le 23/11/2017

Journal municipal, Conseil municipal et diffamation publique : nouveaux éclairages de la Chambre criminelle

Cass., Crim., 31 octobre 2017, n° 16-87.632

Deux arrêts particulièrement intéressants ont été rendus fin octobre et courant novembre 2017, en matière de diffamation publique commise via le Journal municipal (2) et lors des débats publics d’un Conseil municipal (1).

Dans la première affaire, le Maire d’une Commune avait fait citer devant le Tribunal correctionnel un conseiller municipal qui, à l’occasion du Conseil municipal, avait pris la parole pour dénoncer à son encontre « les conditions douteuses dans lesquelles vous avez acquis de manière quasi concomitante le véhicule de marque Volkswagen, modèle Golf, de manière totalement arbitraire pour la mairie et l’achat de votre propre véhicule de la même marque chez le même concessionnaire  » ;  » irrégularités délictueuses ». Les premiers juges et la Cour d’appel étaient entrés en voie de condamnation, au motif que les imputations de mélanger vie professionnelle et activité de Maire pour en tirer un profit personnel constituaient l’infraction de diffamation publique envers une personne chargée d’un mandat public, et que le prévenu n’était pas éligible au bénéfice de la bonne foi (moyen de défense habituel du prévenu en matière diffamatoire et composé des critères suivants : prudence dans l’expression, sérieux de l’enquête, absence d’animosité personnelle et légitimité d’information du public).

Le prévenu, dans son pourvoi, arguait d’une violation de la loi et d’un manque de base légale ; à ce titre, il rappelait que, avant de prononcer les propos poursuivis, il avait bien précisé qu’il dénonçait ces irrégularités dans le fonctionnement des affaires municipales en application de l’article 40 du Code de procédure pénale ; il soutenait de surcroît avoir lu lors du Conseil le texte de cet article ; dès lors, le prévenu considérait que la Cour d’appel avait commis une erreur dans l’analyse des éléments constitutifs de sa bonne foi, puisque son intervention au Conseil municipal s’inscrivait dans le cadre de dispositions légales qui l’autorisaient à dénoncer des faits infractionnels dont il avait eu connaissance à raison de ses fonctions.

La Cour de cassation ne faisait pas droit à cet argument : « dès lors que les propos en cause, même s’ils concernaient un sujet d’intérêt général et fussent-ils précédés de la lecture de l’article 40 du Code de procédure pénale qui impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, de le révéler sans délai au procureur de la République, étaient, en ce qu’ils imputaient à la partie civile la commission des délits de favoritisme et de prise illégale d’intérêt, dépourvus d’une base factuelle suffisante et constituaient des attaques personnelles excédant les limites admissibles de la polémique politique ».

Par ailleurs, le conseiller municipal (prévenu) contestait la compétence matérielle de l’autorité judiciaire pour allouer au Maire (victime) des dommages et intérêts, au visa des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs, selon lesquels « les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public, en raison du fait dommageable commis par l’un de leurs agents ; qu’en outre, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ».

La Cour de cassation rejetait également l’argument, au motif que « il n’a été ni établi ni prétendu que M. X… était un conseiller municipal ayant reçu délégation ».

Dans la seconde affaire, un Maire était poursuivi devant le Tribunal correctionnel, en qualité de directeur de publication, pour des propos publiés dans le journal municipal ; estimant l’infraction non constituée, les premiers juges avaient débouté la partie civile de ses demandes.

La partie civile interjetait seule appel, de sorte que la Cour d’appel n’était saisie que de la question des intérêts civils, cette question étant elle-même décomposée en deux sous-questions :

–           la question de la faute : existe-t-il une faute civile (et non plus pénale à raison de la relaxe définitive) de diffamation publique commise par le Maire ?

–           la question de la réparation : dans l’affirmative, y a-t-il lieu à allouer des dommages et intérêts ?

En appel, le Maire intimé contestait la compétence matérielle de l’autorité judiciaire, au visa des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, pour connaître de l’ensemble des intérêts civils (les deux sous-questions ci-dessus rappelées).

La Cour d’appel faisait droit à cet argumentation au visa de ces mêmes textes, en considérant que la faute n’était pas personnelle et détachable des fonctions de Maire: « la rédaction, l’édition et la publication du bulletin municipal sous la direction du maire de la commune, directeur de publication, relèvent du fonctionnement normal de la commune, de sorte que les faits reprochés à celui-ci sont indissociables de l’exercice de ses fonctions, et qu’en l’état aucune faute personnelle détachable du service n’est établie ».

Saisie du pourvoi de la partie civile, la Chambre criminelle annulait l’arrêt au motif que : « Vu les articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale ; Attendu qu’il se déduit de ces textes que la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ».

*

Ces arrêts apportent un éclairage important sur deux des principes juridiques essentiels qui régissent les actions de presse diligentées à l’occasion des activités d’une Commune (journal municipal ; conseil municipal) ; cet éclairage est à la fois relatif au principe de la compétence matérielle de l’ordre judiciaire (juge pénal) puis au principe de la bonne foi du diffamateur :

–           S’agissant de la compétence matérielle de l’ordre judiciaire au titre de l’action civile diligentée contre un élu municipal fautif, la Cour de cassation rappelle que :

         L’incompétence matérielle, lorsque la faute de diffamation ne sera pas personnelle et détachable des fonctions, ne se limite qu’à empêcher l’allocation de dommages et intérêts à la victime ; l’ordre judiciaire reste ainsi compétent pour apprécier s’il existe une faute pénale de diffamation, mais également s’il existe une faute civile (cas du seul appel de la partie civile sur une décision de relaxe – espèce n°2) ;

En cas de faute non personnelle et non détachable, il appartiendra au juge administratif d’allouer des dommages et intérêts.

         Le juge judiciaire ne doit s’interroger sur la question de sa compétence matérielle, dans le cadre et les conditions ci-dessus rappelés, que si l’auteur de la faute est un agent d’une administration ou d’un service public – qualité que la Chambre criminelle semble visiblement rejeter à un conseiller municipal n’ayant reçu aucune délégation (espèce n°1) et qu’elle accorde bien évidemment au Maire (espèce n°2) ;

–           S’agissant des éléments d’appréciation de la bonne foi du diffamateur, la Cour de cassation n’accorde aucune incidence à un contexte de publication qui serait fondé sur l’article 40 du Code de procédure pénale.

Ainsi, la circonstance que l’auteur des propos se prévale publiquement, avant son discours diffamatoire ou concomitamment à sa publication, du cadre légal de l’article 40 du Code de procédure pénale (CPP), y compris s’il fait lecture de ce texte, ne constitue pas à elle seule la garantie de sa bonne foi.

Autrement dit, ce cadre d’intervention pourtant prévu par la Loi ne rend pas les propos prudents, dépourvus d’animosité personnelle et reposant sur une enquête sérieuse ou sur des éléments de base factuelle suffisants.

La décision apparaît conforme aux principes du droit de la presse, étant précisé qu’une dénonciation fondée sur l’article 40 du CPP (instrument souvent subsidiaire à une plainte) n’est pas nécessairement le gage de la certitude des accusations qu’elle comporte.

L’article 40 du CPP ne saurait donc être détourné de son objet, étranger à l’expression publique et cantonné à l’information du Procureur de la République ; il ne constituera donc pas, pour celui qui entend accuser publiquement et sans fondement un élu de la République, un moyen de garantir sa liberté d’expression et l’impunité de son propos diffamatoire.

(1) Crim., 31 octobre 2017, n°16-87632

(2) Crim., 14 novembre 2017, n°17-80934