Aide aux victimes
le 19/09/2024
Marine ALLALI
Antoine SAUVESTRE-VINCI

La mue en demi-teinte de la garde à vue : une évolution inachevée des droits du mis en cause

Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole (article 32)

Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027

Par les lois en dates du 20 novembre 2023 et du 22 avril 2024, le législateur a opéré des évolutions limitées dans l’exercice des droits accordés à la personne gardée à vue tout en généralisant la visio-conférence (I°) et en modifiant les conditions d’intervention de l’avocat lors de cette mesure (II°).

I – Sur l’exercice des droits accordés à la personne gardée à vue

  • Le droit d’informer du placement « toute personne»

L’ancienne version de l’article 63-2 du Code de procédure pénale prévoyait ce même droit d’information, appelé dans la pratique « avis famille », mais exclusivement à l’égard des personnes expressément visées par ce texte (concubin, parent, frère/sœur, employeur et, en cas de nationalité étrangère, les autorités consulaires).

Afin de mettre en conformité le droit français avec les articles 5 et 6 de la directive du 22 octobre 2013, le législateur est intervenu pour étendre le droit de communication de la personne gardée à vue avec « toute personne qu’elle désigne », comme le précise le nouvel alinéa 1er de l’article 63-2 du Code de procédure pénale. Pour autant, une limite est immédiatement apportée à ce principe puisque le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction, selon les cas, conserve la faculté de différer ou de ne pas délivrer l’avis au tiers ainsi désigné, dès lors que ce report ou ce refus est motivé « par les nécessités de l’enquête ou la prévention d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou à la liberté d’une personne ».

  • Le droit de communiquer avec toute personne

Si un tel avis a bien été délivré, la personne placée en garde à vue peut communiquer avec ledit tiers pendant le temps de la garde à vue, sur autorisation et contrôle de l’enquêteur. L’article 63-2 du Code de procédure pénale, dans sa nouvelle version, est applicable pour toutes les mesures de garde à vue à compter du 1er juillet 2024 et doit être notifié. Des gardes à vue ont d’ailleurs déjà été annulées par les juridictions pénales sur ce fondement en l’absence de notification complémentaire de ces droits.

  • L’introduction de la téléconsultation en cas d’examen médical de prolongation et/ou de recours à un interprète

La visio-conférence, déjà présente, en cas de présentation au magistrat lors de la prolongation de la mesure, gagne un peu plus de place et concerne désormais, dans certains cas, l’examen médical de compatibilité au stade de la prolongation, et même, le recours à l’interprète. Si la mesure de garde à vue est prolongée, le nouvel alinéa 5 de l’article 63-3 du Code de procédure pénale précise que l’examen médical pourra, sur autorisation du procureur de la République, avoir lieu par vidéotransmission ou tout autre moyen de télécommunication audiovisuelle, et ce, même si aucun examen médical n’est intervenu au moment du placement initial en garde à vue.

L’accord exprès de la personne gardée à vue est exigé pour la tenue de l’examen médical à distance dans l’hypothèse où elle a sollicité celui-ci, si l’examen a eu lieu à la demande d’un tiers, ce dernier devra donner son accord. Pour autant, lorsque le professionnel de santé requis estime nécessaire de procéder à un examen physique de l’intéressé, il peut librement refuser ou mettre fin à l’examen à distance, et ce, à tout moment de la vidéotransmission. Cette décision du médecin s’impose à l’officier de police judiciaire et au procureur de la République. L’alinéa 6 de l’article 63-3 détaille les différents cas où la téléconsultation de l’examen médical n’est pas applicable (mineur, personne enceinte, vulnérabilité apparente ou connue).

Sur le même principe, les nouvelles dispositions de l’article 803-5 du Code de procédure pénale, relatif à l’intervention de l’interprète, permettent aux enquêteurs de recourir à un interprète par un moyen de téléconsultation concernant une personne majeure, qui n’est pas soumis à une mesure de protection, celles-ci ont également vocation à s’appliquer en cas d’audition libre. Ce recours à distance peut intervenir pour l’ensemble des actes qui requiert l’assistance de l’interprète et sans qu’il lui soit nécessaire de justifier d’une impossibilité de déplacement dans les locaux des services de police ou de gendarmerie, la problématique de l’assistance à distance à l’entretien avocat n’est pas réglée pour l’heure. Au-delà de la 48ème heure de garde à vue, le recours à un interprète à distance ne pourra être possible que si deux conditions cumulatives sont réunies : l’impossibilité pour ce dernier de se déplacer et l’autorisation du magistrat en charge de la procédure.

Ces dispositions nouvelles entreront en vigueur à compter du 30 septembre 2024 et un décret en Conseil d’Etat précisera ses modalités d’application. Ce nouveau recours à la visioconférence ne peut qu’inquiéter les professionnels du droit, qui peuvent légitimement craindre des atteintes aux droits de la défense.

II – Sur les modalités renouvelées du droit à l’assistance par un avocat

L’ancienne version de l’article 63-4-2, 1er alinéa du Code de procédure pénale précisait que si la personne gardée à vue exerçait son droit à être assistée par un avocat, aucune audition sur le fond de l’affaire ne pouvait intervenir avant l’expiration d’un délai de carence de 2 heures, délai permettant à l’avocat de se présenter dans les locaux de police ou de gendarmerie après avoir été avisé. En pratique, ce délai était celui laissé à l’avocat pour arriver dans les locaux de police ou de gendarmerie. Ce dernier a été purement et simplement supprimé par la loi nouvelle posant le principe de l’impossibilité pour les enquêteurs de réaliser une audition sur les faits reprochés sans la présence de l’avocat choisi ou commis d’office, sauf renonciation expresse de la personne gardée à vue mentionnée au procès-verbal.

De nouveau, ce principe subit une forte exception puisqu’en cas d’impossibilité pour les enquêteurs de joindre l’avocat choisi par la personne gardée à vue ou si ce dernier ne peut pas se déplacer dans un délai raisonnable, notion subjective dont la jurisprudence future déterminera les limites, l’officier de police judiciaire doit saisir le bâtonnier afin qu’un avocat commis d’office soit désigné en remplacement. En miroir, l’avocat ainsi désigné est dans obligation d’accomplir « les diligences requises pour se présenter sans retard indu ».

En outre, le procureur de la République dispose toujours de la possibilité d’autoriser que cette audition débute sans attente, si cette décision est indispensable soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne.