Fonction publique
le 17/10/2024
Célia OUILLÉCélia OUILLÉ

Garantie du droit de se taire : le Conseil constitutionnel confirme son opposabilité en matière disciplinaire

CC, 4 octobre 2024, Décision QPC n° 2024-1105

Par une décision n° 2024-1105 QPC en date du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel juge contraire à la Constitution, le fait de ne pas informer les fonctionnaires mis en cause de leur droit de se taire dans le cadre de la procédure disciplinaire.

La question prioritaire de constitutionnalité visait les dispositions de la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983[1] dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016[2] et du deuxième alinéa de l’article L. 532-4 du Code général de la fonction publique[3], dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du Code général de la fonction publique.

Ces dispositions, relatives aux garanties dont bénéficie le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée, prévoyaient notamment que ce dernier a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel, droit dont il est informé par l’administration.

Cependant, les textes ne prévoyaient pas qu’il soit, en outre, informé du droit qu’il a de se taire, alors même que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées à son encontre dans le cadre de la procédure disciplinaire.

Les demandeurs à la QPC soutenaient que ce droit constitue une garantie fondamentale pour les fonctionnaires. Il résultait donc, selon eux, du silence des textes sur ce point, une méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[4], dont résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser et le droit de se taire.

Le Conseil constitutionnel a fait droit à ce grief.

Les sages ont relevé que le fonctionnaire mis en cause pouvait être amené à reconnaitre, lorsqu’il comparaissait devant le conseil de discipline[5], les manquements pour lesquels il était poursuivi disciplinairement. Ils ont considéré que dès lors que ses déclarations ou les réponses aux questions qui pouvaient lui être posées étaient susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction, ce dernier était susceptible de s’auto-incriminer.

Partant, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions contestées qui ne prévoyaient que le fonctionnaire soit informé du droit de se taire, en ce qu’elles méconnaissaient les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789.

S’agissant des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, les juges de la rue de Montpensier ont reporté au 1e octobre 2025 la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, au regard des conséquences manifestement excessives qu’aurait eues leur abrogation immédiate. Celle-ci aurait eu pour effet de supprimer l’obligation pour l’administration d’informer le fonctionnaire poursuivi disciplinaire de son droit à communication du dossier.

En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité à compter de la publication de sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire était engagée, devait être informé du droit qu’il avait de se taire devant le conseil de discipline.

Cette décision s’inscrit dans la lignée du raisonnement adopté jusqu’alors par la Cour administrative de Paris dans sa récente décision en date du 2 avril 2024[6], que, désormais, le Conseil d’Etat ne manquera pas de confirmer.

Deux choses doivent être relevées, au-delà du principe de la décision.

D’une part, le Conseil constitutionnel n’a pas fait usage de la possibilité dont il bénéficie de reporter véritablement les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité : les litiges en cours, dans lesquels l’information n’a pas été donnée à l’agent, sont donc désormais exposés à un certain risque juridique.

D’autre part, dès lors que la décision du conseil constitutionnel s’appuie sur le risque d’auto-incrimination devant le conseil de discipline, il semble que cette exigence ne s’imposera pas aux procédures engagées pour les sanctions du 1e groupe pour lesquelles cette instance n’est pas consultée préalablement à l’infliction de la sanction.

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[1] Article 19 alinéa 3 de la loi du 13 juillet 1983 : « Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l’assistance de défenseurs de son choix. L’administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l’Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d’un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté »

[2] Ces dispositions ne sont plus en vigueur mais ont été étudiées par le Conseil constitutionnel dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée, en l’occurrence, les dispositions de la loi de 1983.

[3] Article L. 532-4 du Code général de la fonction publique : « Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. L’administration doit l’informer de son droit à communication du dossier. Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l’assistance de défenseurs de son choix »

[4] Article 9 de la déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

[5] Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel prend le soin de rappeler qu’il ne s’agit que du cas où une sanction du deuxième ou troisième groupe est envisagée ; le conseil de discipline n’étant pas convoqué pour les sanctions du premier groupe.

[6] CAA Paris, 2 avril 2024, n° 22PA03578, pour la première fois, le juge administratif a annulé une sanction prise contre un fonctionnaire en méconnaissance de son droit de garder le silence en matière disciplinaire. La Cour administrative de Paris a en effet annulé la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions dont avait fait l’objet un agent public hospitalier au motif que cette sanction est intervenue au terme d’une procédure irrégulière. Elle a estimé que dans la mesure où l’intéressé n’avait pas été informé du droit qu’il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire, cette circonstance l’a privé d’une garantie. La Cour fonde cette décision sur le droit de se taire, lequel découle du droit de ne pas s’auto-incriminer, lui-même résultant du principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.