le 19/10/2017

Le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens social et médico-social : quelles garanties financières pour les organismes gestionnaires ?

Le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) offre par définition une visibilité financière qui constitue une des attentes fortes des gestionnaires des établissements et des services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Le caractère pluriannuel des financements constitue en effet une des caractéristiques majeures du CPOM par rapport à la tarification réglementaire annuelle, fixée dans le cadre du dialogue budgétaire contradictoire. Le CPOM a été promu comme un véritable outil de gestion budgétaire au service de la stratégie des gestionnaires d’ESSMS, mais aussi des politiques publiques sociales et médico-sociales.

La conclusion d’un CPOM ne peut toutefois offrir une garantie de financement au regard des objectifs fixés au sein du contrat, qu’à la condition qu’il ait une force obligatoire permettant notamment au gestionnaire de se prévaloir des clauses financières du contrat. Or, le CPOM, contrairement aux autres catégories de contrats d’objectifs et de moyens, ne répond pas au régime juridique d’un contrat classique. En effet, il serait vain de croire que la mise en place d’une démarche contractuelle et la suppression, en tous les cas pour les CPOM obligatoires, de la procédure contradictoire sachant que celle-ci demeure optionnelle dans le CPOM facultatif, place les parties dans un rapport d’égalité. Les premières décisions jurisprudentielles, rares en la matière, indiquent clairement que les clauses financières d’un CPOM ne sont pas opposables aux organismes gestionnaires, alors même que les objectifs du gestionnaire prévues au CPOM lui sont opposables (1). Et pour cause. Outre que les financements fixés dans le cadre d’un CPOM demeurent tributaires de l’annualité budgétaire, le financement des ESSMS demeure réglementaire, tel qu’en témoigne le maintien de l’édiction annuelle de l’arrêté de tarification des services ou établissements compris dans le périmètre d’un CPOM. Si le maintien d’un arrêté de tarification en dit long sur le caractère obligatoire du CPOM, il n’en constitue pas moins dans ce contexte une garantie pour les gestionnaires de contester le niveau des financements accordés, ou encore une source d’insécurité juridique et financière pour les autorités de tarification qui pensaient évacuer le contentieux de la tarification sanitaire et sociale par la généralisation des CPOM (2).

  1. L’absence d’opposabilité des moyens fixés par un CPOM

La jurisprudence relative au caractère obligatoire des CPOM demeure à ce jour encore rare, mais tendra nécessairement à se développer dans la mesure où les points de crispation du dialogue budgétaire contradictoire vont nécessairement se traduire dans le cadre de l’exécution des CPOM.

Pour autant, une décision du Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) de Lyon apporte un éclairage essentiel sur la portée du CPOM et les modalités de contester son inexécution. En l’espèce, le gestionnaire d’un établissement de service et d’aide par le travail (ESAT) ayant conclu un CPOM avec l’agence régionale de santé (ARS) a dénoncé l’insuffisance du tarif au regard des engagements pris dans volet financier d’un CPOM. L’ARS soulevait quant à elle une exception d’incompétence du juge du tarif au profit du Tribunal administratif.

Le TITSS s’est toutefois reconnu compétent en se fondant sur le fait que le litige portait sur la fixation du tarif de l’établissement au titre de l’exercice 2010 et que l’ESAT n’entendait pas mettre en cause la responsabilité de l’ARS. La contestation de la dotation fixée en application d’un CPOM ne saurait donc être qualifiée d’exception d’inexécution d’un contrat, ni être dénoncée dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle relevant de la compétence du juge administratif de droit commun. Autrement dit, l’inexécution des clauses contractuelles d’un CPOM n’engage pas la responsabilité contractuelle de l’autorité de tarification et ne saurait être recherchée dans le cadre d’un contentieux indemnitaire lié à l’inexécution d’un CPOM.

Ce qui revient à refuser au CPOM la nature d’un contrat administratif, en dépit du fait que l’administration a pu elle-même les qualifier de contrat public comprenant des clauses exorbitantes du droit commun (circulaire n° DGCS/SD5C/2013/300 du 25 juillet 2013) .

Pour autant, la possibilité que la responsabilité de l’administration soit recherchée en raison des conséquences préjudiciables résultant du montant de la dotation et qui ne correspondrait pas pour l’organisme gestionnaire à invoquer l’insuffisance de la dotation pourrait selon nous être recherchée devant le juge administratif de droit commun, sous réserve toutefois d’apporter la preuve d’un tel préjudice, ce qui peut s’avérer délicat.   

