le 19/10/2021

La jurisprudence « Thalamy » : limite aux possibilités de régularisation ou d’annulation partielle des autorisations d’urbanisme (art. L. 600-5-1 et L. 600-5 du Code de l’urbanisme)

CE, 6 octobre 2021, n° 442182

Dans cette affaire, il était question d’une construction érigée en application de plusieurs autorisations d’urbanisme, mais dont le propriétaire s’était quelque peu écarté, puisque le propriétaire avait fait construire un garage sans autorisation, avait transformé un toit initialement prévu en toit terrasse en une toiture à pans inclinés, et avait modifié sans autorisation les ouvertures de la façade nord du bâtiment.

En 2017, la société a sollicité une demande de permis de construire en vue, notamment, d’apporter de nouvelles modifications au garage et à la toiture, et a donc obtenu un permis de construire objet du contentieux présenté devant le Conseil d’Etat dans le cadre de cette affaire.

Pour annuler le permis, le Tribunal administratif a, en application de la jurisprudence Thalamy[1], jugé que le permis était illégal, car il ne portait pas sur la régularisation de l’ensemble des changements apportés à la villa en dehors des autorisations obtenues.

Pour se pourvoir en cassation, la pétitionnaire fait notamment valoir qu’en ne faisant pas application des dispositions des articles L. 600-5-1 (permettant de surseoir à statuer en vue d’une régularisation) et L. 600-5 (permettant, le cas échéant, de ne prévoir qu’une annulation partiellement du permis) du Code de l’urbanisme, les juges de première instance auraient commis une erreur de droit.

S’agissant de l’article L. 600-5-1, qui oblige le juge administratif, lorsque les conditions sont réunies, à surseoir à statuer pour inviter le pétitionnaire à régulariser son autorisation, l’obligation d’y avoir recours a été très largement ouverte par les textes[2] et par le Conseil d’Etat[3] ces dernières années.

Il était alors question dans cette affaire de décider si un nouveau pas devait être franchi dans ces possibilités de régularisation, en autorisant la régularisation d’un permis qui ne venait pas corriger l’ensemble des irrégularités de la construction.

Le Conseil d’Etat dans cette affaire répond par la négative, en jugeant que « cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme ou d’une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même Code ».

Si le Conseil d’Etat n’explicite pas très largement cette position qui peut apparaître surprenante, la lecture des conclusions de Vincent Villette, rapporteur public dans cette affaire, éclaire utilement ce raisonnement.

Il évoque deux raisons principales pour rejeter cette possibilité de mise en œuvre des articles L. 600-5-1 et L. 600-5 dans le cas d’une construction réalisée sans autorisation.

D’abord, pour Vincent Villette, accepter de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1 dans ces conditions, « accentuerait le brouillage entre les rôles respectifs de l’administration et de son juge », dans la mesure où « le débat sur le caractère régularisable du vice devrait s’opérer sur des bases inédites, puisque le juge serait alors le premier à appréhender la question de savoir si la construction – prise dans son ensemble – peut prétendre à un permis légal au regard des dispositions applicables à la date à laquelle il statue ». Nous ne croyons pas qu’il s’agisse du principal motif justifiant le refus de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1 en pareille hypothèse.

En réalité, il semble que le Conseil d’Etat n’ait pas envie de faciliter la vie des pétitionnaires indélicats qui ont créé une situation dont ils sont directement responsables, le rapporteur public relevant que « si vous deviez accepter la régularisation Thalamy dans le prétoire, vous inciteriez les pétitionnaires indélicats à ne solliciter une autorisation que pour leurs nouveaux travaux, quitte pour eux à corriger le tir, sans véritable perte de temps, si finalement cette tentative subreptice devait se heurter à la vigilance du juge ».

Ainsi, le refus de franchir ce cap se situe surtout dans la volonté de préserver « la dimension moralisante de la jurisprudence Thalamy » car « l’acte ne découle pas d’une véritable erreur de la part de l’administration, mais plutôt de ce qu’elle a été saisie – sans souvent s’en rendre compte – d’une demande occultant les travaux « clandestins » antérieurs ».

 

[1] CE, 9 sept. 1986, n° 51172

[2] Par exemple, la nouvelle rédaction de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme issue de la loi Elan n° 2018-1021 du 23 nov. 2018, prévoit qu’une telle régularisation peut être effectuée même après l’achèvement des constructions, et prévoit également que la mise en œuvre de ce sursis à statuer n’est plus une faculté pour le juge administratif, mais bien une obligation.

[3] Un avis du Conseil d’Etat rendu le 2 octobre 2020, n°438318 est venu franchir une étape supplémentaire en autorisant la régularisation d’un vice entachant un permis même si cela implique de modifier l’économie générale du projet du moment que la nature de ce dernier n’est pas bouleversée