le 21/01/2021

Irrégularité de deux offres proposées par un même soumissionnaire

CE, 8 décembre 2020, Métropole Aix Marseille Provence, n° 436532

Par sa décision du 8 décembre 2020, qui sera mentionnée dans les Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat pose le principe selon lequel un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre pour chaque lot et, par ailleurs, vient préciser les cas dans lesquels des offres de différents candidats peuvent être considérées comme identiques.

Cette décision est rendue dans le cadre d’un litige portant sur la procédure d’appel d’offres ouvert mise en œuvre par la Métropole Aix-Marseille-Provence en vue de l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaires  ayant pour objet des travaux d’aménagement, de réparation, d’entretien, de rénovation des bâtiments et ouvrages divers lui appartenant. Le lot n° 12 a été attribué aux trois entreprises suivantes : Bensimon Joachim Meyer (Maintenance Climatique), CMT Services et Compagnie méridionale d’applications thermiques. Candidate évincée de l’attribution de ce lot, la Société Eiffage Energie Systèmes, dont l’offre avait été classée en quatrième position, a saisi le Juge des référés du Tribunal administratif de Marseille. Ce dernier a, par une ordonnance du 19 novembre 2019, annulé la procédure de passation du lot n° 12 et enjoint la Métropole, si elle entendait conclure le marché afférent à ce lot, de reprendre la procédure au stade de l’examen des offres en écartant les offres des sociétés CMT Services et Compagnie méridionale d’applications thermiques.

Saisi en cassation par la Métropole ainsi que par les sociétés CMT Services et Compagnie méridionale, le Conseil d’Etat pose tout d’abord le principe selon lequel il résulte des dispositions du Code de la commande publique, en particulier des articles L. 1220-1 à L. 1220-3 et R. 2151-6, « qu’un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre pour chaque lot », sauf stipulation expresse prévue par les documents de la consultation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Cette interprétation des textes précités a été soutenu par le Rapporteur public, Marc Pichon de Vendeuil, au motif « qu’il s’agit d’un usage de bon aloi qui conforte la transparence des procédures en prévenant les hypothèses, pas forcément si rares en pratique, où une entreprise, le cas échéant par le biais de différentes entités qui lui sont  liées, déposerait – selon une technique qui n’est pas sans rappeler celle du « tapis de bombe » –  des offres similaires afin de démultiplier de manière factice ses chances de remporter le marché, et biaise ainsi la concurrence ». Le Rapporteur public a également insisté sur le fait qu’un tel principe ne fait nullement obstacle aux possibilités pour les soumissionnaires de présenter des offres « variantes » lorsque l’acheteur les y autorise mais permet de prévenir des stratégies de contournement dans les cas où les variantes sont prohibées par l’acheteur.

Ensuite, le Conseil d’Etat poursuit en déduisant des dispositions précitées du Code de la commande publique que « si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même soumissionnaire lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d’autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l’absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot ». Ce faisant, le Conseil d’Etat réaffirme et complète sa jurisprudence CA du Nord Grande-Terre par laquelle il avait déjà jugé que, pour l’application de la limitation du nombre de lots pouvant être attribués à un même candidat telle que prévue par les documents de la consultation, deux sociétés devaient être regardées comme un seul et même opérateur dès lors que l’une se prévalait uniquement, pour l’exécution du marché, des moyens que l’autre s’était engagée à mettre à sa disposition (CE, 11 juillet 2018, req. n° 418021). Il s’agit donc pour l’acheteur se fonder sur « un faisceau d’indices », ainsi que l’a confirmé le Rapporteur public Olivier Henrard (concl. ss. CE, 11 juillet 2018, précitée, BJCP 2018, p. 362).

Faisant application du principe ainsi dégagé au cas d’espèce, le Conseil d’Etat constate, d’une part, que les offres litigieuses des sociétés CMT Services et Compagnie méridionale d’applications thermiques pour le lot n° 12 émanaient de deux sociétés filiales d’un même groupe et, d’autre part, qu’elles étaient identiques et ne pouvaient être considérées comme des offres distinctes présentées par des opérateurs économiques manifestant leur autonomie commerciale. Il en conclut que la Métropole a méconnu les stipulations du règlement de la consultation en n’écartant pas comme irrégulières l’ensemble des offres de ces deux sociétés, que ce manquement était susceptible de léser la société Eiffage Energie Systèmes, compte tenu du classement de son offre et, par suite, rejette les pourvois formés contre l’ordonnance du Juge des référés.