Après le rapport d’information sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques établi par l’Assemblée Nationale afin de proposer des solutions permettant de clore le différend opposant depuis plusieurs années le gouvernement français à la Commission européenne (commenté dans une précédente lettre d’actualité juridique), c’est désormais au tour du Sénat de produire un rapport d’information sur l’avenir des concessions hydroélectriques.
Ce rapport intervient quelques mois après l’annonce par le Gouvernement de l’obtention d’un accord de principe avec la Commission européenne (voir le communiqué du Premier ministre en date du 28 août 2025).
Pour mémoire, depuis de nombreuses années, la France s’oppose à la Commission européenne sur l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques, deux procédures précontentieuses étant actuellement en cours à ce sujet, la première ayant été initiée en 2015 et la seconde en 2019.
En effet, le droit européen prévoit depuis 1996 l’obligation de mettre en concurrence les concessions hydroélectriques avec certaines exceptions qui ont été levées au fur et à mesure, notamment par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.
En l’absence de résolution du différend, de nombreuses concessions sont arrivées, ou vont arriver, à échéance, et sont gérées selon le dispositif dit des « délais glissants » (art. L. 521-16 du Code de l’énergie), lequel n’est toutefois pas propice à la réalisation d’investissements de développement, faute en particulier de visibilité claire sur le terme des contrats, et ce au détriment des capacités hydroélectriques nationales.
Dans son rapport d’information, le Sénat souligne que la solution envisagée par le gouvernement afin de mettre un terme à ce différend constituerait en un passage d’un régime de concession à un régime d’autorisation avec maintien en place des exploitants actuels, accompagné de la mise en place d’enchères concurrentielles afin de mettre en vente 6 GW de capacités hydroélectriques virtuelles produites par le groupe EDF à des tiers.
Les sénateurs rapporteurs formulent quinze recommandations réunies en quatre axes se concentrant sur l’organisation et la gestion du changement de régime d’un régime de concession à un régime d’autorisation.
Au titre du premier axe, visant à évaluer en amont la robustesse technique et l’impact financier du changement de régime, les sénateurs recommandent :
- De prévoir une évaluation à priori de l’impact financier du changement de régime par la Cour des Comptes et une évaluation de sa robustesse technique par le Conseil d’État.
- D’obtenir, avant que cela ne soit légiféré, une lettre de confort de la Commission européenne garantissant la compatibilité de ce nouveau régime au droit européen.
- D’insérer ce changement législatif par un amendement à la loi Gremillet qui doit être examinée en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale prochainement (voir notre précédente brève concernant son adoption en deuxième lecture par le Sénat le 8 juillet dernier).
Au titre du deuxième axe, visant à sécuriser les paramètres économiques et sociaux du changement de régime, les sénateurs recommandent :
- D’exclure du changement de régime les concessions qui ont été renouvelées récemment et celles pour lesquelles l’activité fluviale est principale et l’activité hydroélectrique seulement accessoire ainsi que celles étant régies par des accords internationaux.
- De confier à une commission d’experts indépendants l’évaluation du montant des indemnités de résiliation des contrats de concession et du prix de cession des ouvrages.
- De prévoir une faculté pour l’État de s’opposer à la cession des ouvrages et une capacité de contrôle de ce dernier sur l’organisation et l’exploitation des ouvrages.
- De préserver le statut national des personnels des industries électriques et gazières.
- De prévoir que la contrepartie au maintien des exploitants historiques soit encadrée par la CRE, n’impacte pas la gestion opérationnelle des installations et soit restreinte à une part temporaire et limitée de la commercialisation de l’électricité.
Au titre du troisième axe, visant à territorialiser la gouvernance et les procédures applicables au secteur de l’hydroélectricité, les sénateurs recommandent diverses mesures et notamment d’assurer le maintien de la redevance perçue par les collectivités territoriales en excluant tout revenu normatif ou prix cible et consolider la gouvernance tripartite de l’eau entre l’État les collectivités territoriales et les exploitants hydrauliques, notamment dans la révision des cahiers des charges.
Au titre du quatrième axe, visant à compléter le changement législatif de régime par une révision des cadres règlementaire et européen, les sénateurs recommandent notamment d’intégrer le changement de régime au décret en cours de rédaction concernant la programmation pluriannuelle de l’énergie dite PPE 3 (voir la brève précédemment citée ainsi qu’une brève précédente expliquant le choix initial du gouvernement de recourir à une loi plutôt qu’un décret pour cette programmation pluriannuelle de l’énergie) et d’y prévoir un objectif de capacité en hydroélectricité de 29 GW d’ici 2035.
Enfin, les sénateurs invitent le gouvernement à poursuivre les négociations afin d’obtenir l’exclusion de l’hydroélectricité du champ de la directive concession du 26 février 2014.