le 16/04/2015

La transposition des directives « Marchés » et « Concessions » en droit interne

Le 11 février 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté trois nouvelles directives : une directive portant sur l’attribution des contrats de concession (directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014) et deux directives concernant la passation des marchés publics, abrogeant les précédentes directives 2004/17/CE et 2004/18/CE (directives 2014/24/UE pour les marchés « classiques » et 2014/25/UE pour les marchés passés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux).

Fruits de deux années de discussions, ces directives ont principalement pour objet, s’agissant des directives « Marchés », d’accroître l’efficacité de la dépense publique, de permettre aux acheteurs d’utiliser les marchés publics au soutien d’objectifs environnementaux et sociaux et de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises (PME ) à la commande publique ; et, s’agissant de la directive « Concessions », de réduire l’insécurité juridique entourant la procédure d’attribution des contrats de concession en prévoyant un encadrement inédit de celle-ci dans le but de promouvoir un meilleur accès des entreprises européennes au marché des concessions.

En application des dispositions de ces directives (1), les Etats membres disposent d’un délai de deux ans suivant leur date d’entrée en vigueur, c’est-à-dire jusqu’au 18 avril 2016 au plus tard, pour les transposer.

Dans ce contexte, la France s’est d’ores et déjà engagée dans un processus de transposition « par étapes », qui devrait aboutir, dans les prochains mois, à l’adoption de deux ordonnances de transposition et de leurs décrets d’application en matière de marchés publics d’une part, et de concessions, d’autre part.

I- Une transposition « par étapes »

Lors d’un colloque, organisé le 12 mars 2014, Pierre Moscovici a donné le coup d’envoi de la transposition des nouvelles directives en matière de commande publique en annonçant une transposition « par étapes successives » : à bref délai, adoption d’un décret permettant la transposition de mesures de simplification concernant la passation des marchés publics ; puis, transposition de la partie législative des directives via une habilitation à procéder par voie d’ordonnance s’agissant des directives « Marchés » et via un projet de loi s’agissant de la directive « Concession » ; enfin, regroupement de l’ensemble des textes applicables en matière de commande publique dans un Code unique.

Ces trois étapes ont, à ce jour, globalement été respectées puisque :

Le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics a permis la transposition, de manière accélérée, de certaines dispositions des directives « Marchés » relatives à la présentation et à la sélection des candidats, à l’attribution de marchés publics, ainsi qu’à la promotion de l’innovation.

En ce sens, ce décret a modifié le Code des marchés publics et les décrets d’application de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics en y intégrant des mesures permettant non seulement le plafonnement des exigences des acheteurs publics relatives à la capacité financière des entreprises, mais également l’allègement des dossiers de candidature par l’interdiction, pour l’acheteur public, de demander des documents justificatifs qu’il peut produire directement par le biais d’une base de données ou d’un espace de stockage numérique et la possibilité, pour les entreprises ne pas fournir des documents ou renseignements déjà communiqués dans le cadre d’une précédente procédure (règle dite du « Dites-le nous une fois »).

En outre, ce même décret a introduit, dans le Code des marchés publics (2) et dans les décrets d’application de l’ordonnance précitée du 6 juin 2005 (3) le partenariat d’innovation, nouveau type de marché public ayant pour objectif de faciliter la passation de marchés publics à visée innovante et d’aider les acheteurs publics à faire une meilleure utilisation stratégique de leurs marchés pour stimuler l’innovation.

Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er octobre 2014.

– La loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives a, ensuite, habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures de transposition de niveau législatif des directives « Marchés ».  En application de cette mesure, un projet d’ordonnance a été élaboré par le Gouvernement (cf. infra). Et, comme cela a été annoncé par la Direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère de l’économie et des finances, ce projet d’ordonnance devrait être soumis, pour avis, au Conseil d’Etat d’ici la fin du mois d’avril prochain ; l’objectif recherché étant de publier cette ordonnance dans le courant des mois de juin ou de juillet prochain afin d’adopter, d’ici la fin de l’année 2015, plusieurs décrets d’application de cette ordonnance.

