le 16/07/2020

Domanialité publique – bureaux – régime des AFUL et ASL

CE, 23 janvier 2020, Commune de Bussy-Saint Georges, n° 430192

La décision rendue par le Conseil d’État le 23 janvier dernier est intéressante sur le terrain de la domanialité publique, et ce à trois égards.

Le Conseil d’État était amené à se prononcer sur la domanialité publique d’un ensemble immobilier appartenant à une commune, inclus dans le périmètre d’une association foncière urbaine, ensemble immobilier qui renfermait, pour certains lors, des « salles et des locaux à usage de bureaux, qui étaient mis à la disposition de diverses associations à caractère social, sportif ou culturel, afin d’y recevoir leurs adhérents et les habitants de la commune intéressés par les activités qu’elles proposaient », et pour d’autres lots, des bureaux occupés par des services municipaux qui renfermaient un « point d’accueil et d’orientation ».

Le Juge administratif a considéré que cet ensemble immobilier ne relevait pas du domaine public de la commune, et ce pour les raisons suivantes.

On sait que depuis 2006, l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose que « le domaine public d’une personne publique […] est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».

Or, dans l’affaire commentée, si l’ensemble immobilier vérifiait effectivement le critère organique (il était la propriété de la commune), il ne vérifiait en revanche pas le critère matériel tiré de l’affectation à l’utilité publique, et ce dans aucune de ses deux branches.

En premier lieu, en effet, le Conseil d’État considère que les lots composés des salles et locaux à usage de bureaux, qui étaient mis à la disposition de diverses associations à caractère social, sportif ou culturel, afin d’y recevoir leurs adhérents et les habitants de la commune intéressés par les activités qu’elles proposaient ne pouvaient pas être « regardés comme affectés à l’usage direct du public », contrairement à ce qu’avait jugé le Tribunal administratif.

La solution apparait logique : les biens affectés à l’usage direct du public sont en principe constitués de ceux des biens auxquels les citoyens peuvent accéder directement et librement, sans qu’un tiers « intermédiaire » occupe le bien et accueille lui-même du public : que l’on pense aux jardins publics, aux promenades, aux voies publiques, aux squares…

Par ailleurs, si le plus souvent les biens affectés à l’usage direct du public ne sont pas assortis de barrières physiques (une porte, un mur…) ou financières (le paiement d’une redevance d’entrée…), ce n’est toutefois pas toujours le cas : on sait par exemple que les cimetières sont affectés à l’usage direct du public, alors qu’ils sont clos de murs et bénéficient d’horaires d’ouvertures et de fermeture (CE, 28 juin 1935, Marécar).

Or, ici, les biens concernés constituaient des locaux et salles situées à l’intérieur d’un ensemble immobilier, et ils étaient mis à disposition d’associations, lesquelles accueillaient elles-mêmes du public : les biens concernés n’étaient donc pas directement affectés à l’usage du public, et ne relèvent en conséquence pas à ce titre du domaine public.

En deuxième lieu, concernant les lots de bureaux qui accueillaient les services municipaux et qui renfermaient un « point d’accueil et d’orientation », le Conseil d’État considère autrement que ces bureaux ne constituent pas des biens qui ont fait l’objet d’un « aménagement indispensable à l’exécution, par ces services, de leurs missions de service public ».

On sait en effet qu’en application de l’article L. 2211-1 du Code général de la propriété de personnes publiques, les bureaux appartiennent en principe au domaine privé de leur propriétaire.

L’objectif de ce classement des bureaux au sein du domaine privé est désormais bien connu : il s’agit d’en faciliter la gestion par les personnes publiques propriétaires, et en particulier de permettre leur aliénation plus facilement.

Or, la frontière entre simple bureaux – qui relèvent du domaine privé –, et bien aménagés pour l’exercice des missions de service public d’une personne publique – qui relèvent de son domaine public – n’apparait pas toujours évidente.

La solution adoptée ici par le Conseil d’État préserve l’effet utile de l’article L. 2211-1 précité : le juge administratif considère que l’installation, au sein de bureaux, d’un point d’accueil et d’orientation qui « avait pour seul objet l’accueil téléphonique ainsi que l’information et l’orientation des personnes reçues dans les bureaux » ne pouvait pas être regardé comme un « aménagement indispensable à l’exécution des missions des services municipaux de la culture, du sport et de la petite enfance installés dans les lots en cause, de nature à retirer à ceux-ci leur caractère de biens immobiliers à usage de bureaux exclus du régime de la domanialité publique ».

