le 18/10/2018

Expertise judiciaire et interruption du délai de l’action en garantie décennale

CE, 26 juillet 2018, n° 411676

Cette décision rappelle le principe selon lequel l’interruption du délai de l’action en garantie décennale, de dix ans à compter de la date de réception de l’ouvrage, nécessite que soient identifiés de manière suffisamment précise les désordres concernés au sein de la requête en référé-expertise.

Le Conseil d’Etat, faisant application des dispositions de l’ancien article 2244 du code civil[1], était déjà venu confirmer qu’ « une demande en référé présentée par une collectivité publique, tendant à la désignation d’un expert aux fins de constater des désordres imputés à des constructeurs, ou d’en rechercher les causes, a pour effet non de suspendre mais d’interrompre le délai de dix ans à l’expiration duquel la responsabilité de ces constructeurs ne peut plus être recherchée devant le juge administratif à raison desdits désordres. » (CE, avis, 22 juillet 1992, n°136332, Commune de Marcilly-sur-Eure)

Dès lors qu’une telle interruption ouvre un nouveau délai d’action de dix ans, les enjeux d’une formulation précise de la demande d’expertise sont évidents, notamment pour le maître d’ouvrage.

En l’espèce, faisant suite à l’apparition de désordres affectant le « pôle mère-enfant » d’un centre hospitalier, réceptionné le 28 juillet 1995, une expertise judiciaire avait été sollicitée le 1er juillet 2005, avant que ne soient condamnés solidairement plusieurs constructeurs.

En appel, ce jugement a été réformé et le montant de la condamnation considérablement diminué au motif que la demande en référé expertise ne concernait qu’un seul poteau et qu’aucune interruption du délai de prescription n’était corrélativement intervenue pour les désordres affectant les autres poteaux de l’ouvrage.

Ce raisonnement n’est pas suivi par le Conseil d’Etat qui reprend les termes même de la demande de référé précitée, mentionnant l’existence d’un « phénomène de désagrégation des poteaux en béton armé qui soutiennent le bâtiment » et un « problème d’affaissement des planchers », ainsi que ceux de l’ordonnance de référé faisant droit à cette demande et chargeant l’expert de « visiter les lieux et constater les désordres », « d’en décrire la nature en indiquant la date la date à laquelle ils sont intervenus et en donnant tous les éléments de fait permettant d’apprécier s’ils rendent l’ouvrage impropre à sa destination ou en affectent la stabilité » et « d’en rechercher leurs causes (…) ». 

C’est pourquoi, « en estimant que la demande en référé ne concernait que le poteau P. 30 et que la mission de l’expert était limitée à ce seul poteau, pour en déduire que cette demande n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action en garantie décennale pour les désordres relatifs aux autres poteaux, la cour administrative d’appel de Marseille a méconnu la portée tant des écritures du centre hospitalier que de l’ordonnance du 21 octobre 2005 ».  

Il convient donc de veiller à bien définir la mission de l’expert judiciaire et les désordres concernés, afin de pouvoir bénéficier de l’effet interruptif d’une demande de référé-expertise.

[1] Dispositions reprises au sein du nouvel article 2241 du code civil : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ».