le 28/08/2017

Copropriétés en difficultés, de nouveaux outils pour agir

Vieillissement du parc et rénovations lourdes, entretien du quotidien et augmentation des frais de maintenance, approvisionnement en énergie et enchérissement des matières premières sont autant de défis que s’efforcent de relever les copropriétaires des quelques 9 millions de logements soumis au régime de la loi du 10 juillet 1965.

Cette tâche n’est toutefois pas aisée et, parfois, il arrive que le syndicat des copropriétaires ne soit plus en mesure d’assurer le fonctionnement normal de la copropriété.

En 2013, la médiane des charges annuelles de copropriété s’établissait à 1 800 euros par lot. La même année, sur les 9 millions de logements soumis au régime de la copropriété, 43 % d’entre eux présentaient des impayés de charges de copropriété [1].

Bien que ces impayés demeurent en majorité peu nombreux et peu importants, 10,9 % s’analysaient toutefois comme peu nombreux mais importants et 4,4 % comme nombreux et importants – et donc susceptibles de compromettre le fonctionnement normal du syndicat.

Surviennent alors, tantôt isolément, tantôt concomitamment, diverses difficultés telles que la carence ou l’absence de syndic, la décrépitude accélérée du bâti et l’incapacité à pourvoir à son entretien ou aux rénovations d’ampleur, la hausse des impayés et les importants obstacles au recouvrement… contribuant encore, ainsi que Ionesco se plaisait à le dire, à caresser un cercle devenu vicieux.

Il résulte de ce constat que l’intégrité financière de la copropriété et sa capacité à maîtriser et anticiper ses coûts de fonctionnement sont les conditions nécessaires à sa pérennité matérielle, laquelle est elle-même indispensable pour garantir aux copropriétaires et occupants un logement décent et durable.

Il en découle aussi que l’intégrité financière et la faculté des copropriétés à maîtriser et anticiper leurs coûts doivent être encouragées et protégées. 

Aussi, afin de garantir la pérennité de ce qui représente plus de 28 % du parc national de logements, le législateur s’emploie depuis une dizaine d’années à élaborer différents dispositifs aux termes desquels les personnes publiques se voient attribuer un rôle moteur, permettant graduellement, de prévenir l’apparition de difficultés dans les copropriétés (I) ou de rétablir leur fonctionnement normal lorsque l’action curative devient irrémédiable (II).

  1. LA PREVENTION DES DIFFICULTES MAJEURES

Afin de combler le vide statutaire qui existait entre le statut de « copropriété pérenne » et celui de « copropriété en difficultés », le législateur a introduit des mécanismes de prévention qui permettent, dès le dépassement d’un « seuil d’alerte », l’enclenchement d’une procédure de diagnostic et de rétablissement du fonctionnement normal du syndicat.

Combien de Maires ont été saisis et alertés par leurs administrés des difficultés financières rencontrées par certaines copropriétés vouées à un délabrement certain et à une insécurité grandissante.

Autrefois dépourvu du pouvoir d’agir, les Maires se voient, aux côtés des présidents d’EPCI, désormais attribuer par le législateur de nouvelles compétences leur permettant de saisir le juge et ce, tant afin de prévenir les difficultés, que de restaurer le fonctionnement normal des dites copropriétés.

Mise en mouvement par l’intermédiaire du juge (A), la procédure de désignation d’un mandataire ad hoc abouti à l’identification des difficultés impactant la copropriété mais à également à celle des mesures susceptibles d’y mettre fin (B).

  1. Prévention des difficultés par la désignation d’un mandataire ad hoc

Introduits à la loi du 10 juillet 1965 par la réforme dite « Boutin » en 2009, et complétés du décret n° 2010-391 du 20 avril 2010, les articles 29-1 A et 29-1 B prévoient la désignation d’un mandataire ad hoc dès l’apparition de premières difficultés financières substantielles.

La mise en œuvre de cette procédure préventive incombe d’abord au syndic qui, s’il constate que les impayés atteignent 25 % des sommes exigibles à la clôture des comptes (15% pour les copropriétés de plus de 200 lots), doit saisir par requête le juge aux fins de désignation d’un mandataire ad hoc.

Toutefois, pour garantir l’efficacité de cette procédure en cas de carence du syndic, le législateur a également ouvert la saisine du juge par les copropriétaires (à condition qu’ils représentent au moins 15% des voix du syndicat), les créanciers (fournisseurs d’énergie, prestataires), le préfet ou le procureur de la République, le maire, le président de l’EPCI du lieu de situation de l’immeuble.

