le 20/04/2020

L’absence de mise en œuvre par l’exproprié de son action en rétrocession dans les délais et conditions prévus par la loi le prive de son action en indemnisation de la perte de plus-value acquise par le bien non affecté à la destination prévue par la déclaration d’utilité publique

Cass.Civ., 3ème, 19 mars 2020, n° 19-13.648

Par une décision du 19 mars 2020, la troisième chambre de la Cour de Cassation (Cass. 3e civ., 19 mars 2020, n° 19-13.648) a considéré qu’un « exproprié n’ayant pas exercé l’action en rétrocession qui lui était ouverte, dans les délais et les conditions prévus par la loi, ne dispose pas d’une action en indemnisation de la privation de la plus-value acquise par le bien non affecté à la destination prévue par la déclaration d’utilité publique, dès lors que, en raison de sa propre inaction, il ne subit aucune charge excessive ».  

Cette décision met ainsi un terme à un feuilleton judiciaire opposant la société Immobilière du Ceinturon à la commune de Hyères, depuis plus de 60 ans. 

Pour rappel des faits, la société immobilière du Ceinturon a été expropriée en 1955 au profit de la commune d’Hyères-les-Palmiers en vue de l’extension de la plate-forme de la plage du port de plaisance d’Hyères-les-Palmiers. 

Cependant, les terrains expropriés n’ayant pas reçu l’affectation justifiant la déclaration d’utilité publique, la société immobilière du Ceinturon a formé une demande de rétrocession rejetée par la commune.  

Dès lors, un recours en rétrocession a été introduit par la société expropriée devant le tribunal administratif de Nice. Toutefois, ce dernier s’est déclaré incompétent en 1969. Et aucun appel de cette décision n’a été formé par la société, qui n’a pas non plus saisi le juge judiciaire. 

En 2003, alors que l’action en rétrocession était désormais prescrite, la société a, de nouveau, saisi le juge administratif, mais cette fois, d’une demande d’indemnisation de la perte de la plus-value des terrains expropriés en raison de l’augmentation significative de leur valeur depuis 1955, estimée selon elle à environ 3.100.000 d’euros. 

Le Tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande en considérant que le préjudice allégué résultait de la « carence » de la société « à mettre en œuvre les procédures relatives à la rétrocession » (TA Toulon, 11 juin 2009, Société immobilière du Ceinturon, n° 0706388). 

En appel, la Cour administrative d’appel de Marseille a, à l’inverse, considéré qu’une telle demande étant juridiquement fondée au visa des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme (CAA Marseille, 26 mars 2012, Société immobilière du Ceinturon c/ Commune d’Hyères-les-Palmiers, n° 09MA02992).  

La Cour administrative d’appel ayant toutefois considéré que le bien exproprié n’avait pas subi la plus-value alléguée par la requérante, cette dernière a alors saisi le Conseil d’État en invoquant l’incompétence du juge administratif pour se prononcer sur l’indemnisation de la perte de plus-value. 

La Haute juridiction administrative a alors saisi le Tribunal des conflits pour déterminer d’une part, le juge compétent pour connaître de l’action en indemnisation litigieuse et d’autre part, le caractère conforme de l’affectation donnée aux biens (CE, 16 juillet 2014, société Immobilière du Ceinturon, n° 359787).  

Reconnaissant un « bloc de compétence judiciaire », le Tribunal des conflits a considéré que « les tribunaux judiciaires, qui sont compétents pour apprécier si les biens expropriés ont effectivement reçu une affectation conforme à celle définie dans l’acte déclaratif d’utilité publique, le sont également pour condamner, le cas échéant, la collectivité au profit de laquelle a été prononcée la déclaration d’utilité publique en paiement d’une indemnité compensant la perte de plus-value subie par le propriétaire initial ; que, par suite, le litige relève de la compétence des juridictions judiciaires » (TC, 8 décembre 2014, n° C3972)  

Le Conseil d’Etat a alors annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille en considérant que cette dernière avait commis une erreur de droit en se reconnaissant compétente pour statuer sur la requête de la société Immobilière du Ceinturon, puis a rejeté la demande de la société expropriée (CE, 30 décembre 2014, société Immobilière du Ceinturon, n° 359787). 

Dans ce contexte, et par acte du 17 février 2015, la société Immobilière du ceinturon a assigné la commune de Hyères-les-Palmiers devant le Tribunal de grande instance aux fins d’indemnisation de son préjudice résultant de la perte de la plus-value des parcelles expropriées. Saisie en appel, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, a déclaré sa demande irrecevable car prescrite (CA Aix-en-Provence, 17 janvier 2019, n°17/10438) 

La société Immobilière du ceinturon a alors saisi la Cour de Cassation qui a rejeté sa demande en considérant que « l’exproprié n’ayant pas exercé l’action en rétrocession qui lui était ouverte, dans les délais et les conditions prévus par la loi, ne dispose pas d’une action en indemnisation de la privation de la plus-value acquise par le bien non affecté à la destination prévue par la déclaration d’utilité publique, dès lors que, en raison de sa propre inaction, il ne subit aucune charge excessive » (Cass, 3e Civ 19 mars 2020, n°19-13.648). 

Cette décision précise ainsi le lien existant entre la mise en œuvre du droit de rétrocession prévue à l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (C.Exp) et l’action pour perte de plus-value. 

Pour mémoire, dans l’état antérieur de sa jurisprudence, la Cour de cassation avait considéré qu’il importait peu qu’aucune décision judiciaire reconnaissant l’existence d’un droit à rétrocession ne soit intervenue, dès lors que la privation d’une plus-value constituait une charge excessive justifiant l’indemnisation dont elle a souverainement fixé le montant (Cass, 3e Civ, 12 Février 2014, n° 13-14.180). 

Précédemment, s’agissant d’une espèce dans laquelle les expropriés avaient assigné l’expropriant au paiement d’une indemnité correspondant à la plus-value acquise sans avoir au préalable intenter d’action en recouvrement, elle avait jugé qu’une telle action pour perte de plus-value visait simplement à « tirer les conséquences de l’absence d’utilisation du terrain à l’usage auquel il était destiné en rétablissant les expropriés dans leur droit à ne pas subir une charge excessive du fait de l’expropriation » (Cass 3e Civ, 20 juin 2007, n° 06-12.569),  

Dans sa décision du 19 mars 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation sanctionne donc l’inaction de la société requérante en considérant qu’il lui revenait d’exercer l’action en rétrocession qui lui était ouverte, et qu’à défaut, elle ne disposait plus d’une action en indemnisation de la privation de la plus-value acquise par le bien non affecté à la destination prévue par la déclaration d’utilité publique. 

Cet arrêt ne manque pas d’interroger dès lors qu’en suivant le raisonnement de la Cour, l’inaction de l’exproprié vide la charge de l’expropriation de son caractère excessif.