TA de Lyon, 8ème, 3 mai 2024, n° 2203751
Par deux décisions rendues au cours du printemps, le Tribunal administratif de Lyon et la Cour administrative d’appel de Nancy sont venus rappeler l’interdiction pour les agents publics de procéder à l’enregistrement de leurs collègues et supérieurs hiérarchiques sans leur autorisation. Et cela, même si l’agent n’a pas procédé lui-même à l’enregistrement. Et cela même s’il s’estime victime de harcèlement.
Dans le litige dont était saisi la Cour administrative d’appel de Nancy, le requérant avait fait installer par son collègue, placé sous son autorité, un dispositif discret d’enregistrement dans un véhicule de service dans le but de confondre l’un de ses collègues, qu’il soupçonnait d’avoir bloqué sa carte professionnelle par malveillance. Bien que l’intéressé n’ait pas lui-même procédé à l’enregistrement, la Cour a rappelé que « la décision contestée ne reproche pas au requérant d’avoir placé lui-même le dispositif, mais d’avoir eu l’idée d’enregistrer secrètement les conversations de l’un de ses collègues pendant le service ». Et la Cour de juger que « la démarche consistant à faire enregistrer secrètement les conversations de ses collègues », qui a par ailleurs a « eu pour effet d’exacerber les tensions déjà prégnantes dans le service », constitue un manquement aux obligations de loyauté, de dignité et d’exemplarité.
En d’autres termes, la simple commande de faire procéder à l’enregistrement d’un collègue est fautive.
Pour ce qui est du Tribunal administratif de Lyon, la juridiction a confirmé la légalité de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions de trois jours d’une rédactrice territoriale qui avait notamment méconnu son obligation de réserve et de dignité en enregistrant ses supérieurs à leur insu lors d’un entretien.
En l’espèce, la requérante justifiait ses agissements en soutenant qu’elle aurait été victime de harcèlement moral. Argument qui n’a pas convaincu le tribunal et qu’il a écarté de la manière suivante : « Si Mme X expose qu’elle a été victime de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions, les circonstances dont il est fait état et relatives au déroulement de sa carrière, à ses conditions de travail, à son état de santé et aux missions qui lui étaient confiées ne permettent pas de faire présumer un tel harcèlement ». Dans la mesure où la requérante « a reconnu lors de la séance du conseil de discipline avoir procédé à l’enregistrement de ses supérieurs à leur insu lors d’un entretien », le tribunal estime que l’agent a observé un comportement fautif, et cela peu importe la motivation qui l’avait animé. Dès lors, la simple conviction de subir une situation de harcèlement moral ne saurait légitimer l’enregistrement à l’insu de ses supérieurs hiérarchiques. Mais en aurait été-il autrement si le harcèlement moral avait été bel et bien caractérisé ?
La chambre sociale de la Cour de Cassation a admis récemment la recevabilité d’un mode de preuve obtenu de manière déloyale, dès lors qu’il est indispensable à l’exercice du droit du justiciable à condition qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse, à l’image du droit au respect de la vie privée (Cass., plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 ; Cass., plén., 22 déc. 2023, n° 21-11.330). Était en cause dans la première affaire des enregistrements clandestins destinés à prouver la faute grave du salarié susceptible de justifier son licenciement.
La position du Conseil d’Etat est plus ferme. En consacrant un principe de loyauté de l’Administration employeur vis-à-vis de ses agents, cette dernière ne peut fonder une sanction disciplinaire sur des pièces ou documents obtenus en méconnaissance de cette obligation sauf si un intérêt public majeur le justifie. Et le juge est tenu d’apprécier la légalité de la sanction disciplinaire au regard des seules pièces que l’autorité disciplinaire pouvait retenir (CE, 16 juillet 2014, n° 355201). Ce principe de loyauté semble avoir été étendu aux agents vis-à-vis de leur Administration employeur. En effet, par exemple, un procès-verbal de constat d’huissier transcrivant les enregistrements clandestin de conversations a dû être écarté « eu égard au principe de loyauté des preuves qui s’impose dans le procès administratif, sauf si un intérêt public majeur le justifie, ce qui n’est pas démontré ni même allégué par Mme C…, ce procès-verbal de constat doit être écarté » (C.A.A. de Douai, 1er décembre 2016, n° 14DA01169). Et puis, à supposer que le Conseil d’Etat vienne à admettre un procédé aussi déloyal que l’enregistrement clandestin, il n’en demeurerait pas moins que le comportement de l’agent resterait, malgré tout, fautif. Et ce, pour deux raisons.
D’abord parce que l’on rappellera que cette pratique dans l’air du temps, tendant donc (à tort ou à raison) à se généraliser, reste une infraction pénale. En effet, en vertu des dispositions de l’article 226-1 du Code pénal, la captation ou l’enregistrement à l’insu de son auteur de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel est une atteinte à la vie privée passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Ensuite parce que la spécificité du droit de la fonction publique impose aux agents publics un devoir de loyauté, de dignité, d’exemplarité et de réserve. En ce sens, le Tribunal administratif de Paris a par exemple jugé que : « la circonstance que ces enregistrements et cette note n’aient pas été diffusés de manière publique, mais uniquement à un huissier et à un magistrat instructeur dans la cadre d’une enquête pénale, pour justifier des faits de harcèlement moral, ne saurait exonérer l’agent de son devoir d’exemplarité et de loyauté ». (T.A. de Paris, 13 avril 2023, n° 2110196).
Ce qui est certain, c’est qu’en l’état de la jurisprudence administrative, la fin ne justifie toujours pas les moyens.