le 09/07/2015

Emprunts toxiques : commentaire du jugement Saint Cast Le Guildo du 26 juin 2015

Le Tribunal de grande instance de Nanterre a rendu très récemment, le 26 juin dernier, un jugement dans un litige opposant la Commune de Saint Cast Le Guildo à DEXIA CREDIT LOCAL et à la CAFFIL dans le cadre des procédures portant sur les crédits structurés vendus aux collectivités et qualifiés communément d’ « emprunts toxiques ».

Cette décision est sans doute la première à décider que la banque des collectivités locales a engagé sa responsabilité pour manquement à ses obligations et à la condamner à réparer le préjudice de la commune résultant de ses manquements.

Si, dans un passé récent, les tribunaux ont déjà condamné la banque impliquée dans ces litiges, ces décisions concernaient la nullité de la clause de stipulation d’intérêt ou bien le cas de swaps, mais non de crédits structurés.

Un jugement a été rendu dernièrement par ce même Tribunal, le 24 avril 2015, concernant la Commune de Carrières-sur-Seine, dans lequel les Juges ont constaté des manquements aux obligations de la banque, mais faute de preuve du préjudice subi par la collectivité, il n’y a pas eu de condamnation de la banque sur ce fondement.

Il nous a donc paru intéressant d’examiner la motivation de cette nouvelle décision qui intervient dans un contexte particulier, au moment où les demandes d’aide doivent être examinées et traitées par le Fonds de soutien et où, bientôt, les collectivités auront à prendre une décision, d’accepter le refinancement aux conditions indiquées ou de poursuivre l’action contentieuse si les conditions de refinancement ne leur apparaissent pas acceptables ou supportables.

Dans cette affaire, le litige engagé par la Commune de Saint Cast Le Guildo devant le Tribunal portait sur un contrat de prêt structuré conclu en 2007 et dont le taux d’intérêt pendant la 1ère phase de 2007 à 2010 est fixé à 3,99% et, pendant la 2ème phase d’une durée de 24 ans est basé sur la parité EURO / Francs suisses avec un cours pivot fixé à 1,44  : dans le cas où le cours de change est inférieur au cours pivote, le taux appliqué est égal à la somme de :
–    d’une part, d’un taux fixe de 5,99% ;
–    d’autre part, de 50 % du taux de variation du cours de change de l’euro en francs suisses.

Le contrat prévoit ensuite une 3ème phase, de 2032 à 2035, avec un taux égal à l’EURIBOR 12 mois.

En raison de l’augmentation considérable du taux d’intérêt et du montant de l’indemnité de remboursement anticipé, qui rend impossible tout refinancement, la commune a assigné DEXIA CREDIT LOCAL en 2011.

Les demandes de la collectivité étaient les suivantes :

–    à titre principal, une demande principale en nullité du contrat pour vice du consentement ;
–    à titre subsidiaire :
o    mise en cause de la responsabilité de la banque pour violation de ses obligations d’information, de mise en garde et de conseil ;
o    nullité de la stipulation conventionnelle d’intérêt ;
o    nullité de la clause de remboursement anticipé.

On retiendra que le Tribunal a jugé que :

1.    le produit souscrit est un produit complexe dont les caractéristiques et les risques ne pouvaient être appréhendés que par un emprunteur averti ou conseillé par un professionnel de la finance de marché :

a.    à ce sujet, le Tribunal relève que la formule cours pivot / cours de change EURO/CHF, (très habituelle dans ces contrats), est ambigüe en raison du pourcentage (50%) appliqué au taux de variation du cours de change, qui est un multiplicateur de 50 rendant exponentielle toute augmentation du taux d’intérêt et non, comme tentait de le faire croire la banque, une division par 2.
b.    le Tribunal relève que le contrat comprend un produit à barrière sur taux de change incluant une option de change sur devises qui consiste à spéculer sur la parité de deux devises, en l’occurrence le franc suisse et l’euro et qu’il comprend dans ce cas un effet de change mais aussi un effet de levier. Il estime qu’« en contractant, la commune est donc devenue emprunteur mais aussi acteur des marchés financiers prenant un risque certain lié à la fluctuation des conditions de marché et des cours de change ».

