le 30/08/2018

Dématérialisation et open data dans la commande publique : les mesures à prévoir pour le 1er octobre 2018

Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics

La dématérialisation de la passation des contrats de la commande publique, jusqu’à présent mise en œuvre sur la base d’une simple faculté prévue par la règlementation de la commande publique, constituera une obligation pesant sur tous les acheteurs à compter du 1er octobre 2018 (I). Cette date fixe également l’entrée en vigueur des obligations en matière d’ouverture des données essentielles, ou d’open data, des contrats de la commande publique (II).

I – Les mesures de dématérialisation des contrats de la commande publique

La dématérialisation, qui est un des enjeux majeurs de la réforme européenne de la commande publique transposée par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics et par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatifs aux contrats de concession, s’impose essentiellement au stade de la passation, avec la mise à disposition électronique des documents de la consultation (1) et des communications et échanges d’informations (2) qui reposent sur l’utilisation d’un profil d’acheteur (3), mais aussi au stade de la signature électronique (4) et de l’exécution, par la mise en place de la facturation électronique (5).

  1. La mise à disposition dématérialisée des documents de la consultation

A compter du 1er octobre 2018, un accès dématérialisé aux documents de la consultation devra être offert aux opérateurs économiques pour les consultations relatives aux marchés publics, dans les conditions prévues par les articles 38 et 39 du décret précité du 25 mars 2016.

En effet, pour les consultations qui seront engagées à compter du 1er octobre 2018, ces documents devront, par principe, être mis à disposition des opérateurs économiques de manière dématérialisée et gratuite – ce qui existe déjà pour les contrats de concession (article 5 du décret du 1er février 2016) –, l’article 39 du décret du 25 mars 2016 imposant leur publication sur un profil d’acheteur (cf infra). A cet égard, les acheteurs devront se référer à l’arrêté du 27 juillet 2018 fixant les modalités de mise à disposition des documents de la consultation et de la copie de sauvegarde.

Les acheteurs pourront cependant déroger à cette mise à disposition dématérialisée pour certains documents, notamment dans les hypothèses prévues par le II de l’article 41 du décret relatif aux marchés publics (cf infra) mais aussi lorsque, par exemple, des exigences auront été prévues visant à protéger la confidentialité de certaines informations qui, de ce fait, ne pourront pas être publiées sur le profil d’acheteur (article 39 du décret du 25 mars 2016 et article 5 du décret du 1er février 2016). En pareil cas, l’acheteur devra indiquer, notamment dans l’appel à la concurrence ou dans les documents de la consultation, les mesures qu’il impose en vue de protéger la confidentialité des informations ainsi que les modalités d’accès aux documents concernés.

  1. La dématérialisation des communications et des échanges d’informations

Les acheteurs et les opérateurs économiques devront également communiquer et échanger leurs informations par voie électronique. En effet, si l’article 40 du décret du 25 mars 2016 – reprenant l’article 56 du Code des marchés publics – prévoit aujourd’hui non pas une obligation mais une simple faculté d’effectuer par voie électronique les communications et les échanges d’informations nécessaires à la passation d’un marché public, cet article ne sera plus applicable à compter du 1er octobre 2018.

A cette date, « toutes les communications et tous les échanges d’informations sont effectués par des moyens de communication électronique », lesquels sont définis par l’article 41 comme « un équipement électronique de traitement, y compris la compression numérique, et de stockage de données diffusées, acheminées et reçues par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques ».

S’ils devront donc transmettre leur offre par voie électronique en vertu de ce texte, les candidats et soumissionnaires auront tout de même le droit d’adresser à l’acheteur une copie de sauvegarde des documents de leur offre sur support papier ou sur support physique électronique dans les conditions définies par un arrêté du 27 juillet 2018 (NOR: ECOM1817537A). 

Précisons que, pour répondre à une consultation, les opérateurs économiques pourront recourir au document unique de marché européen, autrement dénommé DUME. Ce formulaire (au format XML) permet aux opérateurs économiques, d’une part, de prouver de manière simple qu’ils remplissent les critères de sélection d’une offre et n’entrent pas dans un cas prévu par les interdictions de soumissionner et, d’autre part, de ne plus avoir à fournir un document lorsque celui-ci aura déjà été transmis à une administration conformément au programme « Dites-le nous une fois ».