En clair, un simple guichet d’accueil du public au sein d’un immeuble ne suffit pas à faire basculer le bien dans la domanialité publique, parce qu’il ne s’agit pas d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de service public des services installés dans les bureaux. Comme l’évoque le Rapporteur public sur cette affaire, cet aménagement purement mobilier n’apparait pas suffisant, et juger le contraire pourrait dans l’absolu conduire à ce que de simples panneaux signalétiques ou autres marquages au sol soient regardés comme des aménagements de nature à faire entrer un bien dans le domaine public, ce qui s’éloigne de l’esprit qui a animé la codification de la définition du domaine public au sein du code général de la propriété des personnes publiques en 2006.

Les lots concernés de l’immeuble ne permettaient donc pas non plus de dire que l’immeuble relevait du domaine public de la Commune.

En troisième lieu, et en tout état de cause, le Conseil d’État écarte également la domanialité publique du bien, à un autre titre encore. En effet, le bien objet du contentieux avait été acquis par la Commune alors qu’il se trouvait inclus dans le périmètre d’une association foncière urbaine.

Or, depuis 2004, le régime des associations foncières urbaines, et plus généralement celui des associations syndicales de propriétaires, implique la constitution d’une hypothèque au profit de l’association sur les biens de ses membres (ordonnance du 1er juillet 2004 n° 2004-632 relative aux associations syndicales de propriétaires et décret n° 2006-504 du 3 mai 2006).

Lorsqu’une personne publique est membre d’une telle association, ses biens – et notamment ceux de son domaine public – peuvent donc en principe être grevés de cette hypothèque.

Le Conseil d’État en déduit que « le régime des associations foncières urbaines libres est incompatible avec celui de la domanialité publique, notamment avec le principe d’inaliénabilité. Par suite, des locaux acquis par une personne publique dans un immeuble inclus dans le périmètre d’une association foncière urbaine libre, fût-ce pour les besoins d’un service public, ne peuvent constituer des dépendances de son domaine public ».

Et il a réaffirmé cette solution par la suite, en précisant toutefois que l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004 n’a pas eu « pour effet d’emporter le déclassement des biens qui, avant cette entrée en vigueur, appartenaient déjà au domaine public et se trouvaient compris dans le périmètre d’une association syndicale » : dans ce cas, sauf à ce qu’ils fassent l’objet d’un déclassement, ces biens continuent d’appartenir au domaine public et l’incompatibilité de l’ordonnance du 1er juillet 2004 avec le régime de la domanialité publique a pour seule conséquence l’impossibilité pour l’association syndicale de mettre en œuvre la garantie de l’hypothèque légale sur les biens inclus dans le périmètre et appartenant au domaine public (CE, 10 mars 2020, Association syndicale des propriétaires de la cité Boigues, req. n° 432555).

A l’instar de ce qu’il advient de la copropriété, le régime des association syndicales de propriétaires n’apparait donc pas compatible avec les principes de la domanialité publique, si bien que lorsqu’une personne publique dispose d’un bien qui relève de son domaine public, elle ne peut pas l’inclure dans le périmètre d’une telle association (ce qui pose d’importantes difficultés pratiques, notamment en matière de divisions en volume) ; et lorsqu’elle acquière un bien inclus dans le périmètre d’une telle association, ce bien ne pourra pas relever du domaine public quand bien même il sera aménagé de manière indispensable à l’exécution de ses missions de service public.

Il est vrai que certains auteurs semblent nuancés, et s’interrogent sur la possibilité, pour les statuts d’une association syndicale, d’écarter l’hypothèque légale, ce qui permettrait à des propriétaires publics de devenir membre d’une association syndicale (P. Soler-Couteaux, « Une ASL ne peut prendre une hypothèque sur les biens du domaine public inclus dans son périmètre », Contrats et Marchés publics n° 6, Juin 2020, comm. 184. Voir également P. Yolka, « Hypothèques légales et biens publics : sortir de l’imbroglio ? », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 27, 6 Juillet 2020, act. 388).

Le sujet demeure néanmoins incertain en l’état, faute de jurisprudence, et souffre en conséquence d’insécurité juridique.