le 15/12/2016

La dimension morale du référé précontractuel ou la sanction du caractère par trop tardif de requêtes pourtant déposées dans le délai légal

TA de la Réunion, ord. 19 octobre 2016, Société Réunionnaise de Bureaucratique, n° 1601022

Par une ordonnance du 19 octobre dernier, le Juge des référés du Tribunal administratif de la Réunion a adapté au référé précontractuel l’interdiction d’exercer un recours devant le Juge administratif au-delà d’un délai raisonnable.

On se souviendra en effet que le Conseil d’Etat a récemment jugé qu’au nom du principe de sécurité juridique, une décision administrative ne peut être indéfiniment remise en cause, même dans le cas où le destinataire de cette décision n’a pas été correctement informé des voies et délais de recours qui lui sont laissés, dès lors cependant qu’il a, a minima, eu connaissance de la décision. Donnant une connotation morale à l’écoulement des délais de recours contentieux, le Conseil d’Etat a, ainsi, souhaité établir une frontière entre le droit à l’ignorance – excusable – des requérants et la manifestation – non excusable – de leur négligence, sinon désinvolture, frontière établie à un délai raisonnable d’une année après prise de connaissance de la décision attaquée (CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763). La solution a par la suite été appliquée par différentes cours administratives d’appel (CAA Versailles, 29 Septembre 2016, Commune de Bonneuil-en-France,  n° 15VE01426 ; CAA Nantes, 2 Novembre 2016, Préfecture du Finistère, n° 15NT03252).

Pour autant, si l’introduction d’un délai maximal d’un an pour exercer un recours pouvait trouver toute sa logique dans le cadre de procédures « au long cours », la question de la pertinence d’une telle solution en matière de procédures d’urgence pouvait en revanche être posée.

Le Juge des référés y a répondu ici, considérant que ce principe « applicable au contentieux général, ne saurait être regardé comme incompatible avec les procédures de référé ». Toutefois, eu égard à l’urgence qui anime ces procédures, il a estimé que « la notion de délai raisonnable doit cependant donner lieu à une définition particulière ». Et il a ainsi réduit le délai raisonnable à une période de « trois mois à compter de la date à laquelle le requérant a eu pleinement connaissance de la décision administrative qu’il conteste ».

Appliquant aux faits de l’espèce la solution ainsi dégagée, le Tribunal administratif de la Réunion a ensuite rejeté la requête comme étant tardive. Bien que respectant pourtant les dispositions de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, qui permettent le dépôt d’une requête en référé jusqu’à la conclusion du contrat, le requérant avait dépassé le délai raisonnable qui lui était laissé et, ce faisant, « par son comportement inapproprié », méconnu le principe de sécurité juridique. Il avait en effet demandé l’annulation d’une procédure d’attribution d’un marché public, certes avant la conclusion du contrat, mais près de cinq mois après avoir été informé par le pouvoir adjudicateur de son éviction de la compétition.

A défaut d’explications sur les modalités de calcul retenues par le Juge des référés pour arriver à une évaluation du délai raisonnable à trois mois, il faudra toutefois attendre que le Conseil d’Etat se penche également sur la question.