le 16/07/2020

Conséquences de la notification du décompte général postérieurement à une première saisine du Tribunal administratif

CE, 10 juin 2020, Société Bonaud, n° 425993

CAA Nancy, 16 juin 2020, Société Pierre Lembo,  n° 18NC02972

Dans le cadre de l’exécution d’un marché de travaux se référant au Cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux (CCAG Travaux), le Juge administratif ne peut être saisi que des contestations ayant été préalablement présentées au pouvoir adjudicateur dans un mémoire en réclamation et n’ayant pas fait l’objet d’une résolution amiable, y compris et surtout lorsque ces contestations portent sur le décompte général établi au terme du contrat.

Par deux jurisprudences rendues à six jours d’intervalle, le Conseil d’Etat et la Cour administrative d’appel de Nancy apportent des précisions utiles et complémentaires sur l’application de ces règles dans deux cas où la notification du décompte général intervient postérieurement à une première saisine du Juge administratif.

Par sa décision du 10 juin 2020, le Conseil d’Etat précise les conséquences de la notification du décompte général dans le cas particulier où celle-ci est postérieure à une première saisine du Tribunal administratif qui avait pour objet le règlement du solde du marché.

Tout d’abord, il convient de rappeler que si le représentant du pouvoir adjudicateur ne procède pas à la notification du décompte général dans un délai de quarante jours après la date de remise au maître d’œuvre du décompte final ou douze jours après la publication de l’index de référence permettant la révision du solde, le titulaire peut, sur le fondement de l’article 13.4.2 du CCAG Travaux, mettre en demeure le représentant du pouvoir adjudicateur de procéder à cette notification dans un délai de trente jours. Et, en cas d’infructuosité de cette mise en demeure, le titulaire est autorisé « à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord ». Il est également précisé que si le décompte général est notifié au titulaire postérieurement à la saisine du tribunal administratif, le titulaire n’est pas tenu, en cas de désaccord, de présenter de mémoire en réclamation.

Par deux arrêts des 5 octobre et 21 décembre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes avait interprété étroitement les stipulations précitées, en considérant que celles-ci permettaient seulement au titulaire du marché, lorsque le pouvoir adjudicateur ne défère pas à la mise en demeure de notifier le décompte général, de saisir le Tribunal administratif de conclusions tendant à ce que celui-ci établisse le décompte général, mais non de conclusions tendant au règlement du solde du marché.

Par sa décision du 10 juin 2020, le Conseil d’Etat conclue au contraire qu’il résulte de ces stipulations que « lorsque le pouvoir adjudicateur, mis en demeure de notifier le décompte général, s’abstient d’y procéder dans le délai de trente jours qui lui est imparti, le titulaire du marché peut saisir le tribunal administratif d’une demande visant à obtenir le paiement des sommes qu’il estime lui être dues au titre du solde du marché. Dans l’hypothèse où la personne publique notifie le décompte général postérieurement à la saisine du tribunal, le litige conserve son objet et y a lieu pour le juge de le trancher au vu de l’ensemble des éléments à sa disposition, sans que le titulaire du marché soit tenu présenter de mémoire de réclamation contre ce décompte ».

Par suite, il annule les deux arrêts de la Cour administrative d’appel de Nantes comme étant entachés d’une erreur de droit.

Par son arrêt du 16 juin 2020, la Cour administrative de Nancy précise les conséquences de la notification du décompte général dans le cas particulier où celle-ci est postérieure à une première saisine du Tribunal administratif qui avait pour objet la résolution d’un litige distinct né au cours de l’exécution du marché.

Dans un premier temps, pendant l’exécution du marché, il a adressé au représentant du pouvoir adjudicateur, le 8 avril 2016, un mémoire en réclamation tendant au paiement d’une somme de 41.054,40 euros TTC au titre des travaux supplémentaires qu’elle estime avoir dû réaliser. En l’absence de réponse de l’acheteur, le titulaire a introduit sa demande tendant au paiement de cette somme devant le Tribunal administratif de Nancy, le 25 août 2016.

Dans un second temps et postérieurement à la saisine du Tribunal administratif, l’acheteur a notifié au titulaire un décompte général du marché ne reprenant pas sa demande au titre des travaux supplémentaires. Le titulaire n’a alors produit aucun mémoire en réclamation dirigé spécifiquement contre ce décompte. Dans ces conditions, le Tribunal administratif de Nancy a considéré que ce décompte avait acquis un caractère définitif et rejeté la requête du titulaire comme irrecevable.

Saisie par le titulaire d’une requête contre ce jugement, la Cour administrative d’appel relève que si le titulaire a contesté ce décompte général dans le cadre de ses écritures produites dans le cadre de la procédure contentieuse précitée devant le Tribunal administratif de Nancy, celles-ci « ne sauraient valoir mémoire en réclamation sur le décompte général du marché au sens des stipulations du CCAG […] ».

Par suite, la Cour administrative d’appel conclue qu’en l’absence de réclamation en bonne et due forme de la part du titulaire, le décompte général était bel et bien devenu définitif et, en conséquence, que la demande présentée par le titulaire devant le Tribunal administratif de Nancy était irrecevable. C’est pourquoi elle rejette la requête d’appel du titulaire.