2.    le caractère averti de la Commune n’est pas établi :

a.    le Tribunal constate l’absence d’expérience particulière dans ce type d’emprunt à la date de signature ainsi que la diversité des prêts structurés « emportant chaque fois une nouvelle complexité ainsi que des risques particuliers plus ou moins importants que seule une compréhension complète de la formule de taux, de ses paramètres et de ses enjeux permet d’appréhender ».
b.    le Tribunal se réfère à la reconnaissance par les établissements bancaires dans la Charte de 2009 du caractère non professionnel financier des collectivités locales et à la mention faite dans la circulaire du 25 juin 2010 selon laquelle les gestionnaires locaux ne relèvent pas nécessairement de la catégorie des emprunteurs avertis.
c.    malgré l’expérience constatée de l’adjoint aux finances, qui avait exercé les fonctions de directeur de l’agence du Crédit Agricole du Plétan le Petit, le Tribunal juge qu’ « elle n’en faisait pas pour autant une personne avertie en finance de marché, capable de comprendre toutes les implications et les risques présentés par cette formule et le sous-jacent sur lequel elle est indexée ».
Ainsi, malgré les qualifications ou les fonctions occupées par l’adjoint aux finances ou le chargé des finances à la mairie, les juges estiment qu’ils n’avaient pas d’expérience ni de formation adaptée à la compréhension de la finance de marché et soulignent à partir des déclarations des uns et des autres l’illustration de la nature particulière du taux stipulé et de l’asymétrie d’informations au moment de la négociation du contrat.

3.    en raison du caractère non averti de la Commune, la banque avait « une obligation d’information et de mise en garde sur l’ensemble des caractéristiques, y compris ses aspects les moins favorables de nature à placer la Commune en difficulté pour exécuter ses obligations ».

a.    Le Tribunal a constaté que :
i.    une seule proposition de prêt avait été présentée ;
ii.    l’absence de test de sensibilité de nature à alerter sur les risques d’augmentation du taux d’intérêt et sur le mécanisme d’effet de levier ;
iii.    l’absence de mention du caractère potentiellement illimité de l’augmentation du taux d’intérêt.

b.    les manquements aux obligations d’information et de mise en garde sont de nature à engager la responsabilité de la banque, « dès lors que les risques dont la commune n’a pas été informée, liés à l’évolution du cours de change EURO/CHF, se sont bien réalisés » ;

4.    le Tribunal rappelle que le préjudice résulte de la perte de chance pour l’emprunteur de ne pas contracter. Il est intéressant de noter que les Juges affirment que les surcoûts d’intérêts et d’indemnité de remboursement ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte.

5.    en l’espèce, la perte de chance retenue est de 50 %. Pour déterminer cette part, le Tribunal se fonde sur les éléments suivants :

a.    le caractère brutal de la baisse du cours de change et de la survenue de la crise de 2008 qui n’était pas anticipée par les acteurs des marchés ;
b.    l’absence de prudence de la part de la Commune qui aurait dû la conduire à ne pas contracter un acte complexe et opaque ;
c.    le niveau du taux fixe en 2007 qui aurait été supérieur à celui appliqué jusqu’en 2010.

Pour déterminer le quantum du préjudice, on notera les arguments du Tribunal :

d.    la prise en compte de l’indemnité de remboursement est écartée car il s’agit d’un préjudice éventuel ;
e.    la prise en compte du surcoût du prêt, à savoir le surplus d’intérêts en comparaison du coût qui aurait été assumé si le taux d’intérêt ne s’était pas dégradé (comparaison entre taux appliqué et taux bonifié depuis la phase structurée).

