Droit du travail et de la sécurité sociale
le 23/06/2022

Inaptitude : pas d’obligation de consultation du CSE en cas de dispense de reclassement résultant des mentions du médecin du travail sur l’avis d’inaptitude

Cass. Soc., 8 juin 2022, n° 20-22.500

Par un arrêt du 8 juin 2022 (pourvoi n° 20-22.500), la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue apaiser les inquiétudes des employeurs confirmant que la consultation du CSE n’est pas nécessaire en cas de dispense de reclassement résultant des mentions du médecin du travail sur l’avis d’inaptitude. [1]

  • Contexte de l’arrêt 

La loi n° 2016-1088 en date du 8 août 2016 (dite Loi Travail) a mis en place un dispositif, par la suite consolidé par les ordonnances Macron, dispensant l’employeur d’une recherche de reclassement du salarié déclaré inapte, lorsque l’avis d’inaptitude indiquait que :

  • Tout maintien dans l’emploi serait gravement préjudiciable à la santé du salarié ;
  • Ou que l’état de santé du salarié ferait obstacle à tout reclassement dans « un emploi » (en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle (art. L. 1226-2-1 du Code du travail)) ou dans « l’emploi » (en cas d’inaptitude d’origine professionnelle (art. L. 1226-12 du Code du travail)).

Cependant, en matière d’inaptitude professionnelle comme non professionnelle, le Code du Travail dispose que l’employeur est tenu de proposer au salarié une offre de reclassement appropriée :

  • en tenant compte des conclusions et indications du médecin du travail sur les capacités du salarié ;
  • et après avis du CSE.

La recherche de reclassement en matière d’inaptitude étant d’ordre public[2] et le contenu de la lettre de licenciement en matière d’inaptitude étant particulièrement normé, les praticiens craignaient que le licenciement puisse être invalidé, voire qu’un délit d’entrave soit caractérisé, du fait de l’absence de consultation du CSE dans l’hypothèse même où l’employeur était dispensé de reclasser le salarié par le médecin du travail.

Un arrêt rendu le 30 septembre en 2020 (pourvoi n° 19-11.974)[3] semait, par ailleurs, le trouble sur la position de la Cour de cassation à cet égard.

Cet arrêt, qui portait sur un cas d’inaptitude non professionnelle, énonçait, en effet :

Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1, alinéas 2 et 3, du Code du travail, en leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

« […] Aux termes du second de ces textes, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

Il résulte de ces textes que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l’employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ».

La formulation générale du chapeau précédant « l’attendu » de principe (ou plutôt désormais « l’alinéa » de principe) a, en effet, pu laisser penser que la recherche de reclassement et la consultation du CSE étaient obligatoires, même dans les cas de dispense résultant des mentions du médecin du travail.

A la suite de cet arrêt de la Cour de cassation, certaines cours d’appel retenaient une obligation de consultation du CSE en pareil cas[4], tandis que d’autres, comme la Cour d’appel de Paris ou d’Orléans retenaient que cette consultation était inutile (CA Paris, 2 décembre 2020, RG n° 14/11428 ; CA Orléans, 13 avril 2021, n° 18/03127).

Ni la position des Cours d’appel favorables à l’absence de consultation du CSE, ni même le Guide de la Direction Général du travail (certes relatifs à la rupture et au transfert du contrat de travail des salariés protégés) énonçant qu’en cas de dispense de reclassement par le médecin du travail : « L’employeur est dispensé de l’obligation de consulter le CSE sur les recherches de reclassement »[5], n’ont suffi à écarter tout risque pour l’employeur.

Il a fallu attendre l’arrêt du 8 juin 2022 (pourvoi n° 20-22.500), ici commenté, pour que la chambre sociale Cour de cassation mettre fin à ces inquiétudes.

  • La confirmation de la Cour de cassation par l’arrêt du 8 juin 2022

Au cas particulier, le 6 novembre 2017, une salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail la suite d’un accident du travail,

L’avis d’inaptitude mentionnait : « L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Le 30 novembre 2017, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L’employeur n’ayant pas consulté les délégués du personnel sur le reclassement, les juridictions étaient saisies et l’affaire était portée devant la Cour d’appel de Chambéry, qui condamnait l’employeur à indemniser la salariée.

La Cour d’appel de Chambéry retenait, alors, que la consultation du CSE relative au reclassement s’imposait, même lorsque l’employeur était dispensé d’une telle recherche par le médecin du travail.

L’employeur s’est alors pourvu en cassation.

  • Les arguments de l’employeur

Aux termes de son deuxième moyen de cassation, l’employeur invoquait, en substance, que la Cour d’appel de Chambéry aurait violé les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du Code du travail (dans leur rédaction issue de la loi travail), cette dernière considérant qu’il devait consulter les représentants du personnel sur un reclassement dont il était dispensé par le médecin du travail.

  • La réponse de la Cour de cassation

La réponse de la Cour de cassation est limpide.

Au visa des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du Code du travail, dans leur dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, elle statue à la violation de la loi par la cour d’appel et indique, dans le chapeau précédant l’alinéa de principe, que :

« Lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel ».

Ce faisant, la Cour de cassation a clairement précisé qu’en matière d’inaptitude professionnelle, l’employeur qui est dispensé de reclassement par le médecin du travail est, également, dispensé de consultation des représentants du personnel à cet égard.

  • Sur la portée de l’arrêt

Bien que cet arrêt concerne les délégués du personnel, il est, à notre sens, pleinement transposable à la question de la consultation du CSE.

Il convient, toutefois, de préciser qu’il ne porte que sur la dispense de reclassement par le médecin du travail et non sur l’impossibilité de reclassement alléguée par l’employeur.

Dans le cas où l’impossibilité de reclassement est seulement alléguée par l’employeur et ne résulte pas des mentions du médecin du travail, il y a lieu de consulter le CSE sur la recherche.

Cet arrêt est relatif à une dispense de reclassement pour inaptitude d’origine professionnelle. Reste à savoir si la Cour de cassation adoptera la même position pour le reclassement en matière pour inaptitude d’origine non professionnelle.

Dans l’esprit du législateur, il apparait que l’objectif de la loi travail est d’harmoniser les obligations de l’employeur relatives à l’inaptitude quel que soit son origine. Dès lors, cette solution devrait être étendue aux situations d’inaptitude d’origine non professionnelle. [6]

 

[1] Décision – Pourvoi n° 20-22.500 | Cour de cassation

[2] En ce sens, notamment : Cass. Soc., 8-6-2005 n° 03-44.913 FS-PB ; Cass. Soc., 25-2-1997 n° 93-40.185 P ; Cass. Soc., 9-7-2008, n° 07-41.318 FS-PB…

[3] Cass. Soc., 30-09- 2020, n° 19-11.974

[4] CA Bourges, 19 novembre 2021, n° 21/00153, B. c/Sté Fiducial Sécurité Prévention

[5] Fiche 9, paragraphe 2.1, Guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail du salarié protégé, DGT, 2019

[6] Etude d’impact, loi Travail, p. 340