le 16/12/2021

Urbanisme : hameaux uniformément classés en zone agricole, le recadrage tout en nuance du Conseil d’Etat

CE, 24 novembre 2021, n° 435178

Par une décision du 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat recadre le recours au zonage agricole, pour l’envisager un peu plus strictement. Ainsi, le classement en zone agricole de hameaux habités, bien qu’entourés de vastes plaines agricoles, est susceptible d’être entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Pour mémoire, l’article R. 151-22 du Code de l’urbanisme considère les zones agricoles comme « les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Or, à l’occasion de récentes évolutions de PLU, et notamment depuis la loi ELAN, certains auteurs de PLU ont pu être tentés d’appliquer un zonage agricole uniforme aux hameaux limitrophes de secteurs cultivés et partant, sans nuance. Conséquence : de nombreuses maisons à usage d’habitation sont confrontées à l’impossibilité de réaliser des extensions, voire de densifier des parcelles interstitielles. Au reste, des jardins paysagers ont été classés en zone agricole, sans que leur potentiel agronomique, biologique ou économique relève de l’évidence.

Jusqu’à cette décision du 24 novembre 2021, il n’était plus tant demandé au juge de rechercher si les parcelles ont elles-mêmes un caractère agricole, mais si les abords de celles-ci ont un caractère agricole avéré, en cohérence avec les autres documents du PLU (PADD notamment). C’est ainsi que des sites industriels ont pu être classées en zone agricole (CE, 3 juin 2020, sociétés Inerta et Océane : n° 429515), si bien qu’à peu près tout pouvait être classé de la sorte, pourvu qu’un environnement bucolique jouxte les parcelles considérées. Raisonnant a fortiori, quelques Cours se sont d’ailleurs approprié cette position, confirmant le classement en zone agricole de hameau et/ou de parcelles insérés dans de tel groupement de maisons (CAA Bordeaux, 5e ch., 15 déc. 2020, n° 18BX04515 : « Au demeurant, dès lors qu’elle est située au sein d’un secteur ayant une vocation agricole, la circonstance que la parcelle ne présenterait pas elle-même un caractère de terre agricole est sans incidence sur la légalité de son classement » ; CAA Nantes, 2e ch., 18 juin 2021, n° 20NT02723 ; CAA Bordeaux, 5e ch., 6 juill. 2021, n° 19BX04949 : « la partie nord de la parcelle des requérants classée en zone agricole est située dans une zone à dominante naturelle et agricole, à l’écart du centre bourg et des zones urbanisées de la commune et qu’elle est bordée, sur ses côtés ouest, nord et est, par des parcelles cultivées ou boisées classées en zone agricole » ; CAA Bordeaux, 5e ch., 28 sept. 2021, n° 20BX02514 : pour une parcelle en limite d’un hameau excentré distant à la fois du centre-bourg et de la route départementale le long de laquelle s’est structuré le développement urbain toutefois ; voir également pour un classement en zone N : CAA Lyon, 30 juin 2020, n° 19LY02543 ; et a contrario, toutefois : CAA Nantes, 2e ch., 24 sept. 2021, n° 20NT02650).

La décision rendue le 24 novembre 2021 reprend le principe posé par celle rendue en 2020. Selon cette décision, une zone agricole « a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables (PADD), un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Toutefois, elle fait une application plus nuancée de ce principe en l’amendant de manière inédite :

« Si, pour apprécier la légalité du classement d’une parcelle en zone A, le juge n’a pas à vérifier que la parcelle en cause présente, par elle-même, le caractère d’une terre agricole et peut se fonder sur la vocation du secteur auquel cette parcelle peut être rattachée, en tenant compte du parti urbanistique retenu ainsi que, le cas échéant, de la nature et de l’ampleur des aménagements ou constructions qu’elle supporte, ce classement doit cependant être justifié par la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de la collectivité concernée, à plus forte raison lorsque les parcelles en cause comportent des habitations voire présentent un caractère urbanisé ».

Appliquant le principe au hameau de la commune de Lapeyrouse-Mornay, le Conseil d’Etat censure le choix d’un classement uniforme en zone A du hameau :

« Pour juger que le classement en zone A de l’ensemble du secteur du hameau du Bois-Vieux, situé à environ un kilomètre du centre-bourg, dont il ressort de l’arrêt attaqué qu’il comporte notamment une trentaine d’habitations et présente un caractère urbanisé, n’était pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, la cour, en relevant que les auteurs du PLU avaient entendu préserver les ressources agricoles de la commune et rechercher un équilibre entre le développement résidentiel et le maintien du « caractère rural » du hameau, situé au cœur d’une vaste plaine agricole de bonne valeur agronomique et facilement exploitable, alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ce classement permet d’assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de cette commune, a dénaturé les pièces du dossier et les faits de l’espèce ».

En somme, il faut que le classement de parcelle contribue à la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles. Les documents du PLU, et notamment le rapport de présentation, doivent en faire la démonstration. Une vue aérienne valant mieux qu’une longue description, voici ledit hameau, somme toute assez lâche et baignant dans une ambiance agraire :

Notons également ici la censure du Conseil d’Etat intervenue pour dénaturation, soit l’erreur flagrante. Le Conseil d’Etat confie donc toujours aux Cours d’appel le soin de qualifier juridiquement les faits dans le cadre de leur contrôle du choix des zonages. A cet égard, peu sûr que les arrêts de Cours cités auraient résisté à cette nouvelle interprétation de la zone A (voir notamment l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de bordeaux rendu en décembre 2020, s’attachant à relever que la parcelle est située au sein d’un secteur ayant une vocation agricole).

En synthèse, sans que la décision du 24 novembre 2021 ne puisse être qualifiée de revirement, elle reste rendue en formation de chambres réunies ce qui révèle son importance. Elle ajoute une nuance heureuse en matière de zonage agricole. Un peu de granularité en la matière ne peut être que la bienvenue.