le 18/01/2018

Dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 affectant le secteur médico-social

Loi n° 2017-1836 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 publiée au Journal officiel le 30 décembre 2017

La loi n° 2017-1836 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 a été publiée au Journal officiel le 30 décembre 2017. Elle fixe à 477,5 milliards d’euros les dépenses de l’ensemble des régimes de base. L’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) est fixé à 190,7 milliards, dont 9 milliards de contribution aux dépenses des établissements et services pour personnes âgées et 10,9 milliards pour les structures pour personnes handicapées. Une enveloppe de 100 millions d’euros sera affectée à l’amélioration du taux et de la qualité d’encadrements dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Au-delà de ces données d’ordre budgétaire, la LFSS comporte plusieurs dispositions affectant plus spécifiquement le secteur sanitaire et médico-social. Certaines sont de simples ajustements techniques ; d’autres en revanche sous-tendent des mouvements plus profonds. Ces mesures sont présentées ci-dessous dans l’ordre de leur intégration à la loi. 

  1. La substitution du crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS) par un allègement de cotisations sociales (articles 87 de la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finance pour 2018 et 9 LFSS)

Le CITS a été instauré par la loi de finances pour 2017 et codifié à l’article 231 A du code général des impôts (CGI) afin d’étendre le bénéfice du mécanisme du Crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) au secteur non lucratif.

Pour mémoire, l’article L. 314-7 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit que l’autorité de tarification approuve les prévisions de charges et de produits d’exploitation. Parmi les produits d’exploitation, il convient d’identifier les produits en atténuation qui correspondent à des recettes perçues par l’établissement, en dehors de produits de la tarification. Les recettes en atténuation ne sont pas expressément visées par l’article D. 314-12 du CASF qui donne une liste (non-exhaustive) des produits qui doivent être retracés au sein de la section d’exploitation du budget général d’un établissement, mais le cadre normalisé de présentation du budget prévisionnel prévoit l’inscription des produits d’exploitation autres que ceux de la tarification (qui se composent notamment de remboursements sur les dépenses de rémunérations, de subventions d’exploitation, de rabais sur les achats et les achats extérieurs), ainsi que de produits financiers. Il convient donc de préciser que le CITS ne correspond pas à une recette en atténuation et ne saurait donc venir en diminution des charges d’exploitation de l’établissement.

La taxe sur les salaires est à la charge des personnes ou organismes qui paient des rémunérations et qui ne sont pas assujettis à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour au moins 90% de leur activité. Le crédit d’impôt affecté à cette taxe était applicable aux employeurs visés à l’article 1679 A du CGI, soit notamment les associations régies par la loi de 1901, les fondations reconnues d’utilité publique, les syndicats professionnels et leurs unions. Il était assis sur les rémunérations que les employeurs versent à leurs salariés au cours d’une année civile,  qui n’excèdent pas une somme correspondant à 2,5 fois le SMIC, heures supplémentaires incluses à l’exception de leurs majorations. Son taux était de 4% et il s’imputait sur la taxe sur les salaires due au titre des rémunérations versées en année N, lors du solde de cette taxe, donc en année N+1.

La loi de finance pour 2018 a supprimé le CITS en abrogeant l’article 231 A du CGI, tout en précisant que cette abrogation prendra effet à compter du 1er janvier 2019.

Dès lors, son impact budgétaire sera effectif à compter de 2020, dans la mesure où il s’impute l’année suivant celle au cours de laquelle les rémunérations sur lesquelles il est assis sont versées. Plus concrètement, les bénéficiaires du CITS continueront de bénéficier du dispositif du CITS lors de l’exercice 2018, mais également au cours de l’année 2019, au titre des rémunérations versées en 2018.

En tout état de cause, le CITS ne constitue pas par définition un produit ou une recette en atténuation des charges d’exploitation d’un établissement, mais un crédit permettant de s’acquitter de tout ou partie de la taxe sur les salaires amorti sur une période de trois années. Sa reprise dans la tarification est par conséquent illégale.

