le 10/01/2019

Eclaircissements de la Cour de justice de l’Union européenne sur les « réseaux fermés de distribution d’électricité »

CJUE, 28 novembre 2018, Solvay Chimica Italia SpA et autres c. AEEGSI, aff. C-262-17, C-263/17 et C-273/17

La Cour de justice de l’Union Européenne (ci-après la « CJUE ») a livré une interprétation précieuse sur la notion de « réseaux fermés de distribution d’électricité » au sens de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

Saisie par le tribunal administratif régional de Lombardie (Italie) dans le cadre d’un litige opposant plusieurs gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité et l’autorité de régulation de l’énergie italienne au sujet de la décision prise par cette dernière sur l’accès des tiers et le service d’appel[1], la CJUE a examiné les questions suivantes :

  • Un « réseau privé » d’électricité au sens du droit italien[2] pouvait-il être qualifié de « réseau de distribution d’électricité » au sens de la directive 2009/72/CE ?
  • Un Etat membre n’a-t-il d’autres choix que de soumettre un réseau « privé » au régime juridique des réseaux « fermés » de la directive 2009/72/CE, ou peut-il créer une catégorie distincte de réseaux, soumise à un régime simplifié, et différente de celle des réseaux « fermés » ?
  • Plus particulièrement, les réseaux « fermés » sont-ils soumis à l’obligation d’accès non discriminatoire des tiers, ou l’Etat membre peut-il limiter leur accès aux seuls utilisateurs pouvant être raccordés à ces réseaux et disposant par ailleurs d’un accès au réseau public ?
  • Aussi, le droit national peut-il prévoir que les montants dus au titre du service d’appel par les utilisateurs d’un réseau privé sont calculés sur la base de l’électricité échangée par chacun desdits utilisateurs à travers le point de connexion de leur installation ?

En réponse, la CJUE a tout d’abord rappelé que le seul critère pertinent pour la qualification d’un « réseau de distribution d’électricité » au sens de la directive 2009/72/CE est la tension de l’électricité acheminée sur le réseau, et non la date de mise en place du réseau, sa finalité d’autoconsommation, sa gestion par une entité privée, le fait qu’il relie un nombre limité de producteurs et de consommateurs ou le raccordement du réseau considéré au réseau public de distribution d’électricité.

Ainsi, un réseau « privé » d’électricité relève de la distribution d’électricité au sens de la directive 2009/72/CE dès lors qu’il sert « à acheminer de l’électricité à haute, à moyenne ou à basse tension destinée à être vendue à des clients finals », et cela y compris lorsqu’il satisfait aux autres critères susvisés, comme c’est le cas dans la législation italienne.

Ensuite, la CJUE a précisé que les réseaux qualifiés par un Etat membre de « fermés » sont exclusivement soumis à la directive 2009/72/CE, et notamment aux exemptions prévues au paragraphe 2 de l’article 28 et au paragraphe 4 de l’article 26 de cette directive.

Dans cette mesure, de tels réseaux ne peuvent pas relever « d’une catégorie distincte de réseaux de distribution en vue de leur accorder des exemptions non prévues par ladite directive » et ne peuvent donc pas non plus faire l’objet d’un régime juridique différent.

Il s’en suit qu’un réseau fermé de distribution ne peut bénéficier que des exemptions prévues par la directive 2009/72, et « il ne saurait en revanche être exempté de l’obligation de libre accès des tiers […] de cette directive ».

Enfin, la CJUE a considéré que la réglementation italienne sur le calcul de la redevance due au titre du service d’appel par les utilisateurs d’un réseau « fermé » de distribution d’électricité est susceptible d’établir, à défaut d’une justification objective, un traitement discriminatoire entre ces derniers et les utilisateurs du réseau « public ».

En fixant des règles de calcul de cette redevance identiques aux utilisateurs d’un réseau « fermé » et aux utilisateurs d’un réseau « public », la CJUE a estimé que la réglementation italienne serait contraire à la directive 2009/72 précité s’il est démontré, d’une part, que ces deux catégories d’utilisateurs ne se trouvent pas dans la même situation, et d’autre part, que le prestataire du service d’appel du réseau « public » supporte des coûts limités à l’égard des utilisateurs d’un réseau « fermé » (dans la mesure où ces derniers ont un recours résiduel au réseau public).

Ce qu’il reviendra désormais à la juridiction italienne de vérifier.

[1] « le service d’appel permet au gestionnaire du réseau électrique de procéder à l’appel des installations de production situées dans une zone déterminée afin, notamment, de se procurer l’énergie qu’il utilise pour couvrir les pertes d’énergie et maintenir une capacité de réserve dans son réseau ainsi que d’assurer l’équilibre de ce réseau et de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité ».

[2] « Réseau constitué et géré par une entité privée, auquel est relié un nombre limité d’unités de production et de consommation, et qui est à son tour connecté au réseau public (…) constitués avant l’entrée en vigueur de la directive et ayant à l’origine pour finalité l’autoproduction ».