire toute mesure susceptible d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

 

L’un des apports de cette décision est en premier lieu la reconnaissance par le Conseil d’Etat de l’intérêt à agir de la commune de Grande-Synthe, demandeur (mais non de son Maire), et de l’intérêt à intervenir au soutien de cette demande des communes de Paris et Grenoble, du fait de la très forte exposition de ces trois communes aux risques climatiques qui se manifesteront par des inondations accrues et pics de chaleur. La Haute juridiction reconnaît également, de manière plus habituelle, l’intérêt à intervenir de quatre associations au regard de leurs objets, qui visent à lutter contre les atteintes anthropiques à l’environnement.

 

Mais l’apport essentiel de cette décision réside dans la position adoptée par le Conseil d’Etat sur le fond. Si la Haute juridiction rejette certaines des demandes de la Commune, elle examine précisément les engagements de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, tant au niveau international qu’européen ou interne, en relevant notamment que la France s’est engagée, pour mettre en œuvre l’Accord de Paris, à adopter une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre permettant de parvenir, en 2030, à une baisse de 40% par rapport à leur niveau de 1990.

 

Le Conseil d’Etat relève en outre que, malgré les engagements de la France à réduire, par étapes successives, le niveau de ses émissions de gaz à effet de serre, le Haut conseil pour le climat a relevé les insuffisances politiques menées pour atteindre les objectifs fixés. En effet, il constate que les décrets pris pour mettre en œuvre cette réduction d’émissions ont revu à la baisse ces objectifs pour la période 2019-2023 et prévoient un décalage de la trajectoire de réduction des émissions « qui conduit à reporter l’essentiel de l’effort après 2020, selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici » et relève en outre que les données scientifiques les plus récentes, publiées notamment par le GIEC, soulignent la nécessité de prendre des mesures le plus rapidement possible.

 

Après avoir exposé ces éléments, le Conseil d’Etat retient qu’il ne dispose pas, en l’état du dossier, de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la compatibilité du refus opposé par les défendeurs avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre au regard des objectifs de réduction auxquels s’est engagée la France. Le Conseil d’Etat décide dès lors de procéder à un supplément d’instruction afin de déterminer si le refus du Gouvernement de prendre de mesures plus strictes est effectivement compatible avec le respect de l’objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030.

 

Le Conseil d’Etat, s’il ne condamne pas à ce stade le Gouvernement à prendre des mesures suffisantes pour respecter ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, lui demande de justifier ses choix à cet égard. Cette décision ouvre donc la porte à une telle condamnation, dans la mesure où le complément d’instruction ne permettrait pas au Gouvernement de justifier de son.

 

Par cette décision, le Conseil d’Etat tend alors à s’inscrire dans la lignée des décisions favorables aux défenseurs du climat dans les nombreux procès dits « climatiques », initiés par l’affaire Urgenda aux Pays-Bas mais il convient d’attendre la fin de cette affaire pour déterminer si cette tendance aura des conséquences juridiques et pratiques.