– En outre, tout récemment, l’article 57 du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet de loi Macron), adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, actuellement en cours de lecture au Sénat, prévoit d’autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la transposition de la directive « Concessions ». Il est intéressant de noter, s’agissant de ce projet d’article, qu’afin de prendre en compte les inquiétudes exprimées par l’Association des maires de France et certains partenaires privés des collectivités territoriales, un amendement du sénateur du Cher, François Pillet, a permis de préciser  que l’objectif de cette transposition serait bien de mettre en cohérence et de simplifier les règles communes aux différents contrats de la commande publique qui sont qualifiés, en droit communautaire, de contrats de concessions, « sans remettre en cause les règles applicables aux contrats n’entrant pas dans le champ de la directive » communautaire.

 Enfin, lors d’un colloque organisé au début du mois d’avril 2015, les représentants de la DAJ du Ministère de l’économie et des finances ont réaffirmé la volonté des pouvoirs publics français d’élaborer un Code unique de la commande publique en précisant toutefois qu’aucune échéance n’était programmée pour l’adoption de ce futur code.

II- Le projet d’ordonnance sur les marchés publics

Partant du constat qu’en droit interne, les textes relatifs aux « marchés publics », au sens des directives européennes, sont nombreux (4) et rendent donc leur application complexe, le projet d’ordonnance relative aux marchés publics a, tout d’abord, vocation à unifier les règles de passation de ces contrats en supprimant la dichotomie entre les règles issues du Code des marchés publics de celles figurant dans l’ordonnance précitée du 6 juin 2005 et ses décrets d’application (cf. article 8 du projet d’ordonnance).

En outre, le projet d’ordonnance réforme en profondeur le régime des contrats de partenariat et ce, à plusieurs égards : il unifie et consolide les différentes formules contractuelles existantes au profit d’une forme unique, générique et transversale, le contrat de partenariat, dont la qualification juridique comme marché public pourrait être consacrée par un changement d’appellation en « marché de partenariat » (cf. articles 58 à 82 du projet d’ordonnance).

Enfin, la transposition des directives « Marchés », au travers du projet d’ordonnance, a notamment pour effet de :

– Clarifier le champ d’application des règles de la commande publique en excluant expressément certains marchés publics pour lesquels l’application des règles du Code des marchés publics faisait débat (contrats d’emprunt notamment et certains marchés publics de services juridiques) (cf. articles 11 et 12 du projet d’ordonnance), et en codifiant la jurisprudence communautaire et nationale relative aux relations de quasi-régie et à la coopération entre pouvoirs adjudicateurs (cf. articles 15 et 16 du projet d’ordonnance) ;

– Faciliter l’accès des PME à la commande publique en élargissant la règle de l’allotissement obligatoire à l’ensemble des acheteurs entrant dans son champ d’application, en ce compris les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices à ce jour soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 et à ses décrets d’application (cf. article 27 du projet d’ordonnance) ;

– Promouvoir l’insertion de clauses sociales et environnementales conformément aux nouvelles directives européennes qui consacrent la possibilité pour les acheteurs publics d’avoir des exigences spécifiques et de prévoir des conditions particulières concernant l’exécution de leur marché, notamment dans le domaine environnemental, social ou de l’emploi, dès lors que ces conditions sont liées à l’objet du marché (cf. article 31 du projet d’ordonnance). L’objectif visé par le Gouvernement est ainsi de « faire de la commande publique un levier privilégié des politiques sociales et environnementales » (5) ;

– Etendre le champ des marchés publics réservés aux opérateurs économiques qui emploient des personnes handicapées ou défavorisées ainsi que, pour les marchés de service uniquement, aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (cf. articles 29 et 30 du projet d’ordonnance) ;

– Encadrer l’exécution des marchés publics en rappelant les règles régissant la conclusion des avenants en cours d’exécution des marchés et en listant un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles un marché public peut être résilié (cf. articles 56 et 57 du projet d’ordonnance).