Sur cette question, on remarque que le Tribunal ne prend en considération qu’une partie du préjudice, pour le passé jusqu’au jour du prononcé, mais il ne tient pas compte des effets résultant de la poursuite du contrat jusqu’à son terme ou son refinancement éventuel. Il ne s’agit pas d’un préjudice connu à ce jour mais il est certain puisque la formule du taux a vocation à s’appliquer pendant toute la phase structurée et que l’effet multiplicateur des 50 % ajoute à toute dégradation.

Dans ce cas, contrairement à ce qu’a décidé le Tribunal, on peut penser que l’indemnité de résiliation est un élément de préjudice à prendre en compte afin de permettre à la Commune de se dégager de tout risque pour le futur. D’autant plus que si l’on analyse le préjudice comme le résultat de la perte de chance de n’avoir pas signé le contrat, on peut raisonnablement et logiquement considérer que l’indemnité pour quitter ce financement qui n’aurait pas dû être accepté et pour retourner à un prêt à taux fixe ou à taux simplement variable doit être intégrée dans l’assiette de l’indemnisation.

Le jugement nous paraît ainsi contradictoire sur ce point : d’un côté il réaffirme – conformément à la jurisprudence – que la perte de chance doit être évaluée « à la mesure de la chance perdue de ne pas avoir contracté et non des avantages qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » et affirme que « les surcoûts d’intérêts et d’indemnité de remboursement sont certes des aspects défavorables. Mais une juste indemnisation du préjudice de la Commune ne peut se résumer à ces surcoûts » et d’un autre côté, il n’en tire pas toutes les conséquences en limitant l’assiette du préjudice aux pertes avérées consécutives à la conclusion du contrat. Autrement dit, si les avantages du taux d’intérêt stipulé avaient perduré jusqu’au jugement (en l’absence de dégradation) cela signifierait que le préjudice serait nul et la perte de chance inexistante quand bien même le risque continuerait de subsister pour la période postérieure.

6.    pour la détermination du quantum, le Tribunal répond aux griefs de la commune visant la validité de la clause de stipulation d’intérêts et celle du remboursement anticipé.

Curieusement, la collectivité n’avait pas développé d’argument sur la non-conformité de la loi de validation de juillet 2014, de sorte que, nécessairement, le Tribunal l’a déboutée de sa demande fondée sur le TEG en application de la loi du 29 juillet 2014.

Concernant l’indemnité de remboursement anticipé, la commune avait soulevé son caractère potestatif, à défaut abusif et créateur d’un déséquilibre financier.

Le Tribunal répond dans la continuité de la jurisprudence :

–    si l’indemnité n’est pas déterminée, cela résulte d’une cause extérieure à la volonté des parties, conditionnée par les marchés financiers ; dès lors elle est licite ;
–    sur le caractère abusif, si l’article L.132-1 du Code de la consommation est bien applicable aux Communes, la clause a une cause légitime ;
–    sur l’argument tiré du déséquilibre financier en application de l’article L.442-6 du Code du commerce, les juges relèvent que la Commune n’a pas usé de sa faculté de rembourser le prêt, ni sollicité son refinancement et n’a donc pas eu à verser d’indemnité. Cette réponse appelle des réserves car, en dehors des faits de l’espèce que nous ne connaissons pas dans les détails, la plupart du temps les Communes ne peuvent procéder au paiement de l’indemnité de remboursement fixée par la banque et c’est pour cette raison qu’elles n’exercent pas la faculté prévue par les clauses contractuelles. Cette solution paraît peu réaliste, surtout que l’on sait que la plupart des refinancements litigieux avec paiement d’une indemnité de remboursement anticipée sont effectués dans un cadre transactionnel.

Malgré les réserves évoquées ci-dessus, c’est donc un début prometteur pour les collectivités qui ne sont pas nécessairement considérées comme des emprunteurs avertis.