le 04/06/2015

La mise en place progressive de la nouvelle méthode de fixation des tarifs réglementés de vente de l’électricité

CE, Ordonnance, 7 janvier 2015, ANODE, n° 386076

Aujourd’hui coexistent toujours sur le marché français de la fourniture d’électricité des tarifs réglementés de vente, fixés par arrêté ministériel, que seuls les opérateurs dits « historiques » (la société EDF et les entreprises locales de distribution) peuvent appliquer dans le cadre d’un monopole légal, et des offres de marché que l’ensemble des opérateurs, y compris les fournisseurs dits « alternatifs », peuvent proposer. Depuis 2007, tous les consommateurs peuvent librement choisir leur fournisseur. Mais, en pratique, les contrats souscrits aux tarifs réglementés représentent encore l’écrasante majorité du marché de l’électricité (voir l’observatoire des marchés de détail de l’électricité et du gaz du troisième trimestre 2014, www.cre.fr).

C’est donc dans le souci de faciliter l’ouverture à la concurrence de ce marché que le législateur a prévu que les tarifs réglementés de vente d’électricité soient progressivement calculés en tenant compte des conditions du marché, selon une méthode dite d’empilement des coûts. L’article L. 337-6 du Code de l’énergie prévoit ainsi que ces tarifs soient établis « en tenant compte de l’addition du prix d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d’électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d’acheminement de l’électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale […] ». A cette fin, les règles de calcul des tarifs réglementés de vente de l’électricité ont récemment été modifiées par le décret n° 2014-1250 du 28 octobre 2014 modifiant le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité. Les premiers tarifs réglementés fixés en application de ces nouvelles règles ont fait l’objet d’un recours contentieux.

L’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Energie (ANODE), qui regroupe les fournisseurs alternatifs en gaz et électricité, a en effet contesté la légalité de l’arrêté du 30 octobre 2014 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité par un recours pour excès de pouvoir assorti d’une demande de suspension formulée en application des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. Habituée du prétoire du juge administratif, l’ANODE avait déjà demandé la suspension de l’arrêté du 28 juillet 2014 modifiant l’arrêté du 26 juillet 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité comme de précédents arrêtés relatifs aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel.

Estimant que les premiers tarifs édictés sur le fondement de la nouvelle méthode de calcul n’étaient pas suffisamment élevés, l’ANODE en a sollicité la suspension. Rappelant que la méthode de l’empilement des coûts doit être conciliée avec le principe de couverture des charges des opérateurs historiques (I), le Conseil d’Etat a admis un doute sérieux sur la légalité des tarifs dits « verts » tout en refusant de les suspendre faute d’urgence (II).     

I. L’articulation entre la méthode d’empilement des coûts et le principe de la couverture des charges des fournisseurs historiques

L’objectif de la nouvelle méthode de calcul des tarifs réglementés de vente de l’électricité est de fixer un niveau de ces tarifs qui soit représentatif des conditions de fourniture en offre de marché et d’améliorer ainsi la contestabilité desdits tarifs, c’est-à-dire de mettre les fournisseurs alternatifs en mesure de proposer des prix compétitifs par rapport aux tarifs réglementés. Néanmoins, cette méthode d’empilement des coûts coexiste encore aujourd’hui avec le principe de couverture des coûts supportés par les opérateurs historiques pour la fourniture aux tarifs réglementés, tel que posé à l’article L. 337-5 du Code de l’énergie. L’article 3 du décret du 12 août 2009 modifié prévoit ainsi expressément qu’il est procédé à l’empilement des coûts « sous réserve de la prise en compte des coûts de l’activité de fourniture de l’électricité aux tarifs réglementés d’Electricité de France et des entreprises locales de distribution ». Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat est venu confirmer que, jusqu’au 31 décembre 2015, la méthode d’empilement des coûts et le principe de couverture des coûts complets des opérateurs historiques doivent être appliqués de manière cumulative. Il a fourni certaines précisions s’agissant de la mise en oeuvre combinée de ces méthodes.

Tout d’abord, il a retenu une interprétation souple du principe de couverture des coûts en considérant qu’il n’implique pas nécessairement de retenir les coûts complets constatés dans la comptabilité des fournisseurs. Il en a déduit que la seule circonstance que les tarifs fixés par l’arrêté contesté ne couvrent pas intégralement ces coûts complets pour la période tarifaire à venir ne suffit pas à créer un doute sérieux sur la légalité de cet arrêté, tout en relevant également que la rémunération d’EDF diminue de l’ordre d’un tiers sur ladite période. Ce faisant, il a confirmé la position de l’Autorité de la concurrence qui considère que l’objectif de couverture des coûts peut être atteint en diminuant la marge de rémunération d’EDF (avis n° 14-A-14 du 26 septembre 2014).

