le 16/10/2014

Correspondance attentatoire à l’honneur et à la considération d’un élu – Entre outrage et diffamation/injure

Cass., Crim., 25 mars 2014, n° 13-81341

Dans cet arrêt, le Maire d’une Commune, exerçant également des fonctions de professeur de l’éducation nationale, était rendu destinataire d’un courrier postal comportant des termes de nature à porter atteinte à sa dignité, son honneur ou sa considération ; il lui était prêté des « agissements mafieux et des manigances », de « former des nazillons », d’être « un professeur soudoyé », ainsi que d’autres propos discourtois attentatoires au respect dû à un élu municipal.

L’auteur de ce courrier en adressait deux autres : le premier, au ministre de l’éducation nationale et, le second, au préfet de Département ; leur auteur y réitérait ses accusations, tout en rappelant à la fois que « la personne visée était Maire de sa Commune » et qu’il était « membre de l’éducation nationale ».

La Cour d’appel entrait en voie de condamnation du chef d’outrage (article 433-5 du Code pénal) au motif que :

les termes employés constituaient bien des atteintes à la dignité et au respect dû à la fonction d’un élu, les courriers ayant été adressés à la suite d’une manifestation organisée par le Maire en cette qualité ;

les écrits n’étaient pas rendus publics ;

l’un des écrits avait été directement adressé à la victime ;

le prévenu ne pouvait, de surcroît, ignorer que les deux autres courriers, dont la victime n’était pas destinataire, allaient néanmoins lui être nécessairement communiqués ; la Cour considérait à ce titre que la lettre adressée au ministre de l’éducation nationale allait inévitablement être transmise au recteur d’académie puis à la victime pour recueillir ses observations et explications, et que la correspondance adressée au préfet du Département serait nécessairement transmise à la victime pour être son autorité de tutelle.

Pour sa défense, le prévenu soutenait notamment que les courriers ne visaient pas la victime en qualité de Maire, mais seulement en qualité d’enseignant, de surcroît pour « une affaire privée » c’est-à-dire sans rapport avec l’exercice de missions de service public.

Le pourvoi était rejeté, la Cour ayant « par des motifs exempts d’insuffisance […] mis en évidence à la charge du prévenu des propos outrageants au sens de l’article 433-5 alinéa 2 du Code pénal ».

La portée de cet arrêt est intéressante à double titre :

En premier lieu, il permet de rappeler la frontière entre la diffamation/l’injure commise par écrit et l’outrage commis par écrit. Selon la Cour d’appel, les propos étaient, en l’espèce, susceptibles d’être poursuivis sous la qualification d’outrage dans la mesure où ils n’étaient pas rendus publics, condition de non-publicité effectivement requise par le texte de l’article 433-5 du Code pénal. Il s’agit d’une constante en la matière (Cass., Crim., 31 octobre 1890, DP 1891 1, 45).

Ajoutons que si l’écrit est public par l’un des moyens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, il échappe à l’incrimination d’outrage pour relever, le cas échéant, des incriminations de diffamation ou d’injure prévues par cette loi aux articles 29 et suivants ; tel pourrait ainsi être le cas d’une correspondance injurieuse ou diffamatoire adressée à de multiples destinataires qui ne sont pas réunis dans une Communauté d’intérêts (Cass., Crim., 9 novembre 2010, n°10-84.345), sous la condition toutefois que cette correspondance ne soit pas « personnelle et privée » (Cass., Crim., 26 février 2008, n°07-84.846 ; Cass., Crim., 9 novembre 2010, n°10-84.345) c’est-à-dire confidentielle (ce qu’il appartient au demeurant à la partie poursuivante d’établir).

Ajoutons également, pour les plus inspirés, que le conflit de qualification entre le délit d’outrage par écrit non rendu public et la contravention de première classe de diffamation/injure non publique est réglé en faveur de l’outrage, lorsque les propos mettent en cause « l’honorabilité et la délicatesse » de la victime dans l’exercice de ses fonctions publiques, ou critiquent ses compétences professionnelles ou remettent en question son intégrité ou sa probité dans l’accomplissement de sa mission (Cass., Crim., 24 janvier 1991, n°87-90.214 ; Cass.,Crim., 4 décembre 2002, Dr. Pén., 2002).

Lorsque les accusations ne pourront pas répondre à ces critères, l’écrit non rendu public échappera à l’incrimination d’outrage pour relever, le cas échéant, de la contravention de diffamation/injure non publique. Dans l’hypothèse où cet écrit serait une correspondance, il ne serait punissable sous la qualification contraventionnelle envisagée que s’il a été adressé dans des conditions exclusives de toute confidentialité (Cass., Crim., 11 avril 2012, n°11-87.688 : à propos d’une lettre adressée à un Maire et poursuivie sous l’angle de la diffamation non publique).

En second lieu, et au-delà du critère de non-publicité exigé par l’article 433-5 du Code pénal, cet arrêt permet de rappeler les éléments constitutifs du délit d’outrage par écrit, savoir que :

les termes utilisés doivent emporter une atteinte à la dignité ou la fonction exercée, le contexte de l’affaire permettant – comme dans l’arrêt commenté – d’apprécier cette condition en cas d’ambiguïté ;

la victime doit être destinataire direct de l’écrit non rendu public ;

si elle n’en a pas été le destinataire direct, l’auteur ait voulu que ses propos lui parviennent ou – comme dans l’arrêt commenté – il ne pouvait ignorer qu’ils allaient nécessairement lui être rapportés au regard du contexte intrinsèque ou extrinsèque dans lequel il a été adressé.