Environnement, eau et déchet
le 15/05/2025

La légalité des arrêtés-cadres préfectoraux portant sur la règlementation des usages de l’eau dans trois départements bretons

CAA Nantes, 15 avril 2025, n° 23NT01849

Dans trois décisions rendues le 15 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes, saisie par l’association « Eau et Rivières de Bretagne », s’est prononcée sur la légalité des arrêtés-cadres des Préfets du Finistère (décision n° 23NT01849), d’Ille-et-Vilaine (n° 23NT01850) et du Morbihan (n° 23NT01851) portant sur la règlementation des usages de l’eau en période de sécheresse.

Afin de faire face à une menace ou aux conséquences d’accidents, de sécheresse, d’inondations ou à un risque de pénurie, les préfets de département peuvent prendre des arrêtés dits de restriction temporaire des usages de l’eau sur le fondement de l’article R. 211-66 du Code de l’environnement (C. env.). En outre, à titre préventif, l’article R. 211-67 point II du même code précise que le préfet prend un arrêté, dit arrêté-cadre, désignant la ou les zones d’alerte, indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et mentionnant les mesures de restriction à mettre en œuvre par usage, sous‑catégorie d’usage ou type d’activités en fonction du niveau de gravité ainsi que les usages de l’eau de première nécessité à préserver en priorité et les modalités de prise des décisions de restriction. Il résulte des dispositions de cet article, telles que modifiées par le décret n° 2021-795 du 23 juin 2021 et applicables à compter du 25 juin 2021, que l’arrêté-cadre indique également, le cas échéant, les conditions selon lesquelles le préfet peut, à titre exceptionnel, à la demande d’un usager, adapter les mesures de restriction s’appliquant à son usage.

Sur le fondement de ces dispositions, les Préfets du Finistère, d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan ont pris, chacun pour leur département, un arrêté-cadre portant sur la règlementation des usages de l’eau.

L’association requérante a alors saisi la Cour administrative de Nantes afin de demander l’annulation du jugement du Tribunal administratif de Nantes qui n’avait fait droit que très partiellement à sa demande d’annulation des arrêtés en cause en première instance.

La Cour a écarté plusieurs moyens soulevés par l’association :

  • S’agissant d’abord du moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’article R. 122-17 du Code de l’environnement et de l’absence de soumission des arrêtés-cadres à évaluation environnementale, la Cour a jugé que ces arrêtés ne pouvaient être considérés comme des plans et programmes soumis à évaluation environnementale au sens de l’article L. 122-4 du Code de l’environnement car ils n’ont ni pour objet ni pour effet de définir le cadre de mise en œuvre de travaux ou projets.

De plus, selon la Cour, ces arrêtés ne devaient pas faire l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 dès lors qu’aucun site de ce type n’était affecté.

  • Ensuite, l’association soutenait que les stations de référence retenues par les arrêtés des Préfets du Finistère et du Morbihan, permettant de déterminer le franchissement des seuils par zone d’alerte n’étaient pas adaptées. La Cour a retenu une interprétation contraire aux motifs que :
    • Pour le Finistère, elles constituaient le réseau de vigilance Vigicrues ayant permis une collecte de données pertinentes pour assurer un mesurage des débits d’étiage des cours d’eau dans le département et sont, pour certaines, retenues comme des références par le schéma directeur de gestion des eaux ;
    • Pour le Morbihan, elles faisaient l’objet d’un suivi par la direction régionale de l’environnement et étaient confrontées aux données recueillies par le bureau de recherche géologique et minière et l’office français de la biodiversité ;
  • Enfin, la Cour a jugé que le Préfet du Morbihan pouvait légalement instituer, au titre de son pouvoir général d’organisation des services, un comité technique des producteurs d’eau, ce dernier étant doté d’un rôle purement consultatif.

Seul le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 211-67 du Code de l’environnement relatif aux conditions d’adaptation des mesures de restriction a été accueilli par la Cour, s’agissant des arrêtés-cadres des Préfets du Finistère et du Morbihan.

La Cour a d’abord jugé que les arrêtés-cadres pouvaient prévoir que les mesures de restriction puissent être adaptées en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques réelles et de la période de l’année, sans que cela ne porte atteinte au principe même de l’arrêté-cadre. En outre, s’agissant du Finistère et du Morbihan, elle a précisé que le recours exclusif aux données météorologiques, recueillies sur de nombreuses années, était adapté et précis, et que ces données ne devaient pas être contextualisées avec le paramètre d’évapotranspiration par les plantes.

Cependant, selon la Cour, les arrêtés des Préfets du Finistère et du Morbihan ne pouvaient être regardés comme définissant les conditions de fond dans lesquelles le préfet pourra adapter les mesures de restriction car :

  • Pour le Finistère, la mention exclusive indiquant que le préfet pourra adapter la liste et le contenu de ces mesures en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques et de la période de l’année ainsi que l’indication du service compétent et du délai de dépôt de la demande n’étaient pas suffisantes ;
  • Pour le Morbihan, l’arrêté s’est borné à préciser que le préfet pourra exceptionnellement accorder des dérogations au cas par cas.

Ainsi, la Cour a prononcé l’annulation partielle de ces arrêtés, mais seulement en tant qu’ils n’ont pas défini de manière suffisamment précise les conditions de fond dans lesquelles doivent être examinées les demandes d’adaptation des mesures de restriction.

S’agissant enfin de l’Ille-et-Vilaine, la solution retenue est différente dans la mesure où l’arrêté en cause avait été adopté avant l’intervention du décret du 23 juin 2021, précité. En effet, les dispositions invoquées du Code de l’environnement, applicables à la date à laquelle l’arrêté-cadre du 11 juin 2021 avait été adopté (c’est-à-dire avant le décret en cause), ne prévoyaient pas que les arrêtés-cadres devaient définir les conditions, tant de procédure que de fond, dans lesquelles devaient être examinées les demandes d’adaptation. Le juge n’a ainsi pas fait droit à la demande de l’association d’annuler l’arrêté querellé pour ce motif. En outre, la juridiction a considéré que la circonstance que l’arrêté contesté ne prévoyait pas les conditions de fond dans lesquelles des dérogations puissent être accordées n’était pas, par elle-même de nature à établir une méconnaissance du principe d’égalité.