Le Conseil d’Etat s’est ensuite penché sur la question du rattrapage des écarts constatés sur les périodes tarifaires passées entre les tarifs réglementés de vente et les coûts complets des fournisseurs historiques. Sur ce point, la Commission de régulation de l’énergie avait affirmé, dans son rapport sur les tarifs réglementés de vente, que le principe de couverture des coûts implique de procéder au rattrapage des écarts constatés avant l’entrée en vigueur de la réforme des tarifs réglementés entre le niveau desdits tarifs et les coûts complets d’EDF, écarts évalués à 509 M€ au titre de l’année 2012 et 627 M€ au titre de l’année 2013. En effet, selon la Commission de régulation de l’énergie, la réforme des tarifs réglementés de vente ne saurait avoir pour effet « d’écarter l’obligation de rattraper ces écarts […] l’obligation de couverture des coûts résultant des dispositions combinées de l’article L. 337-5 et du décret […] implique que les coûts exposés par l’opérateur historique pour la fourniture au tarif réglementé avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif soient pleinement couverts », envisageant ainsi des « rattrapages en masse » pour les prochaines périodes tarifaires (Délibération du 24 septembre 2014).

Le Conseil d’Etat a confirmé l’application de cette règle de rattrapage mais en en retenant une interprétation très souple. Ainsi, s’agissant des tarifs « bleus », qui sont proposés aux consommateurs pour leurs sites raccordés en basse tension de puissance inférieure ou égale à 36 kVA, le Conseil d’Etat a jugé le rattrapage insuffisant tout en estimant qu’il pouvait être échelonné sur plusieurs périodes tarifaires ultérieures. De même, s’agissant des tarifs « jaunes », qui sont proposés aux consommateurs pour leurs sites raccordés en basse tension et dont la puissance maximale souscrite est supérieure à 36 kVA, le Conseil d’Etat a constaté que l’augmentation tarifaire ne permettra de couvrir que la moitié des écarts constatés au titre des années civiles 2012 et 2013. Or, pour ces tarifs, l’échelonnement du rattrapage dans le temps est exclu dès lors qu’ils disparaîtront au 31 décembre 2015 en vertu de l’article L. 337-5 du Code de l’énergie. Mais le Conseil d’Etat a estimé que les ministres n’étaient tenus de procéder au rattrapage que pour la précédente période tarifaire – c’est-à-dire celle écoulée depuis le précédent arrêté du 26 juillet 2013 – et non pour les périodes passées. Ce faisant, il s’est écarté de la position exprimée par la Commission de régulation de l’énergie dans son avis sur l’arrêté du 30 octobre 2014 : selon elle, le rattrapage doit couvrir la totalité de la période 2012 et 2013 (Délibération du 30 octobre 2014).

Cependant, pour les tarifs « verts », qui sont ceux proposés aux consommateurs finals dont les sites sont raccordés en haute tension, la solution retenue est plus complexe.

II.  L’absence d’urgence à suspendre les tarifs « verts »

S’agissant des tarifs « verts », le Conseil d’Etat a considéré que l’absence totale de rattrapage des années passées est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté. Pour décider d’une éventuelle suspension de l’arrêté contesté, il devait néanmoins s’interroger sur l’existence d’une urgence comme le prévoient les dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative.  

Pour juger de la condition d’urgence dans le cadre du référé suspension, le Conseil d’Etat tient compte de trois types d’intérêt que sont l’intérêt public, l’intérêt du requérant, et les intérêts que le requérant entend défendre (CE, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n° 228815).

En l’espèce, s’agissant de la situation économique et financière des membres de l’ANODE, le Conseil d’Etat a estimé que la seule absence de rattrapage pour les tarifs « verts » ne porte pas une atteinte suffisante à leur rentabilité ou à leurs parts de marché. Astucieusement, l’association requérante entendait cependant également fonder l’existence d’une urgence sur les difficultés d’exécution d’une éventuelle annulation au fond de l’arrêté contesté.

Le Conseil d’Etat est venu juger en l’espèce que pour caractériser l’urgence, il n’a pas lieu, pour le juge des référés, « de se fonder sur la seule perspective des difficultés que pourrait créer une possible annulation de cette décision ». Dès lors, constatant que les dispositions de l’article L. 337-9 du Code de l’énergie prévoyaient la disparition des tarifs « verts » en tant que tarifs réglementés susceptibles de porter une hausse et donc l’impossibilité de l’exécution d’une décision d’annulation par une hausse tarifaire, le Conseil d’Etat a reconnu que celle-ci nécessiterait « la mise en œuvre de procédures plus complexes ». Néanmoins, estimant que ces procédures ne concerneraient que « le nombre relativement restreint des grands sites non résidentiels raccordés sous haute tension », il a jugé que « ni les difficultés de refacturation invoquées par l’association requérante ni l’atteinte qu’elle allègue aux intérêts des consommateurs » ne suffisaient à caractériser une urgence.