  1. Le développement des expérimentations et des innovations (article 51)

Cet article modifie considérablement l’article L. 162-31-1 du Code de la Sécurité sociale (CSS) en offrant un cadre juridique au développement des expérimentations, notamment dans le secteur médico-social.

Cet article procède de la volonté de faire évoluer le système de santé, pour le « rationnaliser » et « dégager des marges de manœuvres budgétaires ». Pour ce faire, l’Etat souhaite « capitaliser sur les innovations les plus probantes et permettre aux acteurs de tester de nouveaux modes de financement complémentaires et alternatifs, ainsi que de nouvelles modalités d’organisation » (Etude d’impact du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (PLFSS), Article 35, Présentation de la mesure).

D’abord, ces expérimentations doivent répondre à l’un des deux objectifs spécifiques prévus par la loi, à savoir :

–        permettre « l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaires et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins » en améliorant la coordination du parcours de santé, en participant à la structuration des soins ambulatoires ou encore en visant à renforcer l’offre de soin dans les zones où celle-ci s’avère insuffisante (article L. 162-31-1, I, 1° CSS) ;

–       favoriser « la pertinence de la prise en charge par l’assurance maladie » de certains médicaments, produits ou prestations (article L. 162-31-1, I, 2° CSS).

Il sera possible, aux fins de mise en œuvre de ces expérimentations, de déroger à l’ensemble des dispositions prévues à l’article L. 162-31-1, II CSS, et notamment aux règles de tarification applicables aux établissements et services sociaux et médico-sociaux.

Ces expérimentations, d’une durée de 5 ans maximum, peuvent être à dimension nationale ou régionale. Celles qui sont d’ordre national sont autorisées par arrêté des ministres en charge de la sécurité sociale et de la santé, le cas échéant après avis de la Haute autorité de santé (HAS) ; les expérimentations régionales seront autorisées par arrêté des Directeurs généraux des Agences régionales de santé (ARS), le cas échéant après avis de la HAS.

Un décret en Conseil d’Etat précisera les catégories d’expérimentations, les modalités de sélection, d’autorisation et de financement des projets, les règles de nomination au sein des conseils stratégiques ou comités techniques, créés par la présente loi, qui veilleront à la mise en œuvre de ces nouvelles règles.

Les attentes du gouvernement sont importantes en la matière, la ministre estimant ainsi en séance qu’il s’agit là « probablement de l’article le plus important de la loi » (intervention de Madame Agnès BUZYN, ministre des solidarités et de la santé, lors de l’examen de l’article 35 PLFSS, deuxième séance du vendredi 27 octobre 2017, Assemblée nationale), qui vise notamment à renforcer les synergies entre le secteur médico-social et le secteur sanitaire. Elle prenait notamment l’exemple du développement de l’hôtellerie hospitalière, qui permettrait de lutter contre les déserts médicaux et le manque de lits d’hospitalisation. Elle annonçait, par la même occasion la mise en place prochaine d’un fonds pour l’innovation du système de santé.

III.           Le développement de l’expérimentation portant sur la réalisation d’actes de télésurveillance dans le secteur médico-social (article 54)

L’article 54 abroge le cadre expérimental de prise en charge de la télémédecine afin d’en permettre le développement. Cette mesure s’inscrit dans la continuité de l’accord entre les représentants des médecins et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), signé le 1er mars 2017, qui admettait au remboursement de droit commun l’acte de téléconsultation d’un résident en EHPAD et l’acte de télé expertise entre deux médecins généralistes concernant un patient admis en EHPAD. Le présent article crée les conditions d’une généralisation de l’admission au remboursement de droit commun par l’assurance maladie de ces deux types d’actes.

