À l’occasion de la 25ème journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, un rapport ministériel a permis de mesurer l’ampleur de ce phénomène (I°) qui doit être confronté au faible taux de poursuites pénales (II°).
1. Le constat d’une violence structurelle et d’ampleur …
Depuis plusieurs années, le rapport d’enquête dite de « victimisation » nommé « Vécu et ressenti en matière de sécurité » établi par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) permet d’appréhender, à partir d’un échantillon de plus de 100.000 personnes, les infractions dont celles-ci ont été victimes au cours de leur vie.
Concernant les violences faites aux personnes, il est à souligner une forte sous-judiciarisation des violences sexistes et sexuelles, et, dans une moindre mesure, des violences conjugales, dont l’écrasante majorité des victimes est constituée de femmes[1].
Ainsi, dans le dernier rapport publié le 14 novembre dernier, il est mis en évidence qu’en 2022, 3 % des personnes âgées de 18 ans et plus déclarent avoir été victimes de violences sexuelles, dont 85 % sont des femmes[2].
Plus précisément, il ressort de cette étude que la population âgée de 18 à 24 ans a une probabilité 3 fois supérieure de déclarer avoir subi une violence sexuelle non physique[3], voire 5 fois supérieure concernant les violences sexuelles physiques[4], que le reste de la population.
Or, parmi ces victimes, seules 3 % ont déposé plainte auprès de la police ou de la gendarmerie.
Les principales raisons évoquées pour expliquer l’absence de dépôt de plainte sont les suivantes :
- les victimes ne voient pas l’utilité d’une telle démarche (23 %) ;
- elles considèrent que l’atteinte subie n’était pas assez grave (23 %) ;
- elles pensent que leurs déclarations n’auraient pas été prises au sérieux par les forces de sécurité intérieure (15 %).
Le SSMSI a estimé, dans la population française métropolitaine, que :
- 242.000 et 298.000 personnes ont été victime de violences sexuelles physiques [5];
- 364.000 et 1.482.000 personnes ont été victime de violences sexuelles non physiques [6];
- 445.000 et 524.000 personnes ont été victime de violences conjugales [7].
2. … face aux chiffres extrêmement bas des poursuites
En avril dernier, une note de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) avait mis en lumière le sort des plaintes déposées à la suite de violences conjugales ou de violences sexuelles[8].
Cette note avait été rédigée à partir des données issues du logiciel Cassiopée, logiciel utilisé par les magistrats permettant le recensement des procédures pénales.
Concernant les violences sexuelles, 86 % des affaires traitées entre 2012 et 2021 ont donné lieu à un classement sans suite contre 14 % qui ont entraîné des poursuites.
S’agissant des violences conjugales, 72 % des affaires ont été classées sans suite ; pour 28 % de poursuites.
Dans les deux cas, un des principaux obstacles aux poursuites est le manque de preuve pour caractériser l’infraction poursuivie, en particulier s’agissant des violences sexuelles.
En complément de ces éléments chiffrés, il est nécessaire d’indiquer que le Service statistique ministériel de la justice avait souligné, dans une note de novembre 2023, qu’entre 2017 et 2022, 6.300 condamnations en moyenne par an ont été prononcées concernant des violences sexuelles, principalement pour agression sexuelle (76 %).
Les condamnés sont quasi-exclusivement des hommes, puisqu’ils représentent 99 % de l’échantillon.
Les difficultés recensées au niveau du signalement, comme du traitement judiciaire réservé aux violences faites aux femmes, ont alimenté les récentes réformes ayant contribué à la mise en place des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales, depuis le 1er janvier 2024, ainsi que la reconnaissance de la notion de contrôle coercitif dans plusieurs arrêts rendus par la Cour d’appel de Poitiers[9].
Certaines problématiques demeurent d’actualité et constituent d’ailleurs l’un des points de départ de la réflexion en cours concernant l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol en droit français, thème d’un colloque récent au Sénat [10].
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[1] Respectivement 85 % des victimes de violences sexuelles physiques, 86 % des victimes de violences sexuelles non physiques et 77 % des victimes de violences conjugales
[2] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite (p.13/37)
[3] Harcèlement sexuel, exhibition sexuelle ou envoi d’images à caractère sexuel et non sollicitées
[4] Viol, tentative de viol et agression sexuelle
[5] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite (p.31/37)
[6] Ibid. p.31
[7] Ibid. p.31
[8] https://www.ipp.eu/publication/le-traitement-judiciaire-des-violences-sexuelles-et-conjugales-en-france/
[9] CA Poitiers, 31 janvier 2024, 28 août 2024 et 6 novembre 2024 : Concept de science sociale qui a été repris à son compte par la Cour d’appel pour motiver des décisions de condamnation en matière de violence intra-familiale : il s’agit de l’ensemble des techniques qui « visent à contraindre, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer (…) elles relèvent d’une stratégie de l’agresseur, fondée sur la micro-régulation du quotidien ».
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2024/12/CA-Poitiers-6-novembre-2024.pdf
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2024/12/CA-Poitiers-28-aout-2024.pdf
[10]https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/colloque-le-consentement-et-la-definition-penale-du-viol.html