le 04/11/2021

La difficile lutte contre l’augmentation des tarifs réglementés de gaz et d’électricité

Délibération de la CRE du 14 octobre 2021 portant avis sur le projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel modifiant l’article R.445-5 du code de l’énergie et sur le projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R.445-5 du code de l’énergie

Décret n° 2021-1380 du 23 octobre 2021 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R. 445-5 du code de l’énergie

 

Une hausse potentielle de 19,5 % TTC des Tarifs Réglementés de Vente (TRV) du gaz était prévue au 1er novembre 2021 et une autre d’ampleur similaire en décembre prochain. Et c’est sans compter la hausse attendue des TRV d’électricité début 2022.

C’est pour faire face à ce phénomène d’augmentation brutale du prix du gaz que deux projets de décrets ont été présentés à la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) par la Ministre de la transition énergétique le 5 octobre 2021. Suivant la délibération de la CRE du 14 octobre 2021 portant avis sur le projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel modifiant l’article R. 445-5 du Code de l’énergie et sur le projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R. 445-5 du Code de l’énergie, le Gouvernement vient de publier le décret n° 2021-1380 du 23 octobre 2021 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R.445-5 du Code de l’énergie .

La publication de ce décret nous donne l’occasion d’expliquer que la hausse des TRV de gaz, comme prochainement d’électricité, est, en l’état du droit, inéluctable et qu’elle conduit à mettre en place des solutions nécessairement temporaires pour l’éviter, qui perturbent le fonctionnement normal du marché. De sorte que cette hausse devrait appeler à des réformes structurelles de la vente régulée des énergies.

I. La modification du cadre réglementaire des TRV pour contenir leur augmentation

Par un communiqué de presse du 27 septembre 2021, la CRE constatait une nouvelle hausse des prix de l’électricité et du gaz et annonçait par conséquent la hausse des TRV (voir notre brève à ce sujet : https://www.seban-associes.avocat.fr/communique-la-cre-constate-une-nouvelle-hausse-du-cout-du-gaz-naturel-importe-entrainant-une-hausse-des-trv-pour-le-mois-doctobre/?idlajee=106318).

Pour rappel, la proposition des offres en tarifs réglementés émane principalement d’EDF pour l’électricité et d’Engie pour le gaz naturel, puis des ELD (entreprises locales de distribution), chacun dans ses zones de desserte historique. Chaque année, le Gouvernement publie un arrêté, après avis de la CRE, qui fixe les barèmes et conditions d’évolution des TRV pour l’année à venir.

Les TRV du gaz et de l’électricité sont calculés comme suit :

  • Le montant des TRV du Gaz correspond à l’addition des coûts d’approvisionnement, des coûts d’infrastructure et de commercialisation ainsi que trois taxes (la TVA, la Taxe Intérieure sur la Consommation de Gaz Naturel (TICGN) et la Contribution Tarifaire d’Acheminement (CTA) pour le gaz.
  • Les tarifs réglementés de l’électricité couvrent quant à eux, les coûts d’utilisation des réseaux publics d’électricité (tarif appelé TURPE et fixé par la CRE) et les coûts de fourniture (coût de production, d’approvisionnement et de gestion commerciale). S’ajoutent à ces coûts, des taxes et contributions composées de la taxe sur la consommation finale de l’électricité (TCFE), la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), la contribution pour le service public d’électricité (CSPE) et la TVA.

L’augmentation du prix de gros du gaz a donc influé la variable « coût d’approvisionnement » qui rentre dans le calcul du tarif réglementé du gaz, conduisant mécaniquement à l’augmentation des TRV. S’agissant de l’électricité, une partie de la production étant alimentée par le gaz, elle se voit aussi touchée dans sa variable « coût de production ». Il faut attendre prochainement l’évolution des autres coûts de production de l’électricité pour connaître l’augmentation finale prochaine de ces TRV d’électricité.

Or, l’article R.445-5 du Code de l’énergie rappelle que le fournisseur aux TRV « modifie selon une fréquence prévue par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie et au maximum une fois par mois, jusqu’à l’intervention d’un nouvel arrêté tarifaire […] les barèmes de ses tarifs réglementés en y répercutant les variations des coûts d’approvisionnement en gaz naturel, telles qu’elles résultent de l’application de sa formule tarifaire ». Il précise encore : « La répercussion des variations des coûts d’approvisionnement en euros par mégawattheure se fait de manière uniforme sur les différents barèmes et s’applique sur la part variable, sauf disposition contraire prévue par l’arrêté mentionné à l’article R. 445-4 ».