En parallèle, la loi modifie l’article L. 162-14-1 CSS et permet, pour quatre ans, des expérimentations portant notamment sur la réalisation d’actes de télésurveillance, procédé qui permet à un professionnel d’analyser et d’interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. Les patients pris en charge entre autre par des structures médico-sociales (et notamment les EHPAD) seront concernés par cette expérimentation qui permettra notamment de déroger aux règles tarifaires et d’organisation applicables aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Par opposition à la téléconsultation et à la télé expertise, dont les modalités de remboursement entrent dans le droit commun, la télésurveillance fait intervenir de très nombreux acteurs, notamment industriels, ce qui, selon l’Etat, induirait un temps d’appropriation plus long et justifie la présente mesure.

Les dépenses ainsi engagées seront prises en charge par le fonds d’intervention régional, géré par les ARS. Pour autant, la loi prévoit que les produits ou prestations permettant de réaliser ces actes de télésurveillance. Les conditions de mise en œuvre seront définies dans un cahier des charges arrêté par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

  1. L’élargissement des cas où il est possible d’effectuer un constat de caducité partielle d’autorisation d’un ESSMS (article 70)

Lorsqu’un investisseur souhaite créer ou modifier les capacités d’accueil d’un ESSMS, il doit solliciter une autorisation préalable auprès des autorités compétentes. Il avait jusqu’à très récemment trois ans pour ouvrir au public dans les conditions requises, faute de quoi l’autorisation était caduque dans son intégralité. Un  décret en date du 28 novembre 2017, pris en application de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2017, est venu assouplir cette règle, allongeant le délai de droit commun à quatre ans et ouvrant des possibilités de prorogation du délai de caducité (voir la brève : http://www.seban-associes.avocat.fr/de-nouvelles-regles-de-caducite-etablissements-sociaux-medico-sociaux/).

L’article 70 de la loi du 30 décembre 2017 est venu introduire la possibilité, pour les autorités compétentes, d’opérer des constats de caducité partielle d’autorisation dans les cas où seule une partie de la capacité de l’établissement ou du service serait ouverte au public (les délais et conditions d’applications sont fixées par décret).

L’objectif de cette mesure est de faciliter la réaffectation de crédits fléchés pour les projets d’ESSMS, dont une partie n’est pas ouverte au public, au financement de nouveaux projets. Cette caducité partielle des autorisations existait déjà dans le secteur sanitaire. Selon l’Etat ce régime de caducité partielle « permettrait de reconnaître la divisibilité et la souplesse propres aux autorisations sociales et médico-sociales ». Enfin, elle aurait « un impact direct sur la réponse aux besoins identifiés dans les outils de planification » (Etude d’impact du PLFSS, Article 50, Présentation de la mesure).

  1. Règles tendant à l’harmonisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) multi-activité (article 70)

L’article 70 de la loi prévoit également une harmonisation des dispositions relatives aux CPOM pluriactivités relevant du secteur des personnes âgées et des personnes âgées.

Pour mémoire, la loi du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement a introduit l’obligation pour les gestionnaires d’EHPAD de conclure un CPOM à compter du 1er janvier 2017. Elle avait également prévu la possibilité, pour les gestionnaires ayant plusieurs établissements au sein du même département, de conclure un CPOM unique. Il était même possible, aux mêmes conditions, d’introduire des établissements situés dans d’autres départements, voire des ESSMS autres que les EHPAD, sous réserve de l’autorisation des autorités de tarification. Or, l’obligation de modulation des tarifs en fonction des objectifs d’activités fixés par le CPOM, n’était applicable initialement qu’aux seuls EHPAD, et seulement optionnelle dans le cadre des CPOM du secteur du handicap. Dès lors, en cas de CPOM pluriactivité, cette situation faisait courir un risque d’insécurité juridique pour les signataires et limitait les possibilités d’optimiser la rationalisation des coûts pourtant rendue possible par l’introduction de l’instrument de modulation tarifaire.

Par conséquent, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a introduit la possibilité, pour les CPOM pluriactivité  du secteur des personnes âgées, de moduler les tarifs appliqués dans le cadre de ce CPOM selon des modalités dont l’harmonisation sera opérée via un décret en Conseil d’Etat.

La loi ne vient cependant pas lever toutes les interrogations. Il n’est en effet pas précisé dans quelle mesure les services et établissements compris dans un CPOM pluriactivités qui ne sont pas soumis à l’obligation d’être sous CPOM et qui, par conséquent, ne peuvent bénéficier du système de la modulation tarifaire, devront ou non être soumis à une modulation tarifaire.

Le même article de la loi de financement de la sécurité sociale ouvre en outre la possibilité pour les gestionnaires des services et des établissements du secteur du handicap visés à l’article L. 313-12-2 du CASF, de conclure un CPOM pluriactivité avec des ESSMS, à l’exception des EHPAD avec lesquelles les relations sont régies selon les dispositions présentées au paragraphe précédent.

La loi consacre ainsi deux régimes distincts de CPOM pluriactivités, renforçant de la sorte la dynamique de contractualisation dans l’organisation des relations entre les autorités de tarification et les gestionnaires.

  1. La suppression de l’opposabilité des conventions collectives de travail (article 70)

L’article 70 prévoit en outre la suppression de l’opposabilité des conventions collectives de travail, d’entreprise et d’établissement aux ESSMS en modifiant l’article L. 314-6 Code de l’action sociale et des familles (CASF).

La procédure d’agrément est toutefois conservée pour « la prise d’effet » des seules conventions collectives.

Autrement dit, les conventions collectives (notamment CCN du 31 octobre 1951 et CCN du 15 mars 1966) et leurs futurs avenants devront toujours être agréés pour prendre effet dans le cadre des relations « employeurs – employés ». Cependant, bien qu’agréés, ces mêmes conventions collectives et avenants conventionnels ne seront plus opposables à l’autorité de tarification pour les ESSMS sous CPOM.

Soulignons à ce stade que la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur.

A ce titre, si la convention collective du 31 octobre 1951 a déjà opéré sa mutation, les conséquences pour le projet de refonte de la convention collective du 15 mars 1966 pourraient être importantes. En effet, cette éventuelle convention nouvelle, bien qu’agréée, ne serait plus opposable à l’autorité de tarification… et ce alors même que nombre d’ESSMS serait, à cette date, en plein milieu de leur CPOM. Comment, dans ces conditions, anticiper et négocier sereinement une tarification sur la base d’un état prévisionnel de dépenses et de recettes ?

Le risque d’une déstabilisation du secteur n’est pas à exclure, surtout si les ESSMS décidaient de quitter en nombre, dans un mouvement de repli et de limitation des coûts, les organisations syndicales employeurs. Par un effet d’aubaine, le débat sur la nécessité d’une convention collective unique et étendue pourrait revenir sur le devant de la scène.

Par ailleurs, la fin de l’agrément pour les ESSMS sous CPOM devrait logiquement mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’usage et la décision unilatérale devaient également faire l’objet d’un agrément pour être opposables tant aux financeurs qu’aux salariés.

La refonte de l’article L. 314-6 du CASF a fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, au motif qu’elle « instaurerait une différence de traitement injustifiée avec les établissements n’ayant pas conclu un tel contrat. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ». Les sages ont, dans une décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, écarté ce grief, au motif que la différence de traitement instituée par la disposition contestée est en rapport direct avec l’objet de la loi, « le législateur [ayant] entendu tenir compte de la spécificité des modalités de gestion et de financement de ces établissements ».

Bien qu’encore appréhendée aujourd’hui par le prisme de l’exception, la disparition de l’agrément et de l’opposabilité ont, à mesure de la généralisation des CPOM, vocation à devenir la règle.

Nadia BEN AYED, Avocat à la Cour, Cabinet SEBAN & Associés et Stéphane PICARD, Avocat à la Cour, Associé fondateur du Cabinet PICARD Avocats