L’une des grandes ambitions de loi Pacte[1] était la redéfinition de la place de l’entreprise dans la société. Dans ce cadre, son article 169 complète la définition de l’objet des sociétés, qu’elles soient commerciales ou civiles.
Déjà, le projet de loi dite Macron du 6 août 2015[2] envisageait dans sa version initiale de compléter l’article 1833 du Code civil par une obligation que la société soit gérée « au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ». Cette modification n’a pas été retenue.
Ce sont les recommandations du rapport Notat-Senard du 9 mai 2018 intitulé « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » qui ont été consacrées par la loi Pacte.
Le rôle social et environnemental des entreprises a été renforcé par l’ajout d’un second alinéa à l’article 1833 du Code civil rédigé de la manière suivante « la société doit être gérée dans son intérêt propre en considérant des enjeux sociaux et environnementaux de son activité », mais également d’un second alinéa à l’article 1835 du même code selon lequel « l’objet social peut préciser la raison d’être de l’entreprise constituée ».
Mais la loi Pacte permet aux entreprises d’aller au-delà de la simple possibilité de se doter d’une raison d’être, en faisant publiquement état de leur qualité de « société à mission » [3].
A. La prise en compte de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux
Désormais, l’actuel article 1833 du Code civil prévoyant que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés » est complété par un second alinéa au terme duquel : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
Les mêmes principes sont ajoutés articles L. 225-35 et L. 225- 64 du Code de commerce relatifs aux sociétés anonymes.
La notion d’intérêt social consacrée par Pacte n’est pas inconnue en droit. La Cour de cassation emploie cette notion de longue date notamment pour contrôler la validité des actes accomplis par les dirigeants et les associés (appréciation de la révocation pour juste motif, responsabilité du dirigeant social).
On la retrouve également à l’article L. 221-4 du Code de commerce concernant les SARL, qui dispose que « Dans les rapports entre associés, et en l’absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, le gérant peut faire tous actes de gestion dans l’intérêt de la société ». Des dispositions similaires sont prévues à l’article 1848 du Code civil pour les sociétés civiles.
Cependant, aucune définition légale n’est donnée à cette notion d’intérêt social qui se veut être une notion flexible qui reste à l’appréciation des juges du fond.
Le rapport Notat-Sénard quant à lui ne définit pas l’intérêt social mais explique l’esprit de cette notion. L’idée était de faire en sorte que la société ne soit pas gérée en fonction des seuls intérêts particuliers des associés.
Soutenant la montée en puissance de la responsabilité sociale et environnementale, la loi Pacte a intégré dans le droit commun du droit des sociétés la notion d’enjeux sociaux et environnementaux sans plus la définir.
La prise en considération de ces enjeux devra se faire dans le cadre de la gestion de la société. Mais quelle est sa force obligatoire ?
La loi précise que la société « doit » être gérée dans son intérêt social, à la différence des enjeux sociaux et environnementaux qui doivent être « pris en considération ».
La mise en œuvre des enjeux sociaux et environnementaux serait donc qu’une obligation de moyen.
Sanction du non-respect de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux
Le non-respect de l’intérêt social fait déjà l’objet de sanction. En effet, il est de jurisprudence constante que le dirigeant qui accomplit des actes en méconnaissance de l’intérêt de la société commet une faute de gestion qui est source de responsabilité civile et délictuelle.
De même la méconnaissance de l’intérêt social peut constituer un motif de révocation du dirigeant et être sanctionnée sur le terrain de l’abus de biens sociaux.
Une disposition similaire est prévue par l’article L. 241-3 du Code de commerce pour les sociétés à responsabilité limitée.
Concernant la sanction de la méconnaissance des enjeux sociaux et environnementaux, l’étude d’impact de la loi prévoit que « les nouvelles dispositions ne créent pas de nouveau régime de responsabilité délictuelle. Toute responsabilité, de la société comme de ses dirigeants, qui serait recherchée sur le fondement de l’absence de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux devrait s’inscrire dans l’une des hypothèses reconnues par le droit commun des sociétés (existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité) »[4].
C’est donc le régime de responsabilité de droit commun qui s’appliquera.
