le 18/03/2021

La titularité des droits d’auteur dans le monde de la mode : quid de la situation d’un styliste salarié ?

CA Paris, 5 mars 2021, n° 19/17254 

L’arrêt « Comptoir des Cotonniers » rendu le 5 mars 2021 illustre la problématique de la revendication récurrente de leur droit d’auteur par des stylistes salariés sur des créations pourtant souvent issues d’un processus de création collectif.

En l’espèce, la société Créations Nelson, devenue Comptoir des Cotonniers, spécialisée dans le prêt-à-porter et les accessoires de mode, a engagé suivant contrat de travail une personne physique en qualité de styliste rattaché à la direction du style pour les accessoires (maroquinerie, chaussures, divers).

Ce styliste, soutient être depuis son recrutement le seul styliste pour les accessoires et revendique à ce titre la création, en septembre 2014, d’une paire de baskets vintage, qu’il indique avoir réinterprétée en la déstructurant totalement pour parvenir à une forme innovante et originale. Il ajoute avoir créé des variantes de cette chaussure, comportant toutes une semelle d’inspiration léopard, et avoir conçu, pour l’emballage de ces baskets, une boite/sac sur laquelle est représenté un croquis du modèle et d’où sortent des lacets. Il précise enfin que sa création, successivement dénommée, Virgule, Vorgule, Tirgule puis Slash, a été présentée dans la collection Printemps-Eté 2015 de la société Comptoir des Cotonniers et mise en production à la fin du mois de mars 2015.

Ce styliste a alors mis en demeure la société Comptoir des Cotonniers de lui reconnaître ses droits d’auteur. La société Comptoir des Cotonniers s’y est refusée, faisant valoir que la qualité d’auteur de la basket Slash appartient à la personne au poste de directrice artistique au sein de la société.

Pour comprendre cette revendication, il suffit de reprendre les termes du premier article du Code de propriété intellectuelle L.111-1 qui pose le principe que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous et, en son alinéa 3, que « l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code ».

Malgré l’absence d’ambiguïté du principe posé, certaines juridictions soutenues par une partie de la doctrine ont marquées leur aversion pour ce texte et c’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a pu affirmer qu’« il est constant que le contrat de travail consenti à un créateur salarié entraîne la cession des droits patrimoniaux d’auteur à son employeur » (CA Paris, 5 oct. 1989 : JurisData n° 1989-025280).

La Cour de cassation n’a eu d’autre choix que d’intervenir afin de faire cesser ces pratiques contra legem et rappeler le principe « l’existence d’un contrat de travail conclu par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance de ses droits de propriété incorporelle, dont la transmission est subordonnée à la condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à la durée » (Cass. 1re civ., 16 déc. 1992, n° 91-11.480).

La jurisprudence est donc désormais constante « tout salarié reste donc juridiquement propriétaire des œuvres qu’il crée, alors même que ses créations se font dans l’exercice de ses fonctions ou sur instruction de son employeur » (CA Versailles, 8 oct. 2015, n° 13/02109) ; ainsi, « l’existence d’un contrat de travail n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit de propriété intellectuelle de l’auteur et que la qualité de salarié n’est pas incompatible avec la qualité d’auteur » (Cass. soc., 11 mai 2016, n° 14-26.507).

Ce principe est réaffirmé ici par la Cour d’appel : « l’existence d’un contrat de travail n’est pas exclusive de la protection par le droit d’auteur et le salarié est investi des droits de propriété incorporelle institués au bénéfice de l’auteur pour peu qu’il ait fait œuvre de création en conservant sa liberté et sans que les choix esthétiques opérés ne lui aient été imposés par l’employeur ».

Toutefois, la Cour a rejeté les revendications du styliste au regard des faits de l’espèce et notamment de l’attestation fournit par la Directrice artistique de la société Comptoirs des cotonniers décrivant précisément le processus habituel de création notamment desdites baskets et démontrant le caractère collectif des choix et décisions faits tout au long de l’élaboration du produit.

La Cour constate que le salarié n’a pu démontrer qu’avoir désigné le croquis de la basket sous la supervision de la directrice artistique « en charge de définir et de mettre en œuvre la ligne stylistique pour le prêt-à-porter et les accessoires et, à ce titre, de donner au styliste une direction dans le cadre d’échanges verbaux et de réunions de travail ».

Au vu des autres attestations versées aux débats, la Cour a estimé que la basket litigieuse résultait d’un travail en collaboration avec l’équipe de style sous la subordination de la directrice de style.

Par conséquent, la Cour confirme que lorsque le processus créatif est généralement collaboratif avec des consignes en amont et des validations en aval les créations entrent dans le cadre des œuvres collectives prévues par l’article L113-2, al. 3 du Code de la propriété intellectuelle.

Manon Boinet