le 30/08/2018

Diffamation contre un Maire face à la liberté d’expression politique

Cass., Crim., 8 août 2018, n° 17-82.893

Rendu en plein milieu de l’été, l’arrêt du 8 août 2018 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient rappeler les fondamentaux du droit de la presse comme le réveil d’un devoir de vacances !

L’affaire opposait un Maire et son adjoint, aux directeur et co-directeur de la publication d’un quotidien national, pour des imputations de « fraude et de détournement d’argent public » au titre du financement d’une campagne électorale.

Les premiers juges et la Cour d’appel, après avoir retenu le caractère diffamatoire des propos, avaient toutefois renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, en leur reconnaissant le bénéfice de la bonne foi.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, en considérant que « en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que les propos incriminés s’inscrivaient dans une controverse politique relative au financement d’une campagne électorale menée par un parti adverse ainsi qu’aux modalités de rémunération de certains de ses membres, sujets par nature d’intérêt général, et que les imputations litigieuses, présentées comme déjà publiées dans d’autres organes de la presse nationale, reposaient sur une base factuelle suffisante, et dès lors qu’en pareil cas, il appartient aux juges d’apprécier moins strictement les critères ordinaires de la bonne foi, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ».

Sans être novateur, cet arrêt a pour essentielle utilité de rappeler le double raisonnement que les juges de presse se doivent de tenir pour de pareilles imputations, y compris dans un contexte de polémique politique :
– Rechercher la constitution de l’infraction de presse poursuivie, en l’espèce la caractérisation d’une diffamation et d’un élément de publicité (Crim., 19 juin 2018, n° 16-82602) ;
– Dans l’affirmative, rechercher si l’infraction ne devrait pas pour autant être écartée au titre des éléments habituels de défense, à savoir la bonne foi et/ou le droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – moyens de défense distincts de la vérité des faits (Crim., 23 janvier 2018, n° 17-81373).

S’agissant de la bonne foi, elle se définit par référence aux quatre critères cumulatifs traditionnels, tirés du sérieux de l’enquête préalable, la prudence dans l’expression, la légitimité du but informationnel et l’absence d’animosité personnelle (Civ 1ère, 17 mars 2011 n° 10-11784). Et la Cour de cassation de rappeler que, dans le contexte d’une controverse ou polémique politique, le juge « apprécie moins strictement les critères ordinaires » précités.

S’agissant de l’article 10, il est constant qu’en présence d’un débat d’intérêt général, les prévenus peuvent opposer, au visa de ce texte conventionnel, des éléments de base factuelle suffisante ; mais encore faut-il, pour le prévenu, apporter une telle base à défaut de laquelle la condamnation sera prononcée (Crim., 11 juillet 2017, n° 16-84671 ; Crim., 23 janvier 2018, n° 16-85316) ; on notera que la polémique politique relative au financement d’une campagne électorale menée par un parti adverse, ainsi que les modalités de rémunération de certains de ses membres, sont considérés par la Cour de cassation comme des « sujets par nature d’intérêt général », au même titre que « les méthodes de gestion » d’une Commune (Crim., 7 juin 2016, n° 15-83746), l’état des finances des Collectivités locales (Crim., 23 janvier 2018, n° 17-81874), l’emploi de leurs fonds par les élus (Crim., 25 avril 2017, n° 15-86344), le comportement ou la probité d’un élu (Crim., 11 juillet 2017, n°  16-84671) ou encore le traitement d’une affaire judiciaire ayant eu un retentissement national (Crim., 26 mai 2010, n°09-87083).

À titre d’illustration, peuvent être contributifs d’une telle base factuelle suffisante :

–          Des publications antérieures, notamment de la presse nationale, sur le même sujet (arrêt commenté) ; mais ne constituent pas une telle base de précédents articles de la même publication (Crim., 2 novembre 2016, n°15-83864) ;
–  Le compte-rendu d’une séance du conseil municipal (Crim., 23 janvier 2018, n°17-81874) ;
–  De préalables témoignages recueillis par le diffamateur (Crim., 28 juin 2017, n°16-82163) ;
–  Les passages d’un rapport de la Chambre régionale des comptes (Crim., 25 avril 2017, n°15-86344) ;
–  De précédents interviews (Crim., 7 juin 2016, n°15-83746) ;
–  Un courrier en lien direct avec les imputations attentatoires à l’honneur (Crim., 18 octobre 2016, n°15-85966).

Dans ce cadre, seule la dénaturation par le prévenu des éléments par lui recueillis permet alors de démontrer à l’inverse l’absence de base factuelle suffisante ; la Cour d’appel, dans l’arrêt commenté, a cherché à en donner une juste définition : « si M. B… s’est basé, en les citant, sur des extraits qu’il a sélectionnés d’articles qui mettent en cause l’association (…) pour un montage frauduleux (…) et l’utilisation d’assistants parlementaires (…), il ne les a pas pour autant dénaturés, leur sens n’en ayant en rien été déformé, seul leur contenu ayant été réduit, en raison de la taille du communiqué ».

Pour les plus férus de droit de la presse, on constatera que la Chambre criminelle semble opérer une réelle dissociation entre ces deux moyens de défense, ce qui n’a pas toujours été le cas (Pour un exemple : Crim., 19 janvier 2010 n°09-84.408).

La marque de cette dissociation procède, avant tout, de l’effet palliatif qui serait accordé à l’article 10 de la CEDH : l’exception conventionnelle tirée de l’article 10 permet de couvrir l’absence de réunion de tous les critères cumulatifs de la bonne foi (Crim., 28 mars 2017, n° 15-84761 ; Crim., 27 avril 2011, n° 10-83771) ; à noter que, dans l’arrêt du 27 avril 2011, la Cour de Cassation ne paraît pas avoir sanctionné le raisonnement qui était tenu par la Cour d’appel au titre des éléments internes de la bonne foi, l’estimant ainsi fondé dans la constatation de la mauvaise foi, mais semble avoir corrigé les constations finales de condamnation de la Cour d’appel, laquelle aurait commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte la notion de débat d’intérêt général issue de l’article 10 de la Convention européenne.

La seconde marque de cette dissociation procède ensuite de ce qu’une Cour d’appel, ayant pourtant accordé au prévenu le bénéfice de la bonne foi, n’en a pas moins trouvé son arrêt cassé pour ne s’être pas suffisamment expliquée sur les éléments de base factuelle suffisante (Crim., 14 mars 2017, n° 16-80353).

Mais l’ambigüité persiste, car l’on retrouve toujours dans la sémantique de la Haute Cour un rapport de complémentarité entre ces deux moyens de défense, la notion de débat d’intérêt général permettant en même temps de moduler les critères de la bonne foi : reposent « sur la base factuelle suffisante des témoignages recueillis par leur auteur et matérialisés dans plusieurs attestations, de sorte que le prévenu qui, n’étant pas un professionnel de l’information, n’avait pas à effectuer d’autres investigations, ne pouvait, compte tenu de ce contexte et de cette base factuelle, se voir reprocher d’avoir manqué de prudence dans l’expression dans des conditions de nature à le priver du bénéfice de la bonne foi » (Crim., 28 juin 2017, n° 16-82163).

La question reste en suspens : réelle dissociation des deux moyens de défense, ou double verrou interactif pour protéger la critique, même dans des termes virulents, de nos institutions et de l’action de leurs représentants ? C’est là que réside toute la subtilité d’un droit de source essentiellement prétorienne.