Le dispositif prévoit également qu’en toutes hypothèses le maire, le représentant de l’état dans le département, le président de l’organe délibérant de l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sont informés.

Une fois le mandataire ad hoc désigné, le syndic est tenu de lui fournir tous les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

Si, au cours de l’exécution de sa mission il constate d’importantes difficultés financières ou de gestion, alors le mandataire ad hoc est tenu de saisir le juge aux fins de désignation d’un administrateur provisoire.

  1. Mission du mandataire ad hoc : diagnostiquer les maux et préconiser les remèdes

Le législateur a souhaité conférer au mandataire ad hoc une mission étendue.

Dans un premier temps, ce dernier doit analyser la situation financière de la copropriété et identifier les difficultés financières tant au plan des dépenses (maintenance, entretien, énergie) qu’au plan des recettes (impayés, difficultés de recouvrement).

Une fois ce constat réalisé, le mandataire doit, dans un second temps, identifier les solutions de nature à rétablir le fonctionnement normal de la copropriété.

Les diligences du mandataire donnent lieu à la rédaction d’un rapport qui est remis au juge l’ayant désigné. La célérité étant une condition nécessaire au succès de la prévention, ce rapport doit être remis dans un délai de trois mois (renouvelable une fois).

Une fois ce rapport remis, une copie est diffusée aux copropriétaires, au conseil syndical, au préfet, au maire de la commune et le cas échéant au président de l’organe délibérant de l’EPCI.

Le syndic – demeuré en fonction – est ensuite tenu d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine assemblée les projets de résolution nécessaires à la mise en œuvre du rapport.

L’assemblée générale des copropriétaires, qui conserve pleinement son pouvoir de décision, doit alors décider de mettre en œuvre les préconisations du mandataire et peut parfaitement refuser de les exécuter.

A ce stade, il est notable d’observer que le juge n’a pas eu à statuer sur l’opportunité de ces préconisations.

Toutefois, il demeure dans l’intérêt du syndicat des copropriétaires de voter en faveur des préconisations issues du rapport du mandataire ad hoc. A défaut, le syndicat s’exposerait en effet à une aggravation de sa situation et à la nécessité de mesures plus coercitives.

  1. LA RESOLUTION DES DIFFICULTES MAJEURES

Lorsque les outils de prévention ne sont pas suffisants, lorsqu’il est trop tard pour les mettre en œuvre ou lorsque les copropriétaires sont incapables d’assurer financièrement l’équilibre ou la sécurité de la copropriété (A), la loi permet alors de faire intervenir un administrateur provisoire qui se substituera au syndicat défaillant (B).

  1. Restauration du fonctionnement normal du syndicat : les régimes de l’administration provisoire et de l’administration provisoire renforcée

Possibilité offerte par les dispositions de l’article 29-1-I de la loi n° 65-557 en cas de « équilibre financier gravement compromis », de « syndicat dans l’impossibilité de pourvoir à l’administration de l’immeuble », ou depuis la loi « Alur » lorsque « la liquidation des dettes d’un syndicat doit intervenir pour cause d’expropriation ou de dissolution de ce syndicat », la désignation d’un administrateur provisoire a pour objet de rétablir le fonctionnement des copropriétés fortement compromises.

Au regard de l’importance des difficultés traversées par la copropriété, l’administrateur peut alors se voir confier tous les pouvoirs de l’assemblée générale (à l’exception de ceux prévus aux alinéas a et b de l’article 26) – et ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours, à la différence des décisions des assemblées générales.

Pour sa part, la mission du syndic prend fin immédiatement, et sans indemnité.

L’administrateur provisoire se charge alors de procéder au recensement des créances du syndicat et d’apurer les dettes qu’il a contractées.

Les pouvoirs qui lui sont conférés permettent à l’administrateur provisoire – sur autorisation du juge – de procéder à la cession d’actifs, voire, si cela s’avère impossible, à un certain effacement des dettes (L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 29-7).

Par ailleurs, à l’image des effets que peut produire l’ouverture d’une procédure collective, l’ordonnance de désignation d’un administrateur provisoire produit des effets importants (cf. article 29-3) tels que : la suspension de plein droit de l’exigibilité de certaines créances ou l’interdiction des poursuites pour une période de douze mois (prorogeable jusqu’à  trente mois).

