Nous avions déjà exprimé des réserves quant à la prétendue mort de la méthode dite « des trois devis » dans notre commentaire sur la décision rendue par le Juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Strasbourg en mai dernier[1]. Pour rappel, celui-ci avait considéré que le fait de solliciter trois devis caractérisait de facto une procédure adaptée au sens du Code, pour laquelle le recours au critère unique du prix était irrégulier compte tenu de l’objet du marché.
La Cour administrative d’appel de Nantes, à rebours de cette décision, valide au contraire le recours à cette pratique.
Dans cette espèce, il était à nouveau question de la passation d’un marché public dont le montant était inférieur aux seuils prévus à l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique. Dans pareil cas, aucune exigence de publicité ni mise en concurrence préalable n’est alors opposable, le seul impératif étant de choisir une offre pertinente en veillant, pour l’acheteur, à faire une bonne utilisation des deniers publics[2].
C’est précisément pour tenir compte de cette exigence qu’en l’espèce, la commune avait sollicité trois devis auprès de chaque opérateur intéressé. Et la même question a été posée au Juge : cette modalité assujettissait-elle l’acheteuse aux règles de la procédure adaptée au sens du Code de la commande publique ?
Non, répond la Cour administrative d’appel de Nantes. La seule circonstance que la commune ait demandé la production de trois devis « n’implique pas [qu’elle] ait entendu se placer dans le cadre d’une procédure adaptée impliquant une mise en concurrence. La consultation de différents devis avait uniquement pour but de respecter les critères posés par l’article 142 de la loi du 7 décembre 2020 tirés du choix d’une offre pertinente, en faisant une bonne utilisation des deniers publics »[3].
Cette solution est heureuse car elle préserve l’utilité de cette méthode pour les acheteurs publics. Le débat n’est peut-être pas définitivement clos – un pourvoi sera peut-être introduit – mais il a du plomb dans l’aile.
La position nous semble d’ailleurs parfaitement logique et adaptée à la nécessité d’assurer le respect des dispositions de l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique au terme duquel « l’acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin » pour les prestations en dessous des seuils. Le recours à trois devis n’est que la conséquence matérielle de cette obligation légale et il est une différence entre organiser une concurrence même minimale pour le choix d’une offre pertinente, et l’organisation d’une procédure de mise en concurrence, même adaptée, avec publicité minimale et, cette fois, l’obligation d’indiquer les critères de choix des offres et solliciter les candidats en même temps (la Cour prend soin de le préciser : « les requérants ne peuvent davantage utilement soutenir que la commune aurait dû communiquer aux entreprises contactées pour produire des devis les critères de choix des offres et les solliciter tous au même moment »).
La position ne nous semble pas non plus contradictoire avec celle qui avait été posée par la Cour administrative d’appel de Douai dans sa décision de 2012[4] : dans cette affaire, la Commune avait elle-même décidé de conclure un marché à procédure adaptée, en l’indiquant en tant que tel aux candidats, mais sans toutefois assurer la transparence des critères de sélection pourtant indispensable dans le cadre de cette procédure. C’est ce que la Cour avait censuré (« les demandes de devis […] indiquaient les caractéristiques [du matériel attendu] sans leur faire connaître les critères […] sur lesquels elle se serait fondée pour retenir l’une des offres en concurrence ; que le marché en cause a, par suite, été attribué à l’issue d’une procédure menée en méconnaissance des principes énoncés ci-dessus ») et non le recours à plusieurs devis pour un marché conclu en dessous du seuil de procédure adaptée.
En conséquence, pour des prestations en deçà du seuil de 40.000 € HT, l’acheteur peut recourir à un seul opérateur ou, pour favoriser le respect des dispositions de l’article
R. 2122-8 du Code, solliciter plusieurs devis auprès d’opérateurs différents. Mais s’il se place dans le cadre d’une procédure adaptée, parce qu’il annonce les critères de sélection ou qu’il se fonde sur les dispositions du Code qui la régissent, alors la procédure de trois devis devient hasardeuse.
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[1] S. COUVREUR, Achats de moins de 40.000 € HT : qui peut le plus peut le moins ? ; TA Strasbourg, 16 mai 2024, req. n° 2108389.
[2] Article R 2122-8 al. 2 du Code de la commande publique.
[3] CAA Nantes, 7 février 2025, n° 24NT00896, cons. n°3.
[4] CAA Douai, 31 décembre 2012, req. n° 11DA00590.