- Droit de l'urbanisme
le 11/07/2024
Damien SIMON
Alix LEVRERO

Incomplétude du dossier de demande de permis de construire : la nouvelle demande de pièces manquantes entérinée et encadrée

CE, 30 avril 2024, n° 461958

Si le dossier de demande de permis de construire reste incomplet malgré les pièces fournies à la suite d’une demande de pièces manquantes (R. 423-38 du Code de l’urbanisme), l’Administration peut, une nouvelle fois, inviter le pétitionnaire à le compléter. Ce compris dans le délai d’un mois. Cette demande est toutefois sans incidence, tant sur le cours du délai de réponse de trois mois offert au pétitionnaire, que sur la naissance d’une décision tacite de rejet s’il ne régularise pas son dossier au terme de ce délai.

En l’espèce, la demande de permis de construire avait pour objet la construction d’une villa de 400m² avec piscine à Coti-Chiavari (Corse-du-Sud). Le préfet avait formulé une première demande de pièces afin que l’attestation de conformité du projet d’installation d’assainissement non collectif prévue par le d) de l’article R. 431-6 du Code de l’urbanisme, soit fournie. Si le pétitionnaire a d’abord fait parvenir un rapport établi par la société délégataire du service public de l’assainissement non collectif, ce n’est qu’à la suite d’une nouvelle demande de l’Administration que l’attestation demandée a finalement été communiquée. Le requérant estimait avoir produit les pièces demandées dès la première invitation de l’Administration et considérait donc être devenu bénéficiaire d’un permis de construire tacite au terme du délai de trois mois. En lui opposant, à l’issu de ce délai, un refus de permis de construire, le préfet avait selon lui illégalement retiré ce permis tacite.

Le préfet ne souscrivait pas à cette analyse. Selon lui, le pétitionnaire avait complété son dossier non pas à raison de son premier envoi, celui du rapport, mais à raison de son second envoi, celui de l’attestation. Le délai d’instruction n’avait donc commencé à courir qu’à partir de cette dernière date. Il revenait alors au Conseil d’Etat, d’abord de déterminer s’il était possible d’adresser deux demandes successives de pièces au-delà du délai d’un mois, puis, le cas échéant, de préciser les effets de telles demandes. On sait que lorsqu’un dossier de demande de permis de construire est incomplet, l’autorité compétente adresse au pétitionnaire une demande de communication des pièces manquantes dans un délai d’un mois (article R. 423-38 du Code de l’urbanisme). Le pétitionnaire dispose alors d’un délai de trois mois pour adresser les documents au service instructeur (article R. 423-9 a) du Code de l’urbanisme).

 

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat va distinguer trois cas de figure pouvant se présenter à l’Administration à la suite d’une demande de pièces manquantes et va en préciser les conséquences :

 

  • Le pétitionnaire peut produire l’ensemble des pièces manquantes dans le délai de trois mois. Dans ce cas, « le délai d’instruction commence à courir à la date à laquelle l’administration les reçoit et, si aucune décision n’est notifiée à l’issue du délai d’instruction, un permis de construire est tacitement accordé» conformément aux dispositions de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme ;
  • En revanche « à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes» dans le délai de trois mois, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet ;
  • Enfin, si le dossier de demande de permis de construire reste incomplet malgré la production de pièces par le pétitionnaire, l’Administration peut, dans le délai de trois mois, « inviter à nouveau le pétitionnaire à le compléter, cette demande étant toutefois sans incidence sur le cours du délai et la naissance d’une décision tacite de rejet si le pétitionnaire n’a pas régularisé son dossier au terme de ce délai».

 

On peut alors déduire deux choses de cette décision.

 

Tout d’abord, que la pratique dite des « courriers de relance » est admise. Et que l’Administration est donc libre d’inviter, une nouvelle fois, le pétitionnaire à compléter son dossier de demande de permis de construire. Le Conseil d’Etat a en ce sens suivi les conclusions de Laurent Domingo, lequel, estimait que les dispositions du Code de l’urbanisme « ne font pas obstacle, lorsque le demandeur ne produit pas la pièce demandée à ce que l’autorité compétente lui réclame à nouveau cette pièce, même passé le délai d’un mois depuis le dépôt de la demande de permis de construire ».

Ensuite, que la nouvelle demande de pièces manquantes est sans incidence sur les délais :

 

  • Elle ne fait courir aucun nouveau délai de trois mois qui continue de courir tant que le pétitionnaire ne communique pas la pièce exigée. Ce dernier s’exposant toujours à la naissance d’une décision tacite de refus ;
  • Si le pétitionnaire communique la pièce exigée, la demande de permis de construire devient complète après production de la dernière pièce et ce n’est qu’à compter de cette date que le délai d’instruction, également de trois mois, commence à courir.

Rappelons toutefois que si cette nouvelle demande de pièces manquantes est « à l’avantage du demandeur », pour reprendre les termes de Laurent Domingo, elle n’est qu’une simple faculté dont est libre de disposer ou non l’Administration. En d’autres termes, cette dernière n’est pas tenue d’informer le pétitionnaire du fait que la pièce versée ne répond que partiellement à sa demande de pièce complémentaire. Dans ce cas, deux situations peuvent alors se présenter au pétitionnaire. S’il a fourni les pièces manquantes demandées, il pourra être titulaire d’un permis de construire tacite. Mais s’il ne complète pas son dossier, sa demande sera tacitement rejetée à l’issue du délai de trois mois.

Attention, néanmoins, à ce que la demande de pièces manquantes soit bien légale : depuis sa décision « Commune de Saint-Herblain », le Conseil d’Etat juge que « le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigé » par le Code de l’urbanisme (C.E., 9 décembre 2022, n° 454521).