le 12/04/2018

Le Conseil d’Etat a récemment eu l’occasion de confirmer la tendance au recul des actes de gouvernement et de leur immunité juridictionnelle

CE, 13 décembre 2017, n° 411788

La notion d’acte de gouvernement, issue de la jurisprudence du Conseil d’État, désigne des actes issus le plus souvent du pouvoir exécutif et bénéficiant de l’immunité juridictionnelle totale. C’est-à-dire insusceptibles de faire l’objet de recours en annulation comme de recours de plein contentieux

Cette immunité a trouvé, dans le passé, sa raison d’être dans le caractère politique de ces actes. Dans son entreprise pour soumettre peu à peu l’administration au droit, le Conseil d’État, au cours du XIXe siècle,  a dû faire « la part du feu » (Hauriou) et renoncer à contrôler les actes pris pour des motifs politiques. Ce n’est qu’en 1875 que le Conseil d’État ne s’est plus contenté de ce critère pour éviter de juger.

Sans qu’il soit possible de dire qu’ils vont disparaître, les actes relevant de cette catégorie, n’ont cessé, depuis, de se réduire, au fur et à mesure de l’affirmation de l’Etat de droit et de l’autorité de la juridiction administrative.

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A/ Deux arrêts récents du Conseil d’Etat (qui paraîtront dans le Lebon) viennent de confirmer cette tendance.

1.Il s’agit d’abord de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 13 décembre 2017 (n° 411788- Président du Sénat)

Le Président du Sénat avait contesté le décret du Président République nommant le Président de la commission indépendante (art 25 de la Constitution) donnant un avis sur les projets de textes et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour les élections des députés ou des sénateurs.

Le grief fait au décret tenait à ce que le Président de la République n’aurait pas dû nommer le Président de la commission (art. 25) pressenti par le Président de la République, dans la mesure où la commission des lois du Sénat n’avait pas émis d’avis sur la personne pressentie.

Le Conseil d’Etat a rejeté la requête du Président du Sénat, en estimant que le défaut de consultation  de la commission des lois ne pouvait être reproché au Président de la République alors que la cause de ce fait se trouvait dans le refus de se réunir de la commission des lois du Sénat.

2. Ensuite,dans un arrêt rendu le 15 décembre 2017 (n° 402259 Mr Brillaud)), c’est la délibération du bureau du Conseil économique, social et environnemental, déclarant irrecevable une pétition déposée sur le fondement de l’article 69 de la Constitution demandant au CESE son avis sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, qui était contestée.

Le Conseil d’Etat, s’est, à la différence de la Cour administrative d’’appel, estimé compétent dans cette affaire. Réglant l’affaire au fond, ensuite, Il a jugé que le CESE pouvait être saisi pour avis par voie de pétition, durant l’examen du projet de loi, mais ne pouvait l’être que par le gouvernement.

B/ Rappelons à ce propos, qu’il n’existe pas de théorie générale de l’acte de gouvernement. Il s’agit d’une série de cas ou de catégories d’actes de gouvernement.

1- Des actes qui touchent à la raison d’Etat.

L’intérêt national –«la raison d’Etat » sert parfois, encore, à justifier ce qui est généralement considéré comme des atteintes au droit et à la légalité. Ce sont, ces actes qui ont parfois décidé un Président de la République à agir hors de toute légalité («neutralisation» d’un individu dont les activités mettent en danger la Nation; attentat contre le navire d’une association luttant contre les essais nucléaires»).

Mais on désigne, également,  par-là, aujourd’hui, surtout, la conduite des relations extérieures de la France et d’abord la Défense, qui sont les domaines où prédomine le pouvoir du Président de la République. La décision du Président de la République de reprendre des essais nucléaires (CE, Assemblée, 29 septembre 1995) ne pouvait être contestée juridiquement. Le contrôle exercé par les parlementaires, dans le domaine des relations extérieures et de la Défense est extrêmement réduit.

2- Des actes liés aux rapports constitutionnels entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Les actes de gouvernement en sont venus à désigner les actes que le pouvoir exécutif gouvernemental ou présidentiel, peut ou non décider dans le cadre des institutions. Ce n’est pas un acte tourné vers les administrés, mais plutôt vers un autre pouvoir constitutionnel.

C’est, par exemple, une décision refusant de déposer un projet de loi (CE, 29 novembre 1968, Tallagrand).

Le juge administratif préfère alors ne pas contrôler au nom de la séparation des pouvoirs, pour ne pas devenir un pouvoir exécutif ou législatif.

Le juge administratif a affirmé, pour ne pas remettre en cause la séparation des pouvoirs, ne pas pouvoir contrôler la qualité des personnes nommées comme membre au conseil constitutionnel (CE 1999 Madame Ba).

C/ Sans qu’il puisse être imaginé, pour le moment, que les actes de gouvernement disparaissent tout- à-fait, il n’en reste pas moins qu’un nombre croissant de systèmes de contrôle se sont mis en place autour de actes considérés il y a peu, encore, comme non susceptible de contrôle.

Si, dans un arrêt du 30 décembre 2003, le Conseil d’Etat avait estimé que donner l’autorisation de laisser les avions militaires américains survoler le territoire national ( Comité contre la guerre en Irak),  le contrôle du juge administratif s’exerce sur les conventions internationales et  on assiste à un recours de plus en plus large à la théorie dite « des actes détachables »

Le Conseil d’Etat rend désormais des décisions rejetant une demande d’extradition (CE, 15 octobre 1993, n° 142578, Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, Gouverneur de la Colonie royale de Hong-Kong).

Si la décision de la France de saisir une œuvre d’art à la fin de la Seconde Guerre mondiale inscrite au répertoire “Musées nationaux récupération” est un acte de gouvernement, la décision de refus de restituer l´œuvre à celui qui se prétend son légitime propriétaire est un acte administratif unilatéral susceptible de recours devant le juge administratif (CE, Assemblée, 30 juillet 2014, Kodric et Herr, requête n° 349789)

Sont susceptibles de contrôle les actes détachables des relations diplomatiques de la France : actes dont la légalité peut être appréciée indépendamment de leur origine ou de leur conséquence internationale. « Les actes qui peuvent être jugés sans que l’on rencontre un État étranger ou une organisation internationale » (Chapu).