Environnement, eau et déchet
le 13/01/2022
Zayd MARSSOZayd MARSSO

Espèces protégées : pas de dérogation aux interdictions de destruction d’espèces protégées pour un projet d’extension d’une carrière de sable qui ne répond pas à un besoin spécifique

CE, 30 décembre 2021, Société Sablière de Millières, n° 439766

Le Conseil d’Etat a rendu le 30 décembre 2021 une décision relative aux conditions dans lesquelles le préfet peut accorder, pour une raison impérative d’intérêt public, une dérogation aux interdictions de destruction d’espèces de flore et de faune sauvages protégées.

Dans cette affaire, une société sablière exploitant une carrière de sable a obtenu par arrêté préfectoral en 2016, d’une part, la prolongation de l’autorisation d’exploiter cette carrière pour trente ans et, d’autre part, l’autorisation d’extension du périmètre de l’exploitation sur 56,5 hectares supplémentaires. En février 2017, le préfet a, dans ce cadre, accordé à ladite société une dérogation à l’interdiction de procéder à la perturbation intentionnelle d’espèces animales protégées et à la destruction, l’altération et la dégradation de leurs milieux particuliers. Cette dérogation portant sur pas moins de trente-neuf espèces protégées, l’Association Manche Nature a saisi la juridiction administrative.

L’enjeu était alors pour le juge de déterminer si le projet d’extension de la carrière de sable répondait à une raison impérative d’intérêt public justifiant ainsi l’obtention par le pétitionnaire d’une dérogation aux interdictions de destruction d’espèces de flore et de faune sauvages protégées.

En droit, lorsque les nécessités de préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d’espèces animales non domestiques, l’article L. 411-1 du Code de l’environnement interdit la destruction, la perturbation intentionnelle, la dégradation ou l’altération des espèces de flore et de faune sauvages protégées ou leur habitat. L’article L. 411-2 du Code de l’environnement prévoit néanmoins que l’autorité administrative compétente peut délivrer des dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, pour des « raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Cette dérogation ne peut toutefois être octroyée que s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Il convient de rappeler que ces dispositions transposent en droit interne les articles 12 à 16 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

En l’occurrence, la Haute juridiction rappelle dans un considérant de principe « qu’un projet de travaux, d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, tels que notamment le projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Le Conseil d’Etat constate qu’en l’espèce, la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits de l’espèce en considérant que le projet ne répondait pas à un besoin spécifique et que l’existence d’autres carrières dans un environnement proche suffisait aux besoins de la filière locale de transformation de granulats. En effet, il n’est pas établi qu’il n’existerait pas dans cette région d’autres gisements de sable de nature et de qualité comparables et en quantité suffisante pour répondre à la demande. Par ailleurs, il n’est pas non plus démontré que l’existence et la vitalité de la filière locale d’extraction et de transformation de granulats serait mise en péril du seul fait d’être contrainte de s’approvisionner en dehors du département, ni encore que l’acheminement du sable jusqu’aux centrales à béton du département entraînerait nécessairement un accroissement de la pollution de l’air.

Ainsi, pour la Haute juridiction, ce projet ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement et l’annulation de l’arrêté était justifiée.