le 08/04/2021

Contrôle de CRE par la Cour des comptes : une fonction de régulation à repenser ?

CComptes, Référé, 15 janvier 2021

La réponse apportée par la Commission de régulation de l’énergie en date du 11 février 2021

La réponse apportée par le Premier Ministre au référé de la Cour des comptes

 

Par un référé en date du 15 janvier 2021, et au terme du contrôle des comptes et de la gestion de la Commission de régulation de l’énergie (ci-après, la CRE) pour les exercices 2013 à 2019, le Premier Président de la Cour des comptes a appelé l’attention du Premier Ministre sur trois points qui révéleraient, selon la Cour, « des risques liés à la latitude et à la marge d’interprétation laissées à cette autorité administrative indépendante ».

Dans ce référé, la Cour des comptes pointe notamment du doigt la gestion du dossier dit du « commissionnement », mis en place parallèlement à l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie par la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie.

Ce dossier concernait le dispositif du « contrat unique » par lequel le gestionnaire de réseau rémunère le fournisseur d’énergie au titre des frais de gestion de clientèle, gestion assurée pour le compte du fournisseur et qui a donné lieu à de nombreux contentieux. La CRE relève que ce dispositif a été mis en place aux dépens des intérêts du consommateur (qui se voit par ailleurs facturer un tarif d’utilisateur du réseau) à une époque où la loi n’avait pas précisé les conséquences de la mise en place du contrat unique pour les relations, notamment financières, entre le fournisseur et le gestionnaire du réseau de distribution (GRD).

Sur ce point, la Cour des comptes reproche à la CRE d’avoir validé, en sa qualité de régulateur, la rémunération des prestations de gestion clientèle sans transparence et « dans des conditions hasardeuses ».

A l’issue de ce contrôle, la Cour des comptes formule 3 recommandations :

 

I. Tout d’abord, en conséquence de la gestion ci-dessus critiquée, la Cour recommande de préciser dans la loi que les contrats d’accès au réseau conclus selon un modèle approuvé par la CRE régissent exclusivement les relations financières entre les gestionnaires des réseaux de distribution et les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel.

 

Sur ce point, le Président de la CRE a indiqué que cette recommandation n’appelait pas de suites dans la mesure où les dispositions législatives ainsi que les décisions du Conseil d’Etat permettent d’ores et déjà d’y répondre. Le Président de la CRE s’est ainsi montré opposé à toute réforme du mécanisme de rémunération des fournisseurs mis en place depuis 2018 et en particulier à son éventuelle suppression, estimant qu’une telle suppression ouvrirait la voie à de nouveaux contentieux aux enjeux financiers considérables et à d’éventuels effets d’aubaine si des fournisseurs parvenaient à faire invalider le nouveau cadre juridique mis en place.

 

II. Ensuite, après avoir constaté l’« élargissement progressif du champ d’intervention de la CRE au-delà de ses missions prévues par la loi », notamment s’agissant de « l’activité de coopération avec les gouvernements étrangers » et de l’« important effort de prospective allant au-delà de la réflexion stratégique et technique nécessaire pour un régulateur »,la Cour des comptes propose de « nommer un commissaire du Gouvernement auprès de la CRE ou, à défaut, proposer la suppression de l’article L. 133-4 du code de l’énergie »[1].

 

La Cour des comptes suggère ainsi une adaptation de la gouvernance de la CRE pour permettre de mieux garantir le respect par elle de son périmètre de compétences.

La CRE considère ainsi que l’intervention d’un représentant de l’Etat aurait pu éviter que la CRE ne s’engage seule dans le dossier de « commissionnement » précité et, selon la Cour des Comptes, d’une manière inadéquate et au-delà de ses prérogatives.

Pour le Président de la CRE, cette faculté irait à rencontre de l’ensemble des prescriptions européennes en matière d’indépendance des régulateurs. La CRE renvoie sur ce point aux très récentes décisions et prises de position juridictionnelles sur les garanties d’indépendance du régulateur, y compris vis-à-vis de toute entité publique, pour l’exercice des missions qui lui sont confiées, et notamment l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 3 décembre 2020 (affaire 0-767/19) condamnant la Belgique pour non-respect des obligations qui lui incombent en vertu des directives 2009/72/CE et 2009/73/CE, ou encore les conclusions de l’avocat général Monsieur PITRUZELLA dans l’affaire opposant la Commission européenne à la République Fédérale d’Allemagne (affaire c-718/18).

 

III. A défaut de nomination d’un commissaire du gouvernement, la Cour des comptes suggère de renforcer la transparence des débats au sein du collège de la CRE, en autorisant la publication d’opinions dissidentes par les commissaires, annexées aux délibérations du collège de la CRE.

 

Selon le Président de la CRE, cette recommandation méconnaît, quant à elle, des dispositions nationales s’appliquant, bien au-delà de la CRE, à l’ensemble des autorités administratives indépendantes (AAI) et autorités publiques indépendantes (API). Elle irait à rencontre de l’article 9 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des AAI et des API, qui interdit aux membres de ces autorités de prendre, à titre personnel, une position publique qui pourrait être préjudiciable au bon fonctionnement de l’autorité. Elle s’opposerait également au secret des délibérés.

Enfin, selon le Président de la CRE, la mise en œuvre d’une telle recommandation s’accompagnerait de risques contentieux accrus, dès lors qu’elle poserait des difficultés en termes de lisibilité de la norme, en complexifiant des délibérations qui permettent d’ores et déjà, par leur motivation et leur transparence, d’exposer et de prendre en compte l’intégralité des positions exprimées par les acteurs.

Les suites qui seront, ou non, données par la CRE à ce référé de la Cour des Comptes seront intéressantes à observer, tant pour l’heure chacun campe sur ses positions.

 

 

[1] Article L.133-4 du Code de l’énergie : « Un commissaire du Gouvernement auprès de la Commission de régulation de l’énergie, nommé par le ministre chargé de l’énergie, fait connaître les analyses du Gouvernement, en particulier en ce qui concerne la politique énergétique. Il ne peut être simultanément commissaire du Gouvernement auprès de Engie et des filiales issues de la séparation juridique des activités de GDF-Suez prévue aux articles L. 111-7 et L. 111-57 ni chargé de suivre la gestion d’Electricité de France. Il se retire lors des délibérations de la commission.

Il peut demander l’inscription à l’ordre du jour de la commission toute question intéressant la politique énergétique ou la sécurité et la sûreté des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité ou la sécurité et la sûreté des ouvrages de transport, de distribution ou de stockage de gaz naturel et des installations de gaz naturel liquéfié ».