B. La raison d’être de la société
Dorénavant « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » [5].
L’inscription dans les statuts n’est qu’une simple faculté, elle n’est donc pas obligatoire et peut aussi figurer dans un autre document (pacte d’actionnaires, règlement intérieur, charte…).
Tout comme la notion d’intérêt social, celle de la « raison d’être » ne fait l’objet d’aucune définition légale. Cette notion étant totalement nouvelle, aucun jugement n’y fait référence.
Néanmoins, l’exposé des motifs du projet de loi Pacte préconise que : « Ce projet d’article incite ainsi, sous la forme d’un effet d’entrainement, les sociétés à ne plus être guidées par une seule « raison d’avoir », mais également par une raison d’être, forme de doute existentiel fécond permettant de l’orienter vers une recherche du long terme ».
Et le rapport Notat-Sénard précise que « la raison d’être peut se définir comme l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet de la société ».
La raison d’être est un principe vertueux qui vise à inciter les entreprises à ne pas être animées que par la seule recherche de profit.
La sanction
Dès lors que les associés décideront d’intégrer une raison d’être dans leurs statuts, ils seront tenus de la respecter.
En tant que stipulation statutaire, son non-respect pourrait être sanctionné sur le fondement de l’article 1850 du Code civil qui dispose que « Chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion ».
Mais également sur le fondement de l’article L. 225-251 du Code de commerce selon lequel : « Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ».
Il ressort de ces articles que l’insertion de la raison d’être dans les statuts peut être une source de responsabilité suppémentaire des dirigeants et son non-respect pourrait être invoqué par la société elle-même à l’encontre d’un dirigeant, mais également par des tiers ou même des actionnaires à l’encontre de la société.
C. La possibilité de faire état de la qualité de société à mission
Afin de renforcer la responsabilité sociétale des entreprises, la loi Pacte a créé « l’entreprise à mission » qui met sur un même pied d’égalité les performances économiques et la contribution au bien commun.
Le texte d’impact du projet de loi Pacte défini l’entreprise à mission comme une entreprise constituée par des associés qui stipulent, dans leur contrat de société, une mission sociale, scientifique ou environnementale qu’ils assignent à leur société en plus de leur objectif de profit.
C’est le nouvel article L. 210-10 du Code de commerce qui prévoit ce statut : « Une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées :
« 1° Ses statuts précisent une raison d’être, au sens de l’article 1835 du code civil ;
« 2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
« 3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission mentionnée au 2°. Ces modalités prévoient qu’un comité de mission, distinct des organes sociaux prévus par le présent livre et devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion, mentionné à l’article L. 232-1 du présent code, à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société. Ce comité procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission ;
« 4° L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l’objet d’une vérification par organisme tiers indépendant, selon des modalités et une publicité définies par décret en Conseil d’Etat. Cette vérification donne lieu à un avis joint au rapport mentionné au 3° ;
« 5° La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité de ses statuts aux conditions mentionnées aux 1° à 3°, au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat ».
La sanction
La loi PACTE a introduit un nouvel article L. 210-10 dans le Code de commerce qui prévoit la sanction du non-respect des objectifs propres à la société à mission :
« Lorsque l’une des conditions mentionnées à l’article L. 210-10 n’est pas respectée, ou lorsque l’avis de l’organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux que la société s’est assignée en application du 2° du même article L. 210-10 ne sont pas respectés, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société ».
D’autres sanctions, notamment sur le champ des vices du consentement (l’erreur sur la qualité de la personne morale, dol) pourraient être invoquées par les parties prenantes, pour obtenir la nullité d’un acte conclu avec une société à mission ne respectant pas ses objectifs.
Les décrets en Conseil d’Etat sont très attendus sur ce sujet. A suivre donc.
[1] La loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises a été promulguée le 22 mai 2019 et publiée au journal officiel le 23 mai 2019
[2] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
[3] Article 176 de la loi Pacte
[4] Etude d’impact page 546
[5] Articles 1835 alinéa 2 du Code civil et L. 225-64 du Code de commerce
Par My-Kim Yang-Paya, Avocate Associée