le 16/12/2021

Gestion du critère prix et réutilisation de la note technique lors de la passation d’un accord-cadre multi-attributaire pour la fourniture d’électricité

CAA Bordeaux, 2 décembre 2021, Département de la Dordogne, n° 21BX01447, 21BX01447, 21BX01471

Dans une affaire concernant la procédure de passation d’un accord-cadre multi-attributaire et celle d’un marché subséquent pour la fourniture d’électricité, lesquelles connaissent des spécificités qui n’avaient pas encore fait l’objet d’un contrôle de la part du juge administratif, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue préciser, dans un arrêt du 2 décembre, qu’un acheteur doit utiliser un critère prix lors de la passation de l’accord-cadre mais qu’il est en droit, pour juger les offres sur le critère de la valeur technique lors de la passation du marché subséquent, de réutiliser la note que les titulaires de l’accord-cadre ont obtenu sur ce critère lors de la passation de ce premier contrat.

A ce titre, il faut rappeler que la fourniture d’électricité, comme celle du gaz, connaît une spécificité liée à la forte volatilité des prix ; lesquels peuvent évoluer d’heure en heure. Tous les acheteurs sont d’ailleurs actuellement confrontés à une très forte hausse de ces prix.

Face à cette situation, les acheteurs avaient élaboré une pratique, depuis de nombreuses années, consistant à sélectionner les titulaires de l’accord-cadre uniquement sur des critères liés à la valeur technique afin de fixer le prix, dans de très courts délais – le plus souvent de quelques heures –, lors de la passation des marchés subséquents. Le critère prix était donc utilisé à ce stade avec, le plus souvent, une reprise de la note technique pour être en mesure de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse, étant précisé qu’aucune modification n’était apportée dans le marché subséquent aux caractéristiques techniques définies dans l’accord-cadre. Rappelons aussi, à cet égard, que la Direction des affaires juridiques du ministère de l’économie et des finances avait recommandé cette pratique dans son Guide de l’achat d’énergie de mars 2015.

Toutefois, alors que l’article 53 du Code des marchés publics ne posait pas l’obligation d’utiliser un critère prix en cas d’utilisation de plusieurs critères, la réforme de la commande publique a inséré une telle obligation avec l’article R. 2152-7 du Code de la commande publique (CCP).

Compte tenu de ce changement, le Préfet de la Dordogne a formé un premier déféré préfectoral tendant à l’annulation d’un accord-cadre portant sur la fourniture d’électricité, qui avait été conclu par le Département de la Dordogne en sa qualité de coordonnateur d’un groupement de commandes avec plusieurs fournisseurs, au motif qu’aucun critère prix n’avait été utilisé lors de sa passation. Le Préfet a en outre formé un second déféré afin de solliciter l’annulation du marché subséquent conclu par le Département de la Dordogne en considérant que la méthode consistant à réutiliser la note technique serait illégale.

Par un jugement du 8 février 2021, le Tribunal administratif de Bordeaux a résilié cet accord-cadre en considérant, d’une manière surprenante, qu’un accord-cadre devait être qualifié de marché public et, partant, que sa passation devait être soumise à l’article R. 2152-7 du CCP et donc donner lieu à l’utilisation d’un critère prix.

Ensuite, le Tribunal a résilié le marché subséquent au motif que la méthode de notation consistant à réutiliser la note technique ferait obstacle à une remise en concurrence pleine et entière des titulaires de l’accord-cadre et conduirait à priver les critères de sélection de leur pleine portée.

La pratique a ainsi cherché en urgence à se conformer à cette décision pour leurs nouvelles consultations.

Toutefois, saisie d’un recours en appel contre ce jugement et d’un recours tendant au sursis à l’exécution de ce dernier de la part du Département ainsi que d’un recours en appel de la part de la société titulaire du marché subséquent, la Cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté l’intégralité des demandes du Préfet.

S’agissant du marché subséquent, la Cour a remis en cause le raisonnement du Tribunal. En effet, si elle n’a pas retenu que le jugement était empreint d’une erreur de droit, elle a quand même jugé que « la seule circonstance que la remise en concurrence, au stade de la passation du marché subséquent, s’effectue, de facto, sur le fondement du seul critère du prix, les notes obtenues par chacune des entreprises retenues à l’issue de l’accord-cadre leur étant conservées, ne contrevient pas en elle-même aux dispositions précitées de l’article R. 2162-10 du code de la commande publique et n’est pas davantage de nature à conduire au choix d’une offre qui ne serait pas économiquement la plus avantageuse, en l’absence, notamment, de toute variation des caractéristiques des prestations attendues entre l’étape de l’accord-cadre et celle du marché subséquent ».

La Cour a donc validé cette méthode de notation en posant toutefois la condition d’une absence de modification des caractéristiques des prestations lors de la passation du marché subséquent.

En revanche, et alors même que cela peut être discuté, la Cour a jugé qu’un critère prix doit être utilisé, en cas de pluralité de critères, lors de la passation de l’accord-cadre. Cependant, la décision est intéressante sur deux points.

D’une part, remettant en cause le raisonnement du Tribunal, la Cour n’a aucunement qualifié un accord-cadre de marché subséquent pour justifier l’application de l’article R. 2152-7 du CCP mais s’est fondée, pour ce faire, sur l’article L. 2125-1 du CCP selon lequel le recours à l’accord-cadre, comme aux autres techniques d’achat, doit respecter les procédures prévues pour la passation des marchés publics.

D’autre part, la Cour a relevé que le règlement de la consultation prévoyait que l’accord-cadre serait conclu avec quatre titulaires, que seulement trois opérateurs ont soumissionné et, que ces derniers ayant tous été désignés titulaires de l’accord-cadre, l’irrégularité liée à l’absence du critère prix « n’a pas eu d’effet sur le choix des attributaires et la conclusion de l’accord-cadre » de sorte que « la poursuite de l’exécution du contrat est possible ».

Au final, si la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a le mérite de valider la méthode consistant à réutiliser la note technique lors de la passation du marché subséquent, elle contraint toutefois les acheteurs à utiliser un critère prix lors de la passation de l’accord-cadre ce qui nécessite de la part de ces derniers de réfléchir à la manière dont ce critère pourra être utilisé en tenant compte, une nouvelle fois, des contraintes liées à la forte volatilité des prix de l’énergie.