Sur le fond, le Tribunal a estimé que le tarif fixé dans le CPOM n’était pas opposable à l’administration. Il a en effet jugé que « si le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens a prévu pour l’ESAT une [dotation globale] 2009 de 2 658 066 euros, d’une part, cette somme est inscrite dans un contrat d’objectifs et de moyens 2010-2014 qui est dépourvu de toute valeur contraignante et, d’autre part, l’article II.3.1 de ce document contient la mention suivante “Attention : les moyens financiers de la part de l’Etat sont encore à l’étude. Les budgets de base zéro et dotations ne seront par conséquent qu’une projection“ ; que cette stipulation a ainsi expressément prévu une réserve tenant à la fixation future des dépenses autorités de l’établissement ; que par suite, l’A. n’est pas fondée à se prévaloir de ces stipulations  à l’appui de sa demande d’annulation ou de réformation de l’arrêté attaqué » ( TITSS de Lyon,  12 mars 2012, n°11-73-6).

En se prononçant ainsi, le Tribunal s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence rendue en matière de convention pluriannuelle tripartite dont il a été jugé que les clauses financières n’engageaient pas les autorités de tarification (CE, 21 février 2000, n° 209637, CNTSS, 18 décembre 2009, n° A.2008.027),  alors même qu’elles sont opposables à l’organisme gestionnaire (CNTSS, 5 février 2010, n°A.2008.027).

Le caractère non-opposable des clauses financières des CPOM s’illustre également par la capacité de résiliation unilatérale des autorités de tarification particulièrement pour des raisons budgétaires. Sur ce point la circulaire n° DGCS/SD5C/2013/300 du 25 juillet 2015  relative à la mise en œuvre des CPOM reconnaît d’ailleurs que « l’autorité chargée de l’autorisation conserve la possibilité de résilier de manière unilatérale, notamment si les conditions d’évolution de ses moyens budgétaires ne lui permettent pas de concilier les engagements contractuels avec le respect du caractère limitatif de sa dotation régionale ». La circulaire préconise toutefois d’éviter une telle résiliation pour ne pas décrédibiliser la démarche de contractualisation et préférer l’avenant, autrement dit la révision des moyens en cours (ce qui devrait impliquer une révision des objectifs, notamment si leur non-réalisation est « sanctionnée » par une clause du CPOM).

Par ailleurs, il faut rappeler que la capacité de l’autorité de tarification de modifier unilatéralement le montant des financements en cours d’exercice est expressément prévue à l’article R. 314-47 du CASF aux termes duquel : « L’autorité de tarification peut, en cours d’exercice budgétaire et par décision motivée, modifier d’office le montant approuvé des groupes fonctionnels ou des sections tarifaires dans les cas suivants:

1° La modification, postérieurement à la fixation du tarif, de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie ;

2° La modification, postérieurement à la fixation du tarif, des dotations limitatives mentionnées aux articles L. 313-8, L. 314-3 et L. 314-4 ;

3° La prise en compte d’une décision du juge du tarif ;

4° En cas d’affectation des résultats dès l’exercice en cours, en application du 1° du II ou du III de l’article R. 314-51 ».

S’il est clair que le régime juridique du CPOM reste à ce jour à construire au gré des décisions jurisprudentielles à venir, il n’en reste pas moins que le CPOM ne peut être considéré comme ayant un caractère contractuel. En l’état actuel de la jurisprudence, le CPOM ne saurait ainsi autrement qualifié que d’instrument des autorités de tutelle qui se traduit dans un support contractuel. L’heure n’est pas à le déplorer mais plutôt à être conscient des implications de la conclusion d’un CPOM, tant pour les gestionnaires que les autorités de tarification qui seront confrontées à la nécessité d’articuler les projections – car il ne s’agit de rien d’autre – prévues au sein des CPOM avec les enveloppes annualisées dans le cadre des arrêtés de tarification.

  1. Le maintien du caractère réglementaire de la tarification

La conclusion du CPOM n’est pas exclusive de la mise en œuvre de la procédure budgétaire réglementaire. Cela est d’ailleurs cohérent avec le caractère non obligatoire des clauses d’un CPOM, du moins pour l’autorité de tarification. D’ailleurs, dans la mesure où les clauses financières d’un CPOM ne peuvent constituer une garantie de financement pour les organismes gestionnaires, l’intervention annuelle d’un CPOM durant la durée d’exécution du CPOM constitue l’une des seules garanties de pouvoir contester les niveaux de tarification retenus et qui ne correspondraient pas aux clauses financières prévues au sein du CPOM.

