le 21/12/2017

Le Conseil d’Etat se prononce en faveur de la légalité des clauses d’interprétariat

CE, 4 décembre 2017, n° 413366

Par un arrêt en date du 4 décembre 2017 le Conseil d’Etat a reconnu, nonobstant l’avis de son rapporteur public, la légalité des « Clauses d’interprétariat ».

Le 28 avril 2017, la Région Pays de la Loire a publié un avis d’appel public à la concurrence en vue de la passation d’un marché public de travaux. Les documents de ce marché, en particulier deux clauses du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), prévoyaient :

  • en premier lieu, « l’intervention d’un interprète qualifié […], aux frais du titulaire du marché, afin que la personne publique responsable puisse s’assurer que les personnels présents sur le chantier et ne maîtrisant pas suffisamment la langue française, quelle que soit leur nationalité, comprennent effectivement le socle minimal de normes sociales qui, en vertu notamment de l’article L. 1262-4 du code du travail (…), s’applique à leur situation » (clause d’exécution relative à une information sur les droits sociaux, art. 8.4.1. du CCAP) ;
  • en second lieu, l’intervention d’un interprète qualifié dans le cadre d’une formation – dispensée à l’ensemble des personnels affectés à l’exécution de ces tâches, quelle que soit leur nationalité – visant à « garantir la sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier lors de la réalisation de tâches signalées comme présentant un risque pour la sécurité des personnes et des biens», lorsque les personnels concernés par ces tâches ne maîtrisent pas suffisamment la langue française (clause d’exécution relative à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, art. 8.4.2. du CCAP).

Le Préfet de Région a saisi le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Nantes aux motifs, notamment, que ces « clauses d’interprétariat » étaient contraires aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats, de libre circulation des travailleurs et de libre prestation de services.

Par une ordonnance en date du 7 juillet 2017 (TA de Nantes, 7 juillet 2017, Mlle A, n° 1704447), le juge des référés a rejeté le déféré préfectoral. Le ministre de l’Intérieur s’est alors pourvu en cassation contre cette décision.

Par cet arrêt du 4 décembre 2017, le Conseil d’État rejette le pourvoi en cassation formé par le ministre de l’Intérieur et, partant, reconnaît la légalité de telles clauses, tout en encadrant leur validité dans de strictes conditions. Schématiquement, le raisonnement mené par le Conseil d’Etat, qui est le même pour les deux clauses, se décompose en deux temps.

En premier lieu, après avoir rappelé « qu’un pouvoir adjudicateur peut imposer, parmi les conditions d’exécution d’un marché public, des exigences particulières pour prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, sous réserve que celles-ci présentent un lien suffisant avec l’objet du marché » (cf. art. 38-I. de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015), il considère que les juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en estimant, au cas d’espèce, que ces clauses présentaient un lien suffisant avec l’objet du marché.

En second lieu, il examine davantage, par une appréciation circonstanciée, la validité de telles clauses au regard du droit de l’Union européenne. Tout d’abord, il indique que ces clauses ne sont pas discriminatoires ni ne constituent une entrave à la libre circulation, dès lors qu’elles s’appliquent « indistinctement à toute entreprise quelle que soit sa nationalité ». Ensuite, il s’intéresse aux effets potentiels de ces clauses et précise qu’elles ne doivent pas avoir pour effets « de restreindre l’exercice effectif d’une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union ». Précisément, de manière classique, le Conseil d’Etat procède à un contrôle de proportionnalité, d’adéquation, entre la mesure prise et l’objectif qu’elle poursuit, et conclut que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant « qu’à supposer même que la clause litigieuse puisse être susceptible de restreindre l’exercice effectif d’une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union, elle poursuit un objectif d’intérêt général dont elle garantit la réalisation sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ». Enfin, il convient de relever que la mise en œuvre de ces clauses par le maître d’ouvrage ne devra pas, selon le Conseil d’Etat, « occasionner de coûts excessifs au titulaire du marché ».

Ceci étant exposé, cet arrêt du Conseil d’Etat ne préjuge aucunement la solution qui pourrait, le cas échéant, être rendue par le Conseil d’Etat au sujet des « clauses Molière », qui doivent nettement être distinguées des « clauses d’interprétariat » en ce qu’elles ont pour objet d’imposer l’usage exclusif du français sur les chantiers. Pour mémoire, une instruction interministérielle en date du 27 avril 2017 (Instruction interministérielle relative aux délibérations et actes des collectivités territoriales imposant l’usage du français dans les conditions d’exécution des marchés) avait considéré ces « clauses Molière » illégales et discriminatoires et, très récemment, le Tribunal administratif de Lyon (TA de Lyon, 13 décembre 2017, Préfet de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, n° 1704697) a annulé la délibération du conseil régional de la région Auvergnes-Rhône-Alpes qui prévoyait l’inclusion de telles clauses dans les contrats de la commande publique.

Surtout, dans son communiqué de presse, le Conseil d’Etat a insisté sur cette différence en affirmant que « Ces « clauses d’interprétariat » ne doivent pas être confondues avec les clauses dites « Molière », qui visent à imposer l’usage exclusif du français sur les chantiers ».