Et, à compter du 1er octobre 2018, mais uniquement pour les procédures formalisées et même si cela n’aura pas été expressément prévu par l’acheteur dans les documents de la consultation, les candidats auront le droit, en vertu de l’article 53 du même décret, de ne pas fournir les documents justificatifs et moyens de preuve qu’ils auront déjà transmis au service acheteur lors d’une précédente consultation à condition que ces documents demeurent valables.

Toutefois, les acheteurs pourront déroger à cette obligation de dématérialisation des communications et échanges mais aussi de mise à disposition des documents de la consultation dans les cas visés au II de l’article 41. A titre d’exemples, cette dérogation pourra être mise en œuvre:
–   pour les marchés publics mentionnés à l’article 30 soit les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure aux seuils de procédure formalisée ainsi que pour les marchés publics de services sociaux et autres services spécifiques mentionnés à l’article 28 du même décret
  lorsque, « en raison de la nature particulière du marché public », l’utilisation de moyens de communication électroniques nécessiterait des outils, des dispositifs ou des formats de fichiers particuliers qui ne sont pas communément disponibles ou pris en charge par des applications communément disponibles ;
–  
ou encore « lorsque les documents de la consultation exigent la présentation de maquettes, de modèles réduits, de prototypes ou d’échantillons qui ne peuvent être transmis par voie électronique ».

En revanche, la dématérialisation des communications et des échanges est une simple faculté pour les contrats de concession pour lesquels l’article 17 du décret du 1er février 2016 dispose que « les moyens de communication utilisés ne peuvent avoir pour effet de restreindre l’accès des opérateurs économiques à la procédure de passation du contrat de concession » et que « les transmissions, les échanges et le stockage d’informations sont effectués de manière à assurer l’intégrité des données et la confidentialité des candidatures et des offres ». Cet article précisant ainsi que « dans l’hypothèse où l’autorité concédante utilise des moyens électroniques, elle assure la confidentialité et la sécurité des transactions sur un réseau informatique accessible de façon non discriminatoire, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie ».

  1. Le profil d’acheteur support de la dématérialisation

Afin d’assurer la dématérialisation de la passation de leurs contrats de la commande publique, les acheteurs et les autorités concédantes devront utiliser un profil d’acheteur.

En effet, le recours à un profil d’acheteur, qui était obligatoire pour les achats de fournitures, de services et de travaux d’un montant supérieur à 90 000 euros HT sous l’empire de l’article 41 du Code des marchés publics, est désormais imposé de manière générale par l’article 39 du décret du 25 mars 2016 pour procéder à la mise à disposition des documents de la consultation. Ajoutons que les autorités concédantes doivent elles aussi utiliser un profil d’acheteur pour la passation de leurs contrats de concession en vertu de l’article 5 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016.

Le profil d’acheteur est désormais défini par l’article 31 du décret du 25 mars 2016 comme étant : « Une plateforme de dématérialisation permettant notamment aux acheteurs de mettre les documents de la consultation à disposition des opérateurs économiques par voie électronique et de réceptionner par voie électronique les documents transmis par les candidats et les soumissionnaires ».

Et, précisons que les fonctionnalités et les exigences minimales des profils d’acheteurs sont définis par un arrêté du 1er avril 2017 (NOR: ECFM1637253A) mais aussi par une fiche pratique élaborée et publiée par la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie. 

A ce titre, l’article 1 liste les fonctionnalités que cette plateforme doit offrir à l’acheteur. Et l’article 2 de l’arrêté précise quant à lui les exigences techniques, de sécurité et d’accessibilité auxquelles doivent répondre les fonctionnalités du profil d’acheteur (accepter les fichiers communément disponibles et notamment les fichiers aux formats.XML et.JSON, assurer un horodatage conformément aux dispositions du règlement n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 etc.).

  1. La signature électronique

La dématérialisation de la passation des marchés se retrouve également au stade de la signature du marché, qui demeure pour l’instant une simple faculté puisque l’article 102 du décret du 25 mars 2016 dispose que « le marché public peut être signé électroniquement ».

Nous rappellerons que les conditions de la signature électronique ne sont plus définies par l’arrêté du 15 juin 2012 mais par l’arrêté du 12 avril 2018 relatif à la signature électronique dans la commande publique (NOR: ECOM1800780A).