Ce mécanisme est particulièrement intéressant puisqu’il permet suspendre ou d’interdire pour une période d’au plus six mois, renouvelable une fois, toute action en justice de la part des créanciers tendant à la condamnation du syndicat débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat de fourniture d’eau, de gaz, d’électricité ou de chaleur, pour défaut de paiement d’une somme d’argent.

Si le fonctionnement normal de la copropriété ne peut être rétabli autrement, l’administrateur peut proposer au juge une scission de copropriété, la constitution de syndicats secondaires, voire une division en volumes (L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 29-8).

Ceci étant et malgré l’éventail de mesures mises à la disposition de l’administrateur provisoire, il s’avère que certaines copropriété ne peuvent recouvrir de fonctionnement normal tant leurs difficultés sont importantes.

Aussi, lorsque la situation du syndicat est dégradée à un point tel qu’il n’est pas permis de réaliser les travaux nécessaires à la conservation et à la mise en sécurité de l’immeuble, à la protection des occupants, à la préservation de leur santé et à la réduction des charges de copropriété permettant son redressement financier, alors l’administrateur provisoire pourra conclure, au nom du syndicat, une convention à durée déterminée avec un ou plusieurs opérateurs compétents en matière de maîtrise d’œuvre de travaux et de mise au point du financement de ces travaux.

Cette procédure, naturellement soumise au contrôle du juge qui doit l’homologuer, permet à l’opérateur désigné de se voir confier toutes les missions concourant au redressement de la copropriété, pouvant comprendre la division du syndicat.

  1. Modalités de désignation de l’administrateur provisoire et d’exécution de sa mission

Tel qu’exposé supra, une copropriété peut être placée sous le régime de l’administration provisoire dans trois hypothèses :

1)    équilibre financier du syndicat des copropriétaires gravement compromis ;

2)    impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble ;

3)    liquidation des dettes du syndicat en cas d’expropriation ou de dissolution.

Dans tous les cas, c’est au président du TGI du lieu de situation de l’immeuble, statuant sur requête ou comme en matière de référé, qu’il revient de désigner l’administrateur provisoire.

La saisine peut être effectuée à la requête d’un groupe de copropriétaires représentant 15 % au moins des voix du syndicat. Le président du TGI est alors saisi par la voie d’une assignation dirigée contre le syndicat représenté par le syndic et statue en la forme des référés.

La saisine peut être effectuée par voie de requête à l’initiative du syndic – sans avoir à être autorisé par l’assemblée générale des copropriétaires. Ce dernier doit néanmoins être informé de cette démarche.

Enfin, et dans les cas où l’immeuble serait suffisamment dégradé pour représenter un danger tant pour ses occupants que pour le voisinage, la saisine du président du tribunal de grande instance peut également résulter d’une requête du procureur de la République.

Dans tous les cas, la décision désignant un administrateur provisoire doit toujours être notifiée aux copropriétaires et, sous peine de nullité, au procureur de la République.

Les copropriétaires peuvent interjeter appel de l’ordonnance désignant l’administrateur provisoire.

Le président du Tribunal de grande instance fixe la durée de la mission de l’administrateur provisoire (qui ne peut être inférieure à douze mois) et peut, à tout moment, la modifier, la prolonger ou encore y mettre fin, à la demande de l’administrateur provisoire, d’un ou plusieurs copropriétaires, du procureur ou d’office.

C’est également au président du Tribunal que l’administrateur doit rendre compte de sa mission, à la demande de celui-ci, et en tout état de cause, à son expiration. Il rend compte également au président du conseil syndical, lorsqu’il en a été désigné un, ou à défaut, à chacun de ses membres.

*

Depuis 1965, les dispositifs de prévention et de protection de l’équilibre financier des copropriétés n’ont cessé d’être améliorés.

Aujourd’hui, ils permettent d’identifier relativement tôt l’apparition des premières difficultés et d’apporter, graduellement, des solutions de rétablissement du fonctionnement normal du syndicat.

Ces solutions sont d’autant plus efficaces qu’elles sont exigibles tant par les acteurs directs de la copropriété (copropriétaires, syndic), que par leurs partenaires (prestataires) ou encore les autorités publiques (maire, préfet, procureur de la République).

Aussi, il est permis d’espérer que ces mécanismes contribueront à amorcer une diminution du taux de copropriétés concernées par des difficultés financières qui, rappelons-le, s’établissait encore à 43 % en 2013.

Claire-Marie Dubois,  Avocate associée
Romain Desaix, Avocat à la Cour

[1] Insee, enquête Logement 2013