le 21/09/2017

La fraude ne résulte pas de la seule connaissance de l’illégalité d’un acte

CAA Marseille, 21 février 2017, req. 15MA01429

Ainsi qu’on le sait maintenant, le régime du retrait des actes administratifs est fixé depuis la jurisprudence Ternon (aujourd’hui repris par l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration) selon lequel sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision (CE, Ass., 26 octobre 2001, req. 97018).

La seule hypothèse permettant le retrait rétroactif d’une décision créatrice de droit est celle de la fraude, le Conseil d’Etat ayant jugé qu’un « acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l’autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré » (CE 29 nov. 2002, req. 223027).

Toutefois, il revient alors à l’administration de rapporter la preuve de la fraude, « tant s’agissant de l’existence des faits matériels l’ayant déterminée à délivrer l’acte que de l’intention du demandeur de la tromper, pour procéder à ce retrait ».

L’intérêt de l’arrêt rendu le 21 février 2017 par la Cour administrative de Marseille est qu’il opère une analyse extrêmement pragmatique et équilibrée de la situation afin d’en déduire qu’on ne pouvait reprocher à l’agent d’avoir commis une fraude.

Les faits sont simples : la commune de Narbonne a concédé à son Directeur général adjoint, qui n’y avait alors pas droit, un logement sans jamais lui notifier la décision pourtant existante qui fixait la contrepartie à 164 euros mensuels, et sans jamais en réclamer le versement.

Ce dernier devait rester dans les lieux alors même qu’il avait muté auprès de la communauté d’agglomération (2008) puis qu’il ait été détaché auprès d’un Office public de l’Habitat (2010).

Le nouveau Maire devait cependant émettre un titre exécutoire d’un montant de 30 000 euros correspondant à 500 euros mensuels, plus de trois ans après que l’agent avait quitté ce logement. Ce faisant, il retirait rétroactivement la décision créatrice de droit née implicitement de son comportement, la somme de 164 euros n’ayant jamais été recouvrée.

La commune, pour contourner le délai de quatre mois alors imposé par la jurisprudence Ternon, a considéré que l’agent, alors directeur général adjoint en charge des affaires juridiques, avait nécessairement de ce seul fait connaissance du caractère manifestement illégal de l’avantage maintenu à son profit après même qu’il avait quitté ses fonctions, caractérisant ainsi la fraude.

Mais la Cour a relevé que la commune n’avait jamais ni rendu l’arrêté d’octroi du logement exécutoire, ni recouvré la somme mensuelle de 164 euros, ni mis fin à l’occupation dudit logement au moment où l’agent avait quitté ses fonctions.

Et donc « dans ces conditions », la seule circonstance que l’agent aurait été chargé des affaires juridiques n’était pas de nature à établir en soit qu’il aurait commis une manoeuvre frauduleuse pour bénéficier de la gratuité du logement qu’il occupait. 

En filigrane, la Cour a considéré que la Commune a été négligente, et qu’elle ne pouvait déduire de la seule qualité de juriste de son agent sa connaissance de l’irrégularité de sa situation pour recouvrer les sommes qu’elle n’avait pas alors réclamées.