Ainsi, dans la mesure où les clauses financières d’un CPOM n’ont pas de caractère opposable aux autorités de tarification, se pose la question du maintien de la procédure contradictoire budgétaire au du CPOM. En effet, si la procédure contradictoire est devenue optionnelle dans le cadre des CPOM facultatifs mais que ces derniers n’ont pas de valeur impérative, il n’existe aucun intérêt pour les organismes gestionnaires de se priver d’une telle garantie. En tous les cas, le maintien d’une procédure budgétaire contradictoire au regard du régime juridique actuel du CPOM présente un réel intérêt pour les organismes gestionnaires. En effet, l’autorité de tarification se trouve dans ce cas contrainte de respecter les modalités de mise ne œuvre de la procédure contradictoire et de justifier les abattements qui seraient opérés sur les éléments financiers prévues par le CPOM. Il faut clairement indiquer que la possibilité de former un recours – et même si les gestionnaires ont qu’encore trop peu ce réflexe – ne doit pas être regardée autrement que comme la possibilité de s’aménager un levier de négociation avec les autorités de tarification. En ce qui concerne ces dernières, il convient d’être vigilant à ce que la procédure contradictoire soit régulièrement mises en œuvre, ce qui peut être délicat si le taux d’évolution des dépenses ou l’enveloppe limitative ne permet pas d’honorer les engagements pris dans le cadre du CPOM.

En tout état de cause, ces éléments doivent attirer l’attention des gestionnaires sur les clauses financières du CPOM et particulièrement la détermination des modalités d’évolution budgétaire. Sur ce point, il convient de rappeler que l’article R. 314-40 du CASF dispose que : 

« Le contrat ou la convention comportent alors un volet financier qui fixe, par groupes fonctionnels ou par section tarifaire selon la catégorie d’établissement ou de service, et pour la durée de la convention, les modalités de fixation annuelle de la tarification ».

Ces modalités peuvent consister :

1° Soit en l’application directe à l’établissement ou au service du taux d’évolution des dotations régionales limitatives mentionnées aux articles L. 314-3 et L. 314-4 ;

2° Soit en l’application d’une formule fixe d’actualisation ou de revalorisation ;

3° Soit en la conclusion d’avenants annuels d’actualisation ou de revalorisation ».

A la lecture de ces dispositions, les gestionnaires doivent se poser la question du caractère adapté des modalités de fixation annuelle de la tarification en fonction du groupe fonctionnel ou de la section tarifaire. Par ailleurs, aucun élément ne s’oppose à la possibilité de retenir des modalités de fixation annuelle différenciées en fonction, par exemple, des groupes de dépenses.

Par ailleurs, il paraît clair que l’application d’un taux d’actualisation ou de revalorisation semble être le plus risqué pour l’établissement, compte tenu de l’impossibilité d’anticiper sur les prochains taux d’évolution des dotations régionales, ceci d’autant plus s’il n’est plus fait application de la procédure contradictoire. Sur ce point précis, il faut d’ailleurs souligner que compte tenu de la jurisprudence actuelle de la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale qui s’oppose à ce que les autorités de tarification puissent uniquement se fonder sur le taux d’évolution des dotations régionales, la question de pose de savoir si une telle jurisprudence pourraient s’appliquer au sein d’un CPOM au sein de laquelle procédure contradictoire serait maintenue (CNTSS, 20 juin 2014, n°2012.005 ). Dans le cas où le gestionnaire déciderait de ne pas retenir une procédure contradictoire au sein du CPOM, les modalités de fixation annuelle de la tarification résultant de l’application d’une formule fixe d’actualisation ou de revalorisation ou du taux d’évolution des dotations régionales suppose une diagnostic préalable solide, la renégociation d’une « base zero » adaptée par rapport aux objectifs et peut-être l’application qu’à une partie du périmètre du CPOM.

Dans tous les cas, le caractère pour le moins fragile des garanties juridiques de financement offertes par le CPOM doit conduire les gestionnaires à établir un diagnostic sérieux avant d’établir un diagnostic partagé avec les autorités de tarification et de prêter une attention très particulière à la rédaction des clauses du CPOM.

Les autorités de tarification, qui semble être « favorisée » par le caractère non opposable du CPOM ne sauraient qu’être vigilantes aux marges de manœuvre qu’il leur offre au regard d’un régime juridique qui reste à construire.

Nadia BEN AYED

Avocat / Directeur du secteur ESS – nbenayed@seban-associes.avocat.fr