III- Le projet d’ordonnance sur les contrats de concession

Le futur texte de transposition de la directive « Concessions » devrait, quant à lui, avoir vocation à régir tous les contrats qui constituent des contrats de concession au sens du droit communautaire, c’est-à-dire tout contrat conclu en vue de la réalisation d’un équipement ou la de la gestion d’un service prévoyant le transfert d’un risque d’exploitation au concessionnaire. En ce sens, la future ordonnance de transposition de la directive « Concessions » devrait donc s’appliquer aux contrats qualifiés, en droit interne, de délégation de service public au sens de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (dite « loi Sapin »), aux concessions de travaux soumises à l’ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics, aux concessions d’aménagement régies par les dispositions du Code de l’urbanisme, mais également aux concessions de service, à condition que le montant de ces contrats soit supérieur au seuil communautaire de 5.186.000 € HT et que le secteur dans lequel ils sont conclus n’est pas exclu du champ d’application de la directive « Concessions » (eau, services juridiques, transport aérien et communications électroniques notamment).

En deçà de ce montant et dans les secteurs expressément exclus par la directive « Concessions », les pouvoirs publics français ont précisé que les principes définis dans la loi Sapin devraient continuer à s’appliquer.

Pour les autres concessions, les règles régissant leur procédure de passation devraient être relativement proches de celles applicables aux marchés, au travers de la présentation de « garanties de procédure » renforcées : publication d’un avis de concession et d’attribution, prise en compte d’un délai minimum de réception des candidatures et des offres, identification de critères d’attribution qui devront être hiérarchisés, vérification des conditions de participation au travers d’un examen des niveaux de capacité et des interdictions de soumissionner, information des candidats évincés.

En cela, les praticiens devraient se confronter, tout au moins pour les concessions les plus importantes, à un régime de passation mais également d’exécution plus contraignant ; sur ce dernier point, la durée des contrats de concession pouvant être limitée et le recours à des avenants sans mise en concurrence préalable pouvant être restreint à des hypothèses limitativement énumérées.

Pour le reste, une liberté semble pouvoir être donnée sur le choix de la procédure à mettre en œuvre et, notamment, sur le recours à la négociation, ce qui devrait être de nature à rassurer les autorités concédantes.

Conclusion :

Si le calendrier annoncé par la DAJ du Ministère de l’économie et des finances est respecté, nous devrions donc connaître, d’ici les tous prochains mois, une petite « révolution » dans le domaine de la commande publique.

La transposition des directives communautaires relatives aux marchés publics et à l’attribution des contrats de concession devrait, en effet, permettre une simplification et une harmonisation des règles actuelles régissant les marchés passés par les acheteurs publics soumis au Code des marchés publics ainsi que ceux soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005. En outre, un véritable régime juridique unifié des contrats de concession devrait être institué.

Ce processus de transposition devrait enfin s’achever par l’élaboration d’un Code unique de la commande publique, à une échéance qui n’a toutefois, à ce jour, pas encore été dévoilée.

Nathalie RICCI, avocat à la cour

(1) Article 51 de la directive 2014/23/UE, article 90 de la directive 2014/24/UE et article 106 de la directive 2014/25/UE.
(2) Articles 70-1 à 70-3 pour les pouvoirs adjudicateurs et articles 142 et 168-3 pour les entités adjudicatrices.
(3) Article 41-4 à 41-6 du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 relatif aux marchés passés par les entités adjudicatrices mentionnées à l’article 4 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics et du décret n°2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l’article 3 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.
(4) On retrouve, parmi ces textes, le Code des marchés publics, l’ordonnance du 6 juin 2005 et ses décrets d’application ainsi que l’ensemble des textes régissant les contrats de partenariat public-privé.
(5) Fiche d’impact sur le projet d’ordonnance relative aux marchés publics, page 49.