  1. La facturation électronique

Applicable à l’Etat depuis le 1er janvier 2012, l’obligation d’accepter les factures électroniques a été élargie aux collectivités territoriales et à tous les établissements publics depuis le 1er janvier 2017.

A ce titre, la dématérialisation de la facturation devrait permettre des gains mutuels pour les entreprises et les administrations grâce notamment à une réduction des coûts (papier, impression, envoi postal, …), une diminution de l’empreinte carbone ainsi qu’une  suppression des manipulations de documents « papier », diminution des temps de traitement, garantie de remise des documents, fluidité des échanges. Et, pour la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie, « la démarche de dématérialisation des factures peut aussi  constituer un avantage concurrentiel (clause de dématérialisation de plus en plus présente dans les marchés publics), ainsi qu’un élément de communication à ne pas négliger (exemplarité, image et notoriété) ».

Précisons tout de même que la facturation dématérialisée doit devenir obligatoire de manière progressive puisque l’ordonnance n° 2014-697 du 26 juin 2014 a prévu à son article 3 le calendrier suivant :

–          depuis le 1er janvier 2017 : obligation pour les grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) et les personnes publiques et depuis le 1er janvier 2018 : obligation pour les entreprises de taille intermédiaire (250 à 5 000 salariés) ;

–          à compter du 1er janvier 2019 : obligation pour les petites et moyennes entreprises (10 à 250 salariés) ;

–          et à compter du 1er janvier 2020 : obligation pour les très petites entreprises (moins de 10 salariés).

Ajoutons brièvement que la facturation électronique est encadrée dans sa mise en œuvre notamment par le décret n° 2016-1478 du 2 novembre 2016 qui est complété par un arrêté du 9 décembre 2016 (NOR: ECFM1627978A) et par un arrêté du 22 mars 2017 (NOR: ECFE1705189A) fixant les modalités de numérisation des factures papier en application de l’article L. 102 B du livre des procédures fiscales.

II – L’open data : ouverture des données essentielles des contrats de la commande publique

Si elle n’est pas nouvelle puisque certains marchés publics et certains contrats de concession pouvaient faire l’objet d’un avis d’attribution sous l’empire des anciens textes et que les acheteurs devaient publier une liste des marchés conclus, l’ouverture des données essentielles des marchés est nettement renforcée par la nouvelle règlementation applicable aux marchés publics et aux contrats de concession qui en a fait une obligation dont l’entrée en vigueur est également fixée au 1er octobre 2018.

  1. L’intérêt de l’open data

L’ouverture des données peut certes apparaître comme une charge supplémentaire pesant sur les acheteurs et les autorités concédantes. Mais cette nouvelle obligation répond à des enjeux majeurs :

–          renforcer le droit à l’information dont bénéficient les citoyens mais aussi les opérateurs économiques qui n’auront donc plus nécessairement à recourir à la procédure de demande de documents administratifs pour obtenir des informations relatives aux contrats de la commande publique ;

–          renforcer la transparence des procédures – principe essentiel de la commande publique –, la publication des données étant de nature à contribuer à une meilleure gestion des deniers publics en ce que les acheteurs seront soumis à un droit de regard de leurs administrés et des opérateurs économiques ;

–          permettre aux opérateurs économiques de se saisir de ces données pour développer des nouveaux services, pour mieux répondre aux besoins des acheteurs et des autorités concédantes voire même pour découvrir de nouvelles opportunités.

  1. Les contrats concernés par l’open data

L’ouverture des données essentielle est applicable :

–          aux marchés publics d’un montant supérieur à 25.000 euros en vertu de l’article 56 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, qui dispose que « les acheteurs rendent public le choix de l’offre retenue et, sauf pour les marchés de défense ou de sécurité, rendent accessibles sous un format ouvert et librement réutilisable les données essentielles du marché public », et qui est complété par les articles 107 et 108 du décret du 25 mars 2016 ainsi que par l’article 94 du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ;

–          et aux contrats de concession en application de l’article 53 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 – équivalent de l’article 56 précité –, lequel est complété par l’article 34 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016.