Et ce même article R.445-5 prévoit les conditions dans lesquelles il est possible de s’opposer à cette hausse mécanique des TRV par suite de la hausse des coûts d’approvisionnement : « En cas d’augmentation exceptionnelle des prix des produits pétroliers ou des prix de marché du gaz naturel, sur le dernier mois ou sur une période cumulée de trois mois, le Premier ministre peut, avant l’expiration du délai [de 20 jours] et après avis de la Commission de régulation de l’énergie, s’opposer par décret à la proposition et fixer de nouveaux barèmes. Le décret précise les modalités et le calendrier, qui ne peut excéder un an à compter de son entrée en vigueur, de remise à niveau des tarifs par rapport à la formule tarifaire et de répercussion des montants non perçus durant la période considérée. Il précise les conditions dans lesquelles le fournisseur est autorisé à modifier ses tarifs réglementés jusqu’à l’intervention d’un nouvel arrêté tarifaire pris en application de l’article R. 445-4 ».

C’est sur ces bases que l’arrêté du 28 juin 2021 relatif aux TRV du gaz naturel fourni par Engie a fixé les TRV d’Engie au 1er juillet 2021 et la formule permettant d’estimer l’évolution de ses coûts d’approvisionnement entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022. La CRE a ensuite été saisie le 5 octobre 2021 par Engie du projet de barème des TRV gaz naturel d’Engie pour le 1er novembre 2021. Ces barèmes envisagent une hausse moyenne des tarifs hors taxe de vente de gaz naturel de 17,20 €/MWh au 1er novembre 2021, soit une augmentation de 21,2 % HT (soit + 19,5 % TTC) par rapport aux niveaux fixés au 1er octobre 2021.

C’est dans ce cadre que le décret du 23 octobre 2021 commenté gèle l’augmentation des TRV de gaz d’Engie pendant une période qu’il fixe à 8 mois à compter du 1er novembre 2021, soit jusqu’au 30 juin 2022. Ce gel comprend toutes les taxes comprises dans le calcul des TRV. S’ajoutent les modalités de rattrapage des montants non couverts.

Le décret du 23 octobre 2021 prévoit enfin les modalités d’évolution de la part variable des TRV de gaz d’Engie. Elles consistent en une formule d’indexation traduisant l’évolution de la TICGN et de la TVA.

Tous ces mécanismes visent à atténuer la hausse des TRV de gaz de manière transitoire et à lisser dans le temps le rattrapage des coûts non répercutés, qui ne peuvent être oubliés.

II. Un gel de l’augmentation des TRV de gaz naturel qui perturbe le fonctionnement normal du marché de l’énergie

L’intervention du gouvernement par décret sur le niveau des TRV de gaz vient à l’évidence perturber le cours normal du marché du gaz naturel.

S’agissant des TRV de gaz déjà, comme on vient de le rappeler, ceux-ci, censés refléter le cours du marché du gaz naturel tout en protégeant les petits consommateurs, sont désormais utilisés comme outil de protection des variations du cours. La conséquence d’une telle modification est la suppression de la compétitivité des offres de marché aux TRV pendant la période de gel décidée.

Pour s’en justifier, la CRE observe que l’objectif poursuivi par cette hausse limitée des TRV est proportionné (en d’autres termes, acceptable au regard des exigences européennes), et ce, pour plusieurs raisons.

D’une part, la mesure de gel mise en place par le décret est temporaire. Cela s’inscrit dans le choix de la Commission européenne, exprimé dans une communication sur le prix de l’énergie en date du 13 octobre dernier, de privilégier des réponses nationales de court terme à cette crise plutôt qu’une réponse harmonisée.

D’autre part, il convient de rappeler aux consommateurs qui souhaiteraient passer en offre de marché une fois que cette offre sera devenue plus intéressante que le TRV, qu’ils ne pourront plus ensuite revenir aux TRV. Cela a tout de même pour conséquence de ralentir considérablement la croissance commerciale des fournisseurs en offre de marché pendant la période de gel tarifaire et ce, même s’ils seront certainement plus attractifs pendant la période où les TRV rattraperont les sommes non perçues pendant le gel.

Enfin, il faut tout de même rappeler que les TRV du gaz sont voués à disparaître le 1er juillet 2023. Selon la CRE, les effets sur le bon fonctionnement du marché cesseront donc nécessairement à cette échéance.

Mais qu’en est-il des fournisseurs de gaz en offres de marché ? En effet, les fournisseurs en offre de marché indexés sur les TRV, qui fournissent 1,5 million de clients, vont eux-aussi subir un déficit considérable. La CRE, désireuse d’épargner aux fournisseurs en offre de marché les conséquences des décisions politiques et de faciliter le rattrapage tarifaire, recommandait deux mesures protectrices : d’une part, la baisse temporaire de la TICGN à compter du 1er janvier 2022 ; d’autre part, la mise en place d’un dispositif complémentaire d’aide aux fournisseurs qui se trouveraient en grave difficulté financière à cause du gel tarifaire.

Ces recommandations n’apparaissent pas dans le décret commenté. Mais un amendement gouvernemental au projet de loi de finances devrait permettre au gouvernement de donner un coup de pouce aux fournisseurs de gaz impactés par le gel des TRV, sous la forme d’une compensation par le budget de l’Etat au titre des charges de service public de l’énergie.

La logique de la CRE restait par ailleurs celle d’imposer une logique de transparence dans les activités menées par Engie. Ainsi, à titre habituel, la CRE publie chaque mois une délibération vérifiant la bonne application par Engie de la formule d’évolution des TRV. Dans la continuité de cette logique, la CRE a recommandé d’ajouter l’obligation pour Engie durant cette période de gel tarifaire de communiquer à l’autorité de régulation chaque mois le barème qui aurait été appliqué en l’absence de gel afin qu’elle puisse le publier. Il s’agit là d’une garantie de transparence sur la visualisation du rattrapage des sommes non perçues pendant la période de gel. Cette recommandation a été accueillie et reprise à l’article 5 du décret.

On observera enfin que la période de rattrapage est certes théoriquement limitée au 30 juin 2022 selon le décret, mais il est d’ores et déjà prévu la possibilité qu’elle puisse s’étendre jusqu’au 30 juin 2023, date de fin des TRV de gaz.

En définitive donc, c’est par le biais de bien des contorsions que l’on tente de concilier protection des consommateurs et fonctionnement normal du marché de l’énergie, ce qui devrait appeler à des réformes structurelles.

III. De nécessaires réformes structurelles de la vente régulée des énergies

L’augmentation du prix du gaz naturel touche en effet l’ensemble du réseau interconnecté européen où s’établissent les prix du marché. 

Si la Commission européenne opte pour des réponses nationales à court terme, dans laquelle s’inscrit le gel tarifaire commenté, de grands débats sur le marché de l’énergie en Europe apparaissent.

Ces préoccupations ont conduit les 27 Ministres de l’Energie des Etats membres de l’Union européenne à se réunir à Luxembourg fin octobre dernier pour évoquer des solutions communes pour faire face à l’augmentation des prix de l’énergie. Cependant, cette réunion a illustré les discordances sur ce sujet entre les pays de l’Union. En effet, neuf Etats membres dont l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Irlande et le Danemark, ne se montrent pas favorables à interférer dans la structure des marchés énergétiques intérieurs, du moins de manière précipitée. En face, d’autres pays dont la France, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie et la République tchèque, préconisent une refonte du marché du gaz passant par une meilleure coordination des approvisionnements. Enfin, d’autres pays comme la Pologne s’oppose au Pacte vert qui, selon eux, ne viendra que renchérir le prix de l’énergie. La Commissaire européenne de l’Energie Kadri Simson considère pour sa part qu’« il ne faut pas prendre de mesures précipitées » et qu’en attendant, « de nouveaux investissements dans les renouvelables, le renforcement des capacités de stockage et le verdissement de l’économie, en particulier la rénovation des bâtiments, contribueront à réduire la dépendance aux énergies fossiles et la vulnérabilité face à la volatilité de leurs prix ».

Au-delà de la question de la refonte du marché de l’énergie, d’autres débats sont abordés qui ne traduisent pas plus un consensus européen. La France souhaite que le nucléaire soit inscrit comme une source d’énergie décarbonnée et éligible pour les financements verts. Selon elle, le nucléaire permettrait d’accroître l’indépendance énergétique de l’Union européenne, position que ne partage pas l’Autriche et le Luxembourg. Cette géopolitique du nucléaire et les normes imposées par l’Union sur le nucléaire ont entraîné pour l’heure en France l’abandon du projet Hercule portant réforme du groupe EDF.

De même encore, la Russie souhaiterait accélérer l’entrée en fonctionnement du gazoduc Nord Stream 2 qui relie la Russie à l’Allemagne. Cependant, derrière cela, c’est la question de la dépendance extérieure de la production d’énergie qui est soulevée. La Commission semble plutôt parier sur l’électricité verte (à partir d’énergies renouvelables (énergie hydraulique, éolienne, solaire, géothermique, etc) ou par cogénération) pour éviter la dépendance aux marchés internationaux et les crises comme celle que nous vivons.

Enfin, les TRV ressortent finalement, compte tenu de leurs contraintes en termes de calcul de leurs coûts, comme peu adaptés pour protéger les consommateurs les plus fragiles. C’est donc l’effectivité même des TRV qui se trouve questionnée. On pourrait alors se réinterroger sur le service public lui-même de la fourniture de gaz, comme d’électricité, afin qu’il atteigne sa finalité de protection des consommateurs, a minima les plus fragiles.

Au total, il va falloir, dans les années qui viennent, concilier respect du fonctionnement du marché européen de l’énergie, autonomie énergétique, réduction des gaz à effet de serre, et protection des consommateurs, au moins les plus fragiles.

C’est là un débat qui dépasse la France qui tente aujourd’hui, avec les outils juridiques qui sont les siens, d’éviter la hausse des prix réglementés de l’énergie, il est vrai dans un contexte conjoncturel délicat à quelques mois des élections présidentielles.

 

 

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE et Astrid DELESQUE