le 19/12/2018

Fusions d’EPCI : la question du transfert des emplois fonctionnels

TA Châlons-en-Champagne, 6 novembre 2018, Ardenne Métropole c/ Préfet des Ardennes, n° 1701625

Dans une récente décision, le Juge administratif a fait œuvre créatrice en tranchant, implicitement, une zone d’ombre relative à la situation des personnels détachés sur un emploi fonctionnel dans le cadre d’une fusion d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Le litige soumis au Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne concernait l’application de l’article 6 quater de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 qui impose aux collectivités territoriales et EPCI de plus de 80 000 habitants la « primo-nomination » d’au moins 40 % de personnes de chaque sexe dans une liste d’emplois de direction et selon des modalités fixées par le décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique.

Les « primo-nominations » au sens de ces dispositions sont constituées uniquement des nominations depuis l’ « extérieur » de la collectivité ou de l’établissement. La circulaire du ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique en date du 20 août 2012, relative à l’application du décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 (NOR RDFF1229946C) précise les exceptions en rappelant que :

  • « le dispositif s’applique aux nouvelles nominations et non aux agents déjà nommés» ;
  • Sont exclus les « renouvellements dans un même emploi», indiquant que « cette notion fait référence aux décrets portant statut d’emplois qui fixent les durées maximales d’occupation d’un emploi et qui peuvent prévoir le renouvellement de la nomination en précisant la durée d’occupation maximale d’un même emploi » ;
  • Sont exclus également les « nominations dans un même type d’emploi», c’est-à-dire « si le changement d’emploi du titulaire de l’emploi s’effectue au sein d’un des types d’emploi figurant en annexe et au sein de la même collectivité territoriale ».

Cette obligation s’apprécie, soit sur une année civile, au terme de cette année, soit, lorsque la collectivité a effectué moins de 5 nominations (de tout type) dans les emplois considérés dans l’année civile, sur une période allant de la première nomination depuis la dernière analyse du respect de l’obligation au cinquième recrutement, ce dernier recrutement constituant la date d’analyse du respect de l’obligation.

S’il apparaît qu’une collectivité n’a pas respecté cette obligation, le II de l’article 6 quater de la loi n° 83-634 prévoit qu’une contribution forfaitaire est due, multipliée par le nombre d’unités manquantes.

En l’espèce, à l’occasion de l’analyse du respect du dispositif pour l’année 2015 par la communauté d’agglomération Ardenne Métropole, le Préfet des Ardennes a considéré que cette dernière avait procédé à un nombre trop important de « primo-nominations » d’hommes sur les emplois fonctionnels, sans respecter le quota de femmes prévu par les dispositions précitées.

L’établissement ayant refusé d’inscrire la contribution au budget, le représentant de l’Etat avait fait mandater la somme d’office, mandat dont Ardenne Métropole sollicitait la censure auprès du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Les juges de première instance ont ainsi dû s’interroger sur l’existence ou non de « primo-nominations », la communauté d’agglomération défendant le fait que les emplois fonctionnels nommés n’étaient que des changements, au sein de la même collectivité, sur des emplois de même nature, changements exclus du dispositif précité.

En effet, Ardenne Métropole est issue de la fusion, au 1er janvier 2014, d’anciens EPCI et s’était vue, dans ce cadre, transférer les personnels des anciens établissements, dont les emplois fonctionnels.

Au 1er janvier 2015, la structure supprimait les anciens emplois fonctionnels transférés et en créait de nouveaux, sur lesquels elle nommait les mêmes agents auparavant affectés sur les emplois supprimés.

Le principe même du transfert des emplois fonctionnels était toutefois remis en cause par le représentant de l’Etat dans le département dans le cadre de sa contestation du nombre de « primo-nominations » : il estimait que les anciens emplois fonctionnels n’avaient pu être transférés, dès lors que ces derniers seraient des emplois attachés à la personne des agents et à la personne politique de l’élu, ne pouvant donc, du fait d’un lien de confiance particulier, être transférés au même titre que ceux occupés par les autres agents dans une opération de fusion.

Le Préfet arguait notamment de ce que, contrairement aux dispositifs transitoires prévus pour les emplois fonctionnels dans le cadre de la fusion d’établissements publics territoriaux par la loi (article L. 5219-10 IV du Code général des collectivités territoriales (CGCT), créé par la Loi NOTRe), le silence gardé par le CGCT dans le cadre des fusions « classiques » sur le sort des emplois fonctionnels impliquait que ceux-ci ne puissent être transférés.

A ce titre, le Préfet a donc estimé que ces emplois fonctionnels étaient considérés comme des emplois d’une autre collectivité (l’ancienne communauté d’agglomération « Cœur d’Ardenne ») au sens des dispositions de l’article 6 quater de la loi n° 83-634. Le représentant de l’Etat considérait donc que les 3 nominations du directeur général des services, du directeur général des services techniques et d’un directeur général adjoint au 1er janvier 2015 étaient des « primo-nominations » soumises au principe de nominations paritaires d’hommes et de femmes.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a battu ce raisonnement en brèche en explicitant la portée de l’article L. 5211-41-3 III du CGCT, selon lequel « L’ensemble des personnels des établissements publics de coopération intercommunale fusionnés est réputé relever de l’établissement public issu de la fusion dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les siennes. (…) », en précisant que « les personnels qui relèvent d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) issu de la fusion d’établissements publics de coopération intercommunale préexistant, relèvent du nouvel établissement et ont vocation à y recevoir une affectation, laquelle ne saurait être regardée comme consécutive à une nomination au sens des dispositions de l’article 6 quater précité ».

Ce faisant, il a considéré, par un raisonnement original, d’une part, que les emplois fonctionnels des anciennes entités avaient été transférés en tant que tels au sein de la nouvelle entité (et non comme des emplois fonctionnels de la nouvelle entité).

Toutefois, et d’autre part, les juges de première instance ont estimé que cette situation temporaire, à laquelle il était mis fin par la suppression des emplois et la création de nouveaux, propres à Ardenne Métropole, ne permettait pas de considérer que la nomination des anciens cadres sur ces postes soient des « primo-nominations » au sens des dispositions précitées.

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ainsi validé le principe selon lequel les emplois fonctionnels d’EPCI fusionnés sont transférés au sein du nouvel EPCI qui les conserve jusqu’à ce que de nouveaux emplois fonctionnels, propres à la nouvelle entité, soient créés.

Il a ainsi, implicitement, transposé aux situations générales le dispositif original créé par la Loi NOTRe pour le transfert des emplois fonctionnels lors de la fusion d’établissements publics territoriaux, confirmant la portée générale au texte de l’article L. 5211-41-3 III du CGCT, « l’ensemble des personnels » comprenant donc les agents détachés sur emplois fonctionnels.

Ce jugement, d’intérêt notable et inédit en matière de fusion d’EPCI, fera toutefois très probablement l’objet d’un appel compte-tenu de la position contradictoire jusqu’alors arguée par la Direction générale des collectivités locales sur cette question, laquelle estime, dans cette hypothèse, que les anciennes entités doivent nécessairement mettre fin à l’ensemble des détachements sur emplois fonctionnels avant la fusion, via la procédure de l’article 53 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984.

Par Emilien BATOT