  1. Les données concernées par l’open data

Si l’ouverture des données essentielles – qui doit être faite sur le profil d’acheteur en vertu de l’arrêté du 17 avril 2017 – est légitimement limitée pour les marchés publics de défense pour lesquels seuls doivent être communiqués le numéro d’identification unique attribué au marché, l’identification de l’acheteur, la nature et l’objet du marché et la procédure de passation, celle-ci est plus large pour les marchés publics et les contrats de concessions pour lesquels les acheteurs doivent communiquer, en plus des données précitées :

–    le lieu principal d’exécution des prestations objet du marché/contrat ;
–    la durée, le montant et les principales conditions financières du marché/contrat 
–    ainsi que l’identification du co-contractant et la date de signature du contrat et celle de notification du marché.

Les acheteurs et les autorités concédantes devront également publier sur leur profil d’acheteur les données relatives à chaque modification apportée au marché/contrat – au plus tard deux mois à compter de la date de notification pour les marchés publics (article 107-2° du décret du 25 mars 2016 –, ces données correspondant à :

–     l’objet de la modification ;
–     les incidences de la modification sur la durée ou le montant du marché public – sur la valeur du contrat concession ainsi que sur les tarifs à la charge des usagers ;
–     la date de la modification du contrat de concession et celle de la notification par l’acheteur de la modification pour les marchés publics.

Et, de manière spécifique aux contrats de concession, les autorités concédantes devront publier, chaque année, les données relatives à l’exécution du contrat de concession soit, d’une part, les dépenses d’investissement réalisées par le concessionnaire et, d’autre part, les principaux tarifs à la charge des usagers et leur évolution par rapport à l’année précédente.

Enfin, précisons qu’en vertu de l’article 7 de l’arrêté du 17 avril 2017 – lequel arrêté précise d’ailleurs les conditions de publication des données essentielles –, ces données devront être conservées sur le profil d’acheteur pendant une durée minimale de 5 ans après la fin de l’exécution du marché public ou du contrat de concession.

  1. Les précautions en matière d’open data

Une attention particulière devra néanmoins être portée à la gestion de l’open data des contrats de la commande publique afin de ne pas divulguer des informations qui auraient un caractère confidentiel, conformément aux dispositions de l’article 56 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et de l’article 53 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016. Ainsi, les acheteurs et les autorités concédantes devront veiller à s’assurer que la publication des données essentielles :

–     ne méconnaisse pas les exigences d’ordre public (ne pas divulguer d’informations couvertes par exemple par le secret de la défense nationale ou de documents administratifs dont la diffusion porterait atteinte aux secrets protégés par la loi, etc.) ;
–    ne conduise pas à divulguer des données présentant des risques pour la protection du potentiel scientifique et technique de la nation ;
–    ne cause pas une atteinte au secret industriel et commercial, qui comprend le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières (santé financière du co-contractant par exemple), ainsi que le secret des stratégies commerciales du co-contractant ;
–   n’emporte pas communication de données à caractère personnel dont la protection incombe aux acheteurs et aux autorités concédantes, en leur qualité de responsable de traitement, en vertu du Règlement (UE) 2016/679 général sur la protection des données la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Et, les acheteurs devront mettre en œuvre les moyens nécessaires leur permettant de s’assurer que les données publiées sur leur profil d’acheteur soient régulièrement mises à jour, d’autant que l’article 7 de l’arrêté du 17 avril 2017 dispose bien que les données essentielles sont publiées pendant « une durée minimale de cinq ans après la fin de l’exécution du marché public ou du contrat de concession à l’exception des données essentielles dont la divulgation serait devenue contraire aux intérêts en matière de défense ou de sécurité ou à l’ordre public ».

En conclusion, si la nouvelle règlementation applicable aux contrats de la commande publique a indiscutablement simplifié les conditions de passation des marchés (facilitation du recours à la négociation pour les marchés publics et  possibilité de régulariser des offres irrégulières voire inappropriées notamment), cette réforme a néanmoins mis en place de nouvelles obligations en matière de dématérialisation mais aussi d’ouverture des données essentielles qui imposent aux acheteurs de se doter de moyens techniques et informatiques adéquats, ce qui pourra pour certains acheteurs se faire par le biais de marchés publics de services informatiques nécessaires par exemple au développement du profil d’acheteur.

Yvonnick Le Fustec – Avocat