Environnement, eau et déchet
le 27/04/2020
Solenne DAUCÉSolenne DAUCÉ

Covid-19 et confinement : aubaine ou risque pour l’environnement ?

Par Solenne Daucé, Julie Cazou et Théophile Keïta

 

Depuis le 17 mars à 12 heures, le déplacement de toute personne hors de son domicile est interdit, à l’exception des déplacements pour des motifs énumérés limitativement (décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19). Ainsi, depuis plus d’un mois, la plupart des personnes résidant en France sont confinées à leur domicile, afin d’endiguer la propagation de la maladie de covid-19.  

Il a pu être observé que ce confinement entrainait des effets bénéfiques pour l’environnement. À titre d’exemple, la qualité de l’air a connu une nette amélioration et l’association Atmo France relève ainsi que, s’agissant de l’oxyde d’azote et de « l’exposition de la population à la pollution due au trafic, la différence avant/pendant le confinement est de 30 à 75% suivant les villes »[1]. Airparif souligne que, en 40 ans de mesures, l’amélioration de la qualité de l’air relève du « jamais vu »[2]. Le confinement semble être également une période propice pour la biodiversité : le bruit ayant diminué en plus de l’activité humaine, les oiseaux auraient fait leur retour en ville et dans les espaces naturels, tandis que d’autres espèces animales ont été observées loin de leur territoire habituel.  

Si l’on peut s’en réjouir, il ne faut cependant pas négliger les impacts négatifs de la crise sanitaire actuelle sur l’environnement, ni le fait que ces effets bénéfiques sont conjoncturels et non structurels. Rien ne permet ainsi de garantir la pérennité des effets positifs en sortie de crise, alors qu’est au contraire redouté un « effet rebond ». Cet effet rebond pourrait par exemple se traduire par une pression accrue sur la biodiversité alors que le public retournera en grand nombre dans les espaces naturels, ou par un bond des émissions de gaz à effet de serre lié à la reprise des activités économiques et du tourisme.  

Plus encore, les mesures de confinement introduites en réponse à la crise sanitaire actuelle n’entrainent pas que des incidences positives sur l’environnement. Ainsi, on peut observer un impact sur la gestion des déchets, comme en atteste notamment la recrudescence des décharges sauvages en cette période (I). En outre, les incidences positives sur la qualité de l’air doivent être relativisées car, si les émissions d’oxyde d’azote ont fortement diminué, il convient de rester vigilant sur les émissions de particules fines (II). Ensuite, certains délais en matière environnementale qui avaient été suspendus ont cependant recommencé à courir, permettant une application partielle de la règlementation environnementale durant cette période (III). Enfin, la question de la relance des activités et de ses impacts sur l’environnement mérite d’être posée (IV).  

  

I – Impacts de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 sur la gestion des déchets 

 

La crise sanitaire engendrée par l’épidémie de covid-19 a un impact important sur la gestion des déchets, ce qui a pu causer des incidences négatives sur l’environnement (a). La Commission européenne a ainsi publié une note contenant des recommandations et lignes directrices pour assurer la continuité de la gestion et collecte des déchets durant cette période (b).  

 

1 – Contexte et conséquences, notamment sur l’accroissement des décharges sauvages 

 

En raison du manque de personnel, ou lorsque les exigences de distanciation sociale ne leur permettent pas de poursuivre leurs activités, de nombreuses déchetteries et centres de traitements des déchets ont dû fermer leurs portes. Une étude de l’association Amorce du 9 avril 2020, menée auprès de 162 collectivités, énonce que 60 % des déchèteries étaient totalement fermées et 40% étaient ouvertes uniquement pour les apports professionnels et services techniques[3]. Une autre étude, réalisée par l’éco-organisme Citéo, révèle en outre que les capacités de traitement des centres de tri auraient ainsi réduit de 27 %. À la date du 15 avril, la collecte des emballages légers et papiers serait toutefois maintenue dans 72 % des collectivités, et celle du verre dans 91 % d’entre elles[4]. La situation en matière de gestion des déchets varie ainsi selon les territoires ; si des collectivités poursuivent leurs activités de collecte sélective, certaines ont cesser d’assurer ce service. 

La fermeture des déchèteries a notamment pour conséquence d’accroitre le nombre de décharges sauvages. L’étude précitée de l’association Amorce indiquait ainsi qu’au 9 avril 2020 une tendance à la recrudescence de dépôts sauvages était observée pour 48% des collectivités interrogées. Il convient à ce titre de rappeler que le maire peut, en application des dispositions de l’article L. 541-3 du Code de l’environnement, mettre en œuvre des procédures de sanction contre les producteurs et détenteurs de déchets illégalement entreposés ou abandonnés. Il importe à cet égard de relever que le décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 a prévu que les délais applicables à cette procédure de sanction n’étaient plus suspendus durant la période d’état d’urgence sanitaire, comme le prévoyait l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. L’autorité de police en matière de lutte contre les décharges sauvages peut donc prononcer des sanctions et mettre en demeure le producteur ou détenteur des déchets d’effectuer les opérations nécessaires pour mettre fin à ce dépôt illégal durant la période de l’état d’urgence sanitaire.  

 

2 – Recommandations de la Commission européenne sur la gestion des déchets 

 

Dans ce contexte de crise sanitaire, la Commission européenne a formulé plusieurs recommandations, portant notamment sur la collecte des déchets municipaux, c’est-à-dire des déchets dont la collecte relève des collectivités (a), ainsi que sur le traitement des déchets médicaux (b). D’autres recommandations, relatives à la santé et sécurité des opérateurs de gestion des déchets, au soutien financier européen et aux aides d’État, ainsi qu’aux échanges d’informations, sont également formulées (voir la Note de la commission européenne, intitulée Waste management in the context of the coronavirus crisis et publiée le 14 avril 2020 ).

 

a) Collecte des déchets municipaux

La Commission européenne relève tout d’abord que, selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, il n’y a actuellement aucun élément permettant de conclure que la gestion des déchets serait dangereuse ou que les ordures ménagères joueraient un rôle dans la transmission d’infections respiratoires telles que le covid-19. 

La Commission souligne la nécessité d’assurer la continuité de la collecte municipale des déchets, y compris la collecte séparée et le recyclage, qui doit être maintenue en conformité avec le droit européen.  

Il est également indiqué que les États-membres peuvent se fonder sur l’article 13 de la directive 2009/98/EC, aux termes duquel « les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que la gestion des déchets se fait sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement […] », pour adapter les pratiques de collecte des déchets aux exigences du contexte actuel de crise sanitaire dans un but de protection de la santé. Ces adaptations sont strictement encadrées : elles doivent se conformer au droit européen des déchets et être nécessaires et proportionnées à l’objectif de protection de la santé humaine, notamment en étant limitées dans le temps et l’espace au strict nécessaire pour répondre aux risques identifiés sur la base des derniers avis scientifiques. Ces adaptations doivent viser à maintenir la collecte séparée et le recyclage en conformité avec la hiérarchie des déchets.  

En cas de réduction des effectifs pour assurer la gestion des déchets, les États-membres doivent assurer la continuité et la fréquence suffisante de la collecte des déchets résiduels et des biodéchets afin de prévenir tout risque immédiat à la sécurité et santé publiques. Sur le fondement d’une évaluation des risques y étant liés, la fréquence de la collecte des matières sèches recyclables peut être temporairement ajustée, mais pas interrompue. Il est également indiqué que les citoyens doivent être informés de toute modification temporaire dans les pratiques de collecte des déchets.  

 

b) Traitement des déchets issus des établissements de soins

Des recommandations particulières sont également formulées pour les déchets issus des établissements de soins.  

La Commission recommande notamment aux États-membres de mettre en place une planification des capacités de traitement et, lorsque cela est nécessaire, de l’entreposage des déchets médicaux. Si des perturbations dans le traitement de ces déchets venaient à se produire en raison de l’insuffisance des capacités d’élimination ou de traitement, les déchets médicaux devront être temporairement stockés en attendant que les problèmes de capacité soient résolus. L’entreposage de ces déchets devra se faire dans des contenants étanches et désinfectés, accessibles au seul personnel autorisé et à proximité de leur lieu de production.  

À l’échelon national, il peut être à ce titre indiqué que l’arrêté du 20 avril 2020 modifiant l’arrêté du 7 septembre 1999 relatif aux modalités d’entreposage des déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés et des pièces anatomiques a allongé à six mois, au lieu de trois, le temps de stockage de certains de ces déchets.  

 

II – La vigilance constante sur la qualité de l’air pendant la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19  

  

Les différents risques pour l’environnement en période de confinement sont également représentés en matière de pollution de l’air. A priori, les mesures prises au titre de l’état d’urgence sanitaire ont permis une amélioration de la qualité de l’air, en entraînant un arrêt de l’activité humaine. Par exemple, en Chine, les émissions de dioxyde d’azote (NO2) ont diminué entre 10 et 30% entre le 2 février et le 1er mars 2020 comparé à la même période en 2019 [5]. Le dioxyde d’azote fait partie des polluants atmosphériques réglementés par la Directive n° 2008/50 dite « Qualité de l’air ». Celle-ci surveille et réglemente, en fixant des valeurs limites à ne pas dépasser, certains polluants au titre desquels les particules fines (PM10 et PM2.5) et les oxydes d’azote (NOx).  

Cependant, de telles améliorations n’ont pas forcément amené une diminution des particules fines[6], de sorte qu’il convient de rester vigilant, en particulier à propos des épandages agricoles. En effet, l’ADEME a relevé qu’en 2010, 48% des émissions de particules en suspension (dites « total suspended particules »), 19% des particules fines PM10 et 10% des particules PM2,5 avaient pour origine le secteur agricole sur l’ensemble du territoire[7]

Aussi, le 20 avril 2020, le Conseil d’État a statué sur un référé liberté introduit par l’association RESPIRE (CE, 20 avril 2020, Association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air, n° 440005), qui a demandé au juge de constater la carence de l’État à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluantes et d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de l’agriculture de modifier les conditions d’application de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiante. Elle souhaite rendre obligatoire et d’application immédiate les dispositions réglementaires fixées dans l’annexe de cet arrêté, jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire.  

En effet, l’arrêté du 7 avril 2016 permet aux préfets d’anticiper les épisodes de pollutions par les particules fines « PM10 », le dioxyde d’azote et l’ozone et de maintenir des mesures d’urgence en cas de dépassement des seuils réglementaires. En particulier, l’annexe de l’arrêté indique différentes mesures réglementaires pour le secteur industriel, le secteur des transports, le secteur résidentiel et tertiaire et le secteur agricole. À titre d’exemple, dans ce dernier secteur, le préfet peut reporter les épandages de fertilisants minéraux ou reporter les travaux du sol.  

Le Conseil d’État a rejeté la requête de l’association RESPIRE, non sans un avertissement à l’endroit de l’administration. L’association considérait que la condition de l’urgence était constituée par la nécessité de réduire le nombre de malades, au regard des dangers que représentent les épandages, en mettant en avant le lien entre l’aggravation des maladies respiratoires et pollution de l’air. À cette fin, elle présentait trois études scientifiques relatives aux liens entre la pollution de l’air et les maladies dues au coronavirus et estimait que la carence de l’État à prendre les mesures nécessaires pour réduire la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 constituait une atteinte au droit à la vie protégé par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.   

En premier lieu, le Conseil d’État a relevé que, sur la période du 15 mars au 14 avril 2020, si des dépassements du seuil d’information pour les particules fines PM10 ont été relevés, il n’y a eu « aucun dépassement du seuil d’alerte, contrairement à̀ ce qui avait pu être observé pendant la même période au cours de l’année 2019 où l’on avait compté un dépassement du seuil d’alerte, outre 21 dépassements du seuil d’information et de recommandation ».  

En second lieu, le Conseil d’État a écarté les différentes études citées pour le contentieux dont il est saisi, après en avoir apprécié la pertinence. La première est une étude chinoise datant du 20 novembre 2003. Celle-ci « concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxyde de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête ». L’étude américaine, du 5 avril 2020 est également considérée comme non adaptée dans la mesure où « elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner ». Enfin, l’étude italienne, réalisée le 20 avril 2020 sous l’égide des universités de Bologne et de Bari, n’a non seulement pas fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, mais concerne en outre des dépassements qui auraient conduit à appliquer le dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016.  

Toutefois, avant de rejeter la requête de l’association RESPIRE, le Conseil d’État invite l’administration à faire preuve d’une vigilance particulière, en exposant :  

« il incombe à l’administration, qui a confirmé lors de l’audience publique qu’elle assure une surveillance quotidienne des niveaux de pollution à la fois au plan central et au plan local, de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que [soient prises], au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l’activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l’industrie et aux transports, la principale source d’origine humaine d’émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d’épandage »[8]

Cette décision intervient dans un contexte de vigilance à l’égard des dépassements de seuils de pollution de l’air. En effet, la qualité de l’air est une problématique particulièrement suivie d’autant plus qu’elle est en passe de devenir un problème de santé publique majeur au regard du changement climatique. Le Rapport « Lancet », étudiant les risques sur la santé que font peser les changements climatiques, insiste particulièrement sur les vulnérabilités futures dues à la pollution de l’air[9]

C’est dans ce contexte que le Gouvernement a néanmoins indiqué que les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques pouvaient appliquer des distances de sécurité réduites pour l’épandage de leurs produits[10].  

Le 27 décembre 2019, le gouvernement a adopté un arrêté relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. Celui-ci prévoit, en particulier, des distances de sécurité spécifiques en l’absence d’indications sur ce point par l’autorisation de mise sur le marché du produit concerné. Cependant, le même arrêté permet d’adapter ces distances à proximité des lieux mentionnés à l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime, que sont les « zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments ». Cette adaptation, qui permet de respecter des distances de sécurité plus réduites que celles prévues par l’arrêté, est mise en œuvre conformément à une charte d’engagement approuvée par le préfet, afin de maîtriser le risque d’exposition des résidents. Le 30 mars 2020, le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation a annoncé que les utilisateurs de produits phytosanitaires qui se sont engagés dans une procédure de concertation en vue de l’approbation d’une charte d’engagement peuvent, jusqu’au 30 juin 2020, appliquer les réductions de distances sécurité mentionnées en annexe, même en l’absence d’aboutissement de la procédure de concertation prévue pour lesdites chartes.  

Il est à rappeler que l’arrêté du 27 décembre 2019 fait l’objet d’un contentieux, introduit avant le début de l’état d’urgence sanitaire, par plusieurs organisations non gouvernementales, parmi lesquelles France Nature Environnement et UFC Que choisir[11]. Celles-ci reprochent au texte de ne pas suffisamment protéger les populations des dangers des pesticides, non plus que les milieux naturels, mettant en danger particulièrement la ressource en eau[12]

  

III – Adaptation des délais en matière environnementale 

 

Pour mémoire, l’ordonnance n° 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période dispose que certains délais dont le terme doit échoir durant la période s’étendant du 12 avril 2020 à un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire sont prorogés. En application de l’article 8 de cette ordonnance, sont notamment concernés les délais imposés par l’administration ; lorsqu’ils ne sont pas expirés au 12 mars 2020, ceux-ci sont suspendus durant la période s’étendant du 12 mars 2020 à un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire et, lorsque de tels délais auraient dû commencer à courir durant cette période, leur point de départ est reporté jusqu’à la fin de celle-ci.  

Mais des exceptions peuvent être introduites par décret en application de l’article 9 de l’ordonnance, notamment pour des motifs de préservation de l’environnement. Sur ce fondement, plusieurs décrets ont depuis été adoptés, dérogeant à la prorogation de certains délais en matière environnementale.  

Les délais énumérés par le décret n° 2020-383 du 1er avril 2020, relatifs notamment aux activités des installations classées pour l’environnement (ICPE), des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) ou encore aux pouvoirs de police en matière de lutte contre les décharges sauvages. Ces délais ont été soustraits aux mécanismes de prorogation à compter du 3 avril 2020 (voir la brève publiée sur ce sujet dans la Lettre d’actualités juridique spéciale covid #2 du 7 avril 2020).  

Un autre décret, le décret n° 2020-453 du 21 avril 2020, énumère limitativement d’autres délais, prévus par les dispositions du Code de l’environnement et du Code de l’énergie, qui dérogent au principe de suspension durant la période de l’état d’urgence sanitaire. Trois catégories de délais sont à distinguer :  

  • Les délais dont le cours reprend au 23 avril 2020 (article 1er) : ils sont limitativement énumérés à l’article 1er du décret. Il s’agit notamment des délais de réalisation des mesures et de transmission des données relatives aux installations de collecte et de traitement des eaux usées, des délais de transmission du programme prévisionnel d’épandage ou encore des délais relatifs à l’élaboration et à l’application des actes en matière de mise sur le marché des substances actives et produits biocides.  
  • Les délais de procédure dont le cours reprend 7 jours après la publication du décret commenté, soit le 29 avril 2020 (article 2) : il s’agit des délais de procédures particulières précisément identifiées. Par exemple, recommencent à courir à cette date les délais relatifs à la procédure de création de la réserve naturelle nationale de l’archipel des Glorieuses, à la procédure de consultation du public préalable à l’édiction des arrêtés préfectoraux fixant les dates d’ouverture et fermeture de la chasse ou encore à la procédure d’adoption de l’arrêté de protection d’habitat naturel du Mont-Blanc.  
  • Les délais dont le cours reprend au 1er mai (article 3) : il s’agit uniquement des délais liés à la procédure préalable à l’édiction du décret relatif au non-respect de manière régulière des normes de qualité de l’air donnant lieu à une obligation d’instauration d’une zone à faible émission mobilité.  

 

Le décret n° 2020-450 du 20 avril 2020 instaure la reprise de certains délais imposés par l’Administration et liés aux activités nucléaires de la défense. Recommencent ainsi à courir les délais liés à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l’exposition aux rayonnements ionisants (article 1333-31 du Code de la santé publique), à la protection des installations nucléaires intéressant la dissuasion (article L. 1411-6 du Code de la défense) et activités nucléaires intéressant la défense (article L. 1333-15 du Code de la défense). Ces délais, qui ont été suspendus à compter du 12 avril ou dont le point de départ a été reporté, ont recommencé à courir le 22 avril 2020.  

La reprise du cours de ces délais assure ainsi la continuité de certaines procédures environnementales, permettant une application partielle des règles du droit de l’environnement durant la période d’état d’urgence sanitaire.  

  

IV – Covid-19 et environnement : et après ?

 

L’impact environnemental du covid-19 ne doit pas être pris en considération seulement durant cette période d’état d’urgence sanitaire. Au contraire, les incidences de cette crise méritent surtout que l’on se pose d’ores et déjà la question de l’après, des enseignements qu’il faut en tirer et de la manière dont les effets bénéfiques de la crise pourraient être pérennisés.  

 

1 – Les recommandations du Haut conseil pour le climat 

 

Le 21 avril 2020, le Haut conseil pour le climat a publié un rapport intitulé Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir : un rapport spécial du haut conseil pour le climat avril 2020 accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques.  

Pour mémoire, le Haut conseil pour le climat est un organisme indépendant instauré par le décret n° 2019-439 du 14 mai 2019. Il est notamment chargé de rendre un rapport annuel sur la politique et les mesures climatiques mises en œuvre par l’État, au sein duquel il formule des recommandations et propositions pour améliorer l’action de la France (article D. 132-4 du Code de l’environnement). Sur saisine du gouvernement, du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat ou à sa propre initiative, il peut également rendre un rapport sur des questions sectorielles (article D. 132-4 du Code de l’environnement).  

Dans le cadre de son rapport du 21 avril 2020, le Haut conseil pour le climat se penche sur les enseignements qui doivent être tirés de la crise sanitaire actuelle, mais surtout sur l’impact sur le climat qu’auront la sortie de crise et la relance des activités. À cet égard, le Haut conseil formule des recommandations pour garantir une relance compatible avec une stratégie bas-carbone et met en garde contre l’effet rebond de la sortie de crise.  

Le Haut conseil pour le climat énonce ainsi que « toute perspective de relance doit poursuivre la trajectoire de neutralité carbone » et que « un plan de relance, par essence défini en réponse au choc économique, doit et peut être compatible avec la transition bas-carbone ». À ce titre, il recommande notamment d’orienter les nouveaux investissements vers l’efficacité énergétique et les infrastructures bas-carbone ou compatibles avec la neutralité carbone, d’accroître le financement de la recherche et du développement des technologies essentielles à la transition, de fixer un prix plancher au sein du marché européen du carbone, ou encore de consolider les puits de carbone en préservant et accroissant les écosystèmes terrestres et côtiers.  

Il est également intéressant de noter que le Haut conseil pour le climat recommande de subordonner l’octroi de mesures budgétaires ou d’incitations ­fiscales à des acteurs privés ou des collectivités à « l’adoption explicite de plans d’investissement et de perspectives compatibles avec la trajectoire bas-carbone et la programmation pluriannuelle pour l’énergie ». Cette idée a notamment été débattue au Parlement dans le cadre des discussions sur deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020.  

 

2 – Deuxième projet de loi de finances rectificatif pour 2020 et la question de la responsabilité des entreprises 

Dossier législatif du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 

 

La question de l’après s’est notamment posée lors des travaux parlementaires sur les participations financières de l’État en soutien aux entreprises présentant un caractère stratégique jugées vulnérables.  

En effet, un deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 est en discussion au Parlement. Dans sa version adoptée en commission mixte paritaire, son article 12 prévoit d’ouvrir les autorisations d’engagement et crédits de paiement supplémentaires d’un montant de 20 milliards d’euros afin de concourir à soutenir l’économie en renforçant les ressources des entreprises présentant un caractère stratégique jugées vulnérables. Les entreprises concernées seront identifiées par l’Agence des participations de l’État (APE). 

Les travaux parlementaires indiquent que ces autorisations d’engagement et crédits de paiement supplémentaires doivent « permettre l’État d’intervenir en capital, par l’intermédiaire de l’Agence des participations de l’État (APE), au sein d’entreprises en difficulté, sous la forme soit de prises de participation, soit d’augmentations de capital. Plusieurs entreprises prioritaires faisant face à de fortes contraintes financières auraient été identifiées par l’APE ; les exemples d’Air France et de Renault, dont l’État est déjà actionnaire et particulièrement affectés par les conséquences économiques de la crise sanitaires, sont souvent relevés »[13].  

En contrepartie de ces sommes, l’article 12 prévoit que « L’Agence des participations de l’État veille à ce que ces entreprises intègrent pleinement et de manière exemplaire les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ». Le Sénat a précisé ce dispositif en prévoyant d’améliorer les conditions d’information du Parlement sur les opérations d’investissement ainsi réalisées et dont le montant excède un milliard d’euros.  

Dans sa rédaction issue des travaux de la Commission mixte paritaire, cet article 12 prévoit également que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’utilisation des ressources attribuées et sur l’état de la mise en œuvre des objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans la stratégie des établissements et sociétés contrôlées par l’État, notamment en matière de lutte contre le changement climatique. La compatibilité des stratégies de ces établissements et sociétés avec la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone et les objectifs de l’article L. 100-4 du Code de l’énergie sera également évaluée. Le Haut conseil pour le climat devra alors rendre un avis sur ce rapport.  

Cette disposition a fait l’objet de vives critiques de la part de certains parlementaires et associations, d’autant plus avant l’intervention de la Commission mixte paritaire ; serait-ce une occasion manquée d’exiger une véritable contrepartie écologique ? On observe en effet qu’aucune obligation ou sanction n’est prévue, ce qui aurait pourtant permis d’imposer des engagements sociaux, sociétaux et environnementaux aux bénéficiaires de la participation de l’État. Cette mesure semble ainsi s’inscrire en contradiction avec les recommandations formulées par le Haut conseil pour le climat mentionnées plus haut. Les travaux parlementaires devant le Sénat soulignent en outre que cet article « apparaît très largement dépourvu soit de portée normative, soit de portée pratique »[14]

 
 

[1] Atmo France, 21 avril 2020, COVID-19 : focus sur l’exposition des riverains à la pollution automobile près des grands axes avant/pendant le confinement, [consultable ici : https://atmo-france.org/covid-19-focus-sur-lexposition-des-riverains-a-la-pollution-automobile-pres-des-grands-axes-avant-pendant-le-confinement-21-avril-2020/] 

[2] Airparif, 21 avril 2020, Évaluation de l’impact sur la qualité de l’air en Île-de-France des trois premières semaines de confinement, [consultable ici https://www.airparif.asso.fr/_pdf/publications/communique_presse_evaluation-impact-confinement-sur-air_21042020.pdf

[3] Amorce, 15 avril 2020, Coronavirus et gestion des déchets : état des lieux au 9 avril 2020, [consultable ici : https://amorce.asso.fr/actualite/coronavirus-et-gestion-des-dechets-etat-des-lieux-au-9-avril-2020]

[4] Citéo, 17 avril 2020, Note impact COVID 19 sur les collectes sélectives en France, [consultable ici : https://bo.citeo.com/sites/default/files/2020-04/20200417_COVID19_Etat_Collecte_Selective-17Avril2020-V2.pdf]. 

[5] Earth Observatory, « Airborne Nitrogen Dioxide Plummets Over China », 1er mars 2020 (https://earthobservatory.nasa.gov/images/146362/airborne-nitrogen-dioxide-plummets-over-china) (consulté le 23 avril 2020).  

[6] France24, « La pollution de l’air diminue avec le confinement lié au coronavirus », 22 mars 2020, (https://www.france24.com/fr/20200322-la-pollution-de-l-air-diminue-avec-le-confinement-li%C3%A9-au-coronavirus) (consulté le 23 avril 2020). 

[7] ADEME, « Les émissions agricoles de particules dans l’air. État des lieux et leviers d’action », Mars 2012, p. 10, (https://www.ademe.fr/emissions-agricoles-particules-lair-etat-lieux-leviers-daction-plan-particule) (consulté le 23 avril 2020).  

[8] Conseil d’État, 20 avril 2020, N° 440005, Association Respire, §11. 

[9] « Plusieurs exemples de stagnation dans les efforts d’atténuation peuvent être avancés, le marqueur essentiel de la décarbonisation (l’intensité carbone de l’approvisionnement total en énergie primaire) restant inchangé depuis 1990 […]. La charge de morbidité résultant d’une telle inaction s’est révélée immense, les habitant de plus de 90% des villes respirant un air pollué, toxique pour leur santé cardiovasculaire et respiratoire », N. Watts et a., « Rapport 2018 du Compte à rebours sur la santé et le changement climatique du Lancet : une influence sur la santé des populations pour les siècles à venir », Volume 392, ISSUE 10163, P2479-2514, Décembre 08, 2018, p. 3.  

[10] Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Distances de sécurité à proximité des habitations : comment s’applique le dispositif, 30 mars 2020, (https://agriculture.gouv.fr/distances-de-securite-proximite-des-habitations-comment-sapplique-le-dispositif) (consulté le 23 avril 2020) 

[11] R. Pernot, « Pesticides : huit ONG déposent un recours contre les textes définissant les zones de non-traitement », ActuEnvironnement, 28 février 2020, (https://www.actu-environnement.com/ae/news/pesticides-distances-epandage-recours-ong-35063.php4) (consulté le 23 avril 2020).  

[12] UFC Que Choisir, « Épandage des pesticides à proximité des habitations : 8 ONG attaquent le décret et l’arrêté devant le Conseil d’État, 25 février 2020, (https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-epandage-des-pesticides-a-proximite-des-habitations-8-ong-attaquent-le-decret-et-l-arrete-devant-le-conseil-d-etat-n76275/) (consulté le 23 avril 2020).  

[13] Rapport n° 406 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 avril 2020 

[14] Ibidem.