le 23/11/2017

Le Conseil d’Etat et la protection des mineurs étrangers isolés

CE, 8 novembre 2017, n° 406256

Par circulaire du 1er novembre 2016, le Ministre de la Justice a confirmé la décision de mettre en œuvre, à titre exceptionnel, un dispositif national d’orientation des mineurs isolés dans la perspective de l’expulsion des nombreux réfugiés rassemblés dans le lieu appelé ‘ « La Lande » à Calais.
Cette création de centres d’accueil et d’orientation spéciaux, gérés par l’Etat, répartis sur tout le territoire national, et destinés à accueillir, pendant 3 mois, les mineurs isolés et étrangers évacué du camp de Calais a soulevé, très vite, de fortes objections chez les acteurs de l’aide à l’enfance.
Outre qu’en octobre 2016, les 70 centres d’accueil et d’orientation pour mineurs (CAOMI) avaient été créés dans l’urgence, leur existence avait un caractère manifestement dérogatoire par rapport au dispositif existant. Depuis la décentralisation, en effet, la protection de l’enfance est confiée aux départements, qui assurent la prise en charge des mineurs non accompagnés.
Leurs services d’Aide sociale à l’enfance sont même très spécialisés dans cet accueil, dans l’évaluation des jeunes pour une durée provisoire de cinq jours, pour évaluer leur situation et établir, sur la base d’entretiens, s’ils sont effectivement mineurs, et décider, dans ce cas, de leur prise en charge et notamment de leur hébergement.
Les moins de 16 ans peuvent ensuite s’inscrire à l’école, et tous ceux pris en charge par l’ASE ont droit à la couverture maladie universelle (CMU), qui donne un meilleur accès aux soins que l’aide médicale d’Etat (AME), accordée aux étrangers en situation irrégulière.
Les CAOMI créés en 2016, dans la perspective de l’évacuation de la « jungle de Calais », ont accueilli les mineurs non accompagnés, vivant dans le camp, pour une durée de 3 mois, avant que ces derniers puissent être orientés, soit vers le Royaume-Uni, soit vers le dispositif de protection de l’enfance de droit commun.
Pendant la période de présence des mineurs dans leurs locaux, les CAOMI proposaient, ainsi que l’énonce la circulaire ministérielle du 1er novembre 2016, un hébergement dans des conditions de sécurité et de salubrité « optimales ». Ils devaient assurer la sécurité des mineurs et le gardiennage des locaux 24 h/24. Ils veillaient, également, à l’identification et à la prise en charge de leurs besoins, notamment médicaux et psychologiques.
Les CAOMI devaient de plus proposer des animations éducatives, sportives et une sensibilisation à l’apprentissage du français.
Les initiatives gouvernementales annoncées dans la circulaire du 1er novembre 2016, ont été vivement contestées par les associations d’aides aux mineurs isolés, les associations de défense des droits de l’homme, les organisations de défense des droits des étrangers.
C’est dans ces conditions que le Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers et la Ligue des droits de l’homme, ont saisi, le 22 décembre 2016, le Conseil d’Etat d’une requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du ministre de la justice du 1er novembre 2016 créant un dispositif national d’orientation des mineurs non accompagnés dans le cadre des opérations de démantèlement de la Lande de Calais et la décision par laquelle le ministre de l’intérieur, le ministre du logement et de l’habitat durable, le ministre de la justice et le ministre des familles et des droits des femmes ont entrepris la création et l’ouverture des centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés et défini leur modalité d’organisation.
Les requérants ont fait valoir que les décisions contestées entraient en contradiction complète avec les dispositions de l’article L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles, qui ont fait de l’aide à l’enfance un service de la seule compétence du département. Ils ont soutenu que ces dispositions créant, dans une grande précipitation, des structures d’accueil spéciales, dispersées sur tout le territoire, et placées sous la responsabilité de l’Etat, aboutiraient au morcellement des structures garantissant aux mineurs concernés, de bénéficier des mesures protectrices d’évaluation, de traitement et de placement judiciaire du régime commun
Mais le Conseil d’Etat n’a pas tenu compte de ces arguments, avançant d’abord, que la circulaire du 1er novembre 2016, se limitant, pour partie à une description des conditions d’accueil dans les centres, dénuée de caractère impératif et ne faisant aucun grief, n’était pas susceptible d’un recours à ce titre.
Par ailleurs, que des mineurs puissent être maintenus, en vue de leur placement, près de trois mois dans les centres dispersés sur tout le territoire, n’était selon lui, nullement illégal, cette disposition relevant de la simple mesure d’organisation exigée par le caractère exceptionnel de la situation.
Enfin, pour le Conseil d’Etat, la compétence du département en matière d’aide sociale à l’enfance ne fait pas obstacle à l’intervention de l’Etat au titre de ses pouvoirs de police, notamment de protection de la dignité humaine, et cela, surtout lorsqu’il est manifeste, selon lui, que les moyens du Département du Pas de Calais ne sont pas suffisants pour faire face au caractère exceptionnel des évènements.
Que des mesures particulières s’imposent lors d’évènements tel que l’évacuation d’un camp réunissant des milliers de personnes et notamment de très nombreux mineurs isolés est évident. Et l’on peut concevoir que l’Etat intervienne au nom des pouvoirs de police dont il dispose. La question se pose, toutefois, de savoir si une telle action ne nécessite pas de maintenir un lien étroit avec les départements, s’agissant du cas des mineurs isolés en particulier.
On peut le penser lorsque l’on sait que le Pas de Calais voit de nouveau, un an après l’évacuation de la zone de la « jungle », augmenter le nombre des mineurs étrangers isolés espérant pouvoir passer au Royaume-Uni.

1) L’Aide Sociale à l’Enfance est un service non personnalisé du département (art. L. 221-1 al.1 Code de l’Action Sociale et des Familles). Le service de l’Aide Sociale à l’Enfance est placé sous l’autorité du président du conseil général (article L. 221-2 Code de l’Action Sociale et des Familles)
2) « Des réfugiés mineurs de retour sur le terrain de l’ancienne “Jungle” de Calais » Publié le mercredi 22 février 2017 par « Info MIE »