Energie
le 05/02/2025

Inconstitutionnalité du déplafonnement total du reversement de la prime négative du contrat de complément de rémunération

CC, 24 janvier 2025, Décision QPC n° 2024-1119/1125

Par une décision en date du 24 janvier 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l’article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, qui prévoyaient un déplafonnement total et rétroactif du reversement, par les producteurs d’électricité d’origine renouvelable titulaires d’un contrat de complément de rémunération, de la prime négative prévue par ledit contrat.

Pour rappel, les articles L. 311-12 et L. 314-18 du Code de l’énergie permettent aux exploitants de certaines installations de production d’électricité à partir d’énergie renouvelable de bénéficier d’un contrat de complément de rémunération conclu avec Electricité de France (EDF).

Aux termes des dispositions règlementaires prises pour application de ces dispositions :

  • Lorsque, le prix du marché, auquel les producteurs vendent leur production, est inférieur au tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté, EDF verse une prime à ces derniers ;
  • A l’inverse, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, les producteurs doivent reverser à EDF la différence entre ces deux prix, sous la forme d’une prime négative.

Or, dans cette dernière hypothèse, les dispositions de l’article R. 314-49 du Code de l’énergie prévoyait, dans de leur rédaction initiale, un plafonnement du reversement de la prime négative à hauteur du montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération. Ainsi, au-delà du plafond prévu par les dispositions précitées, le producteur bénéficiaire du contrat de complément de rémunération pouvait conserver les sommes provenant de la vente d’électricité.

Toutefois, l’article 230 de la loi de finances pour 2024 prévoit qu’à partir du 1er janvier 2022, les producteurs d’électricité bénéficiant d’un contrat de complément de rémunération doivent reverser à EDF l’intégralité des primes négatives, sans plafonnement.

Cet article de la loi de finances pour 2024 s’inscrit dans la continuité de l’article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022, abrogé par le Conseil constitutionnel[1], qui prévoyait un déplafonnement partiel du reversement de la prime négative. En effet, aux termes de cet article, à compter du 1er janvier 2022, le reversement de la prime négative n’était plus calculé dans la limite d’un plafond, mais en fonction d’un prix seuil, déterminé chaque année jusqu’à la fin du contrat par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’Énergie et du budget [2].

Une société de production d’énergie éolienne a donc saisi le Tribunal administratif d’Amiens afin que l’Etat et EDF soient condamnés à l’indemniser des préjudices subis du fait de l’application à son égard des dispositions de l’article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022 et, de l’article 230 de la loi de finances pour 2024, soulevant à l’appui de son recours, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Ainsi, par une décision en date du 6 décembre 2024[3], le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel cette QPC portant sur la conformité à la Constitution de l’article 230 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. Tel est l’objet de la décision rendue le 24 janvier 2025 par le Conseil constitutionnel ici commentée.

En premier lieu, dans sa décision le Conseil constitutionnel affirme que le législateur a poursuivi un but d’intérêt général en supprimant, de façon rétroactive, le plafonnement des primes négatives reversées par les producteurs, dans un contexte de forte hausse du prix de l’électricité.

En effet, le Conseil constitutionnel souligne que l’intention du législateur était, d’une part, de corriger les « effets d’aubaine dont ont bénéficié, dans un contexte de forte hausse des prix de l’électricité, les producteurs qui ont reçu un soutien public » et, d’autre part, « d’atténuer l’effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final ». Le législateur était donc fondé à procéder à une telle suppression rétroactive, dès lors que les dispositions de l’article L. 314-20 du Code de l’énergie permettent de garantir aux producteurs « une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu’à échéance de leur contrat ».

En second lieu, le Conseil constitutionnel affirme que le législateur a néanmoins porté une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues, en méconnaissance des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, le Conseil constitutionnel considère qu’en l’absence de garantie offerte aux producteurs, les dispositions contestées ont eu pour effet de priver ces derniers, jusqu’au terme de l’exécution de leur contrat, de la totalité des gains de marché dont ils auraient dû bénéficier.

Par conséquent, si le législateur était fondé à supprimer de manière rétroactive le plafonnement du reversement des primes négatives par les producteurs dans un contexte de crise énergétique, il devait prévoir des garanties au profit de ces derniers, pour ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues.

En troisième et dernier lieu, le Conseil constitutionnel a décidé d’abroger les dispositions contestées avec un effet différé, à compter du 31 décembre 2025, et non de manière immédiate, dans la mesure où « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de permettre à de nombreux titulaires de contrats de complément de rémunération de contester le montant des reversements effectués à Électricité de France [et] entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives ».

L’effet différé de l’abrogation décidée par le Conseil constitutionnel a donc pour objet de permettre au législateur de modifier de nouveau les contrats de complément de rémunération de manière rétroactive, et le plafonnement des primes négatives, sous réserve de prévoir des garanties nécessaires au profit des producteurs.

Enfin, et afin de préserver l’effet utile de la décision dans les instances en cours ou à venir, il appartiendra aux juridictions saisies de surseoir à statuer, jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2025, dans les procédures dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles.

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[1] Ces dispositions avaient été déclarées contraires à la Constitution par une première décision du Conseil constitutionnel, dès lors que législateur avait méconnu sa compétence en renvoyant à un arrêté ministériel la fixation du prix seuil (CC, QPC, 26 octobre 2023, n° 2023-1065)

[2] Arrêté du 28 décembre 2022 fixant le prix seuil pris en application de l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022

[3] CE, 6 décembre 2024, Société Eolienne des Tulipes, n° 497958