Contrats publics
le 23/01/2025
Élisa BRUNETÉlisa BRUNET

La Cour de cassation confirme la possibilité pour le candidat évincé de passer du référé précontractuel au référé contractuel devant le juge judiciaire

Cass. Com., 14 novembre 2024, n° 23-15.781

Par un arrêt publié au Bulletin en date du 14 novembre 2024, la Cour de cassation a consacré la possibilité de passer du référé précontractuel au référé contractuel devant le juge judiciaire en cas de conclusion du contrat pendant la période de suspension liée à l’introduction d’un recours précontractuel.

Dans cette affaire, la Société Communale de Saint-Martin (SEMSAMAR) a lancé un avis public à concurrence le 26 novembre 2021 pour la désignation d’un second commissaire aux comptes. Une société de commissariat aux comptes a vu son offre rejetée par une délibération du 15 septembre 2022.

La société évincée a alors assigné la SEMSAMAR selon la procédure accélérée au fond devant le Tribunal judiciaire de Fort-de-France le 23 septembre 2022, dénonçant des irrégularités dans la passation du marché et demandant l’annulation de la délibération du 15 septembre 2022.

L’accord-cadre ayant été signé le 27 septembre 2022 par la SEMSAMAR avec l’attributaire pressenti, la société requérante a demandé, dans ses dernières conclusions, l’annulation de cet accord en application des articles 16 et 18 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique et au motif que la signature était intervenue en violation de la suspension obligatoire prévue par l’article 4 de l’ordonnance.

Le Tribunal judiciaire de Fort-de-France a joint les deux instances mais, par jugement du 28 avril 2023, a rejeté les demandes de la société évincée, estimant notamment que le recours en référé précontractuel était devenu sans objet et qu’elle n’était pas recevable à modifier ses demandes afin de transformer son recours précontractuel en recours contractuel.

Devant la Cour de cassation, la société évincée a soulevé le moyen selon lequel la signature du contrat pendant la période de suspension lui ouvrait la possibilité de transformer son recours précontractuel en un recours contractuel sur les fondements des articles 16 et 18 de ladite ordonnance.

Par cette décision, la Cour de cassation a jugé, outre que le défaut d’exposé des moyens des parties constituait une violation substantielle de l’article 455 du Code de procédure civile, qu’il résulte de la combinaison articles 4, 12, 16, 17 et 18 de l’ordonnance « qu’en cas de conclusion du contrat pendant la période de suspension, le candidat évincé qui a introduit un recours précontractuel peut modifier ses demandes devant le juge et conclure à l’annulation de ce contrat, sur le fondement des textes applicables au recours contractuel. » (Point 17 de l’arrêt)

En d’autres termes, la Cour a considéré de manière très nette que la signature d’un contrat pendant la période de suspension liée à l’introduction d’un recours précontractuel prévue par l’article 4 de l’ordonnance n° 2009-515 permet au candidat évincé de modifier ses demandes et transformer son recours précontractuel en recours contractuel.

Par conséquent, la Cour a cassé le jugement attaqué, renvoyé l’affaire devant une autre composition du Tribunal judiciaire de Fort-de-France.

Ainsi, l’arrêt apporte une précision essentielle sur l’articulation entre recours précontractuel et contractuel. Et permet de clarifier les droits des candidats évincés. Pour rappel, il ressort de l’article 18 de l’ordonnance susvisée qu’en cas de violation de l’obligation de suspension, le juge peut annuler le contrat, pouvant également envisager d’autres sanctions (résiliation, réduction de durée, pénalités financières).

Notons que cette décision rendue par le juge judiciaire s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence administrative sur ce point[1] mais s’avère également plus souple pour le requérant évincé puisque la Cour de cassation ne retient pas ici le critère de l’ignorance par le candidat évincé de la signature du marché attaqué.

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[1] CE, 10 novembre 2010, France Agrimer, n° 340944 ; CE 24 juin 2011, Office public de l’habitat interdépartemental de l’Essonne, n° 346665 ; CE 5 mars 2014, Sté Eiffage TP, n° 374048. ; CE 17 juin 2015, Société